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Histoire & Sciences sociales -> Sociologie / Economie |
| Groupe Marcuse De la misère humaine en milieu publicitaire - Comment le monde se meurt de notre mode de vie La Découverte - Poche 2010 / 8 € - 52.4 ffr. / 171 pages ISBN : 978-2-7071-6457-5 FORMAT : 12,7cm x 19cm
Première publication en octobre 2004 (La Découverte - Sur le Vif)
L'auteur du compte rendu: titulaire dune maîtrise de Psychologie Sociale (Paris X-Nanterre), Mathilde Rembert est conseillère dOrientation-Psychologue de lEducation Nationale. Imprimer
Décidément, elle est partout. Allumez votre télé, surfez sur internet, ouvrez un journal, et la voilà. Que vous vous déplaciez en métro, en bus ou en voiture, vous ne pouvez pas ne pas la croiser. Impossible de lui échapper. Elle simpose, elle vous harcèle, elle vous matraque. Qui donc ? La police ? Mais non voyons, la publicité ! Des femmes et des hommes éternellement jeunes et minces (pour ne pas dire carrément maigres !) vous vantent la vie paradisiaque offerte par telle ligne de yaourts, telle marque de vêtements ou tel tour opérateur. Ce qui na pas lheur de plaire au Groupe Marcuse (Mouvement Autonome de Réflexion Critique à lUsage des Survivants de lEconomie), composé de personnes travaillant dans le champ des sciences sociales. Le lecteur qui sent son exaspération monter contre la déferlante publicitaire trouvera ce petit livre salutaire.
Lannée 2003 a vu la montée de la contestation anti-pub, qui sest notamment attaquée aux affiches publicitaires ornant le métro parisien. Ces groupes qui ont pour nom Casseurs de Pub ou Stopub sont constitués danarchistes, de féministes et décologistes.
De la pub partout et tout le temps : pourquoi assiste-t-on aujourdhui à une telle surenchère ? La publicité nest quun élément de la production industrielle : pour écouler les marchandises, il convient de créer de nouveaux (pseudo) besoins chez les consommateurs. La logique capitaliste a besoin de la croissance. Or cet impératif de croissance, personne ne le conteste. Ainsi, certains admettent que la publicité pousse les gens à acheter car la consommation est une bonne chose en soi. Pour eux, tout irait bien si cette publicité restait «convenable» cest-à-dire, par exemple, pas trop sexiste. Le groupe Marcuse ironise sur cette contestation light. Son postulat de base est quon ne peut critiquer la pub sans remettre en cause lorganisation qui la sous-tend. Le problème de fond nest pas la façon dont les publicitaires essaient de nous pousser à acheter telle ou telle marchandise, mais le culte des marchandises en lui-même. Le consumérisme repose sur le productivisme : on exploite donc de plus en plus lêtre humain et les ressources naturelles qui ne sont pas infinies. Cest bien cela, et pas uniquement son corollaire (lextension de la publicité), que condamne le Groupe Marcuse. Notre monde aujourdhui est devenu unidimensionnel, comme lhomme selon Herbert Marcuse (LHomme unidimensionnel, 1968) : il ny aurait plus rien au-delà des marchandises et de laccumulation, aucune transcendance. On ne pourrait donc pas sortir de cet univers pour le critiquer.
La démonstration peut convaincre, mais cet ouvrage laisse le lecteur au milieu du gué : quelle utopie est proposée en remplacement de celle de la société de consommation ? Aucune. Les auteurs conseillent certes de faire ses courses au marché plutôt quau supermarché, de préférer en général la production artisanale à la production industrielle, de se rendre chez des indépendants plutôt que chez des majors
Soit, mais encore ? Sen prendre aux affiches publicitaires en écrivant dessus ou en les déchirant est interdit, réprimé par la loi, comme lont montré les condamnations des antipub de 2003. Certes, si ces actions sont faites individuellement et discrètement, le risque pour le contrevenant est bien moindre
Mais la visibilité de laction aussi. Le lecteur respectueux des lois peut toujours écrire au Bureau de Vérification de la Publicité pour demander le retrait dune campagne de publicité qui le dérange
Il recevra au mieux une réponse de politesse.
Par ailleurs, une association ne peut attaquer une publicité pour sexisme par exemple, car celui-ci nentre pas dans la loi de 1972 contre les discriminations (le racisme et lantisémitisme en loccurrence), et la loi contre le sexisme et lhomophobie actuellement en projet au gouvernement sera bien moins contraignante que celle de 72. Il est instructif à ce sujet de se plonger dans un ouvrage comme Négripub (Lelieur et Bachollet, Somogy, 1992). Y sont exposées des publicités des années trente qui utilisaient limage des Noirs pour vendre toutes sortes dobjets. On y vantait par exemple les mérites de telle lessive qui «blanchirait un nègre» (sic). Ces publicités choqueraient aujourd'hui ; elles tomberaient même sous le coup de la loi. Mais aujourdhui, peu de gens soffusquent du fait quun marchand de montres utilise une image de femme nue pour vendre ses produits.
Alors
Deux poids, deux mesures ? Une éducation à lanalyse de limage, comme celle qui est proposée depuis quelques années aux élèves de collèges et lycées, semble une bonne initiative. Des citoyens conscientisés qui savent décrypter une image valent toujours mieux que des spectateurs béats
Le groupe Marcuse en conviendrait sans doute.
Mathilde Rembert ( Mis en ligne le 06/07/2010 ) Imprimer | | |
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