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Notre être au monde
David Le Breton   La Saveur du monde - Une anthropologie des sens
Métailié - Traversées 2006 /  20 € - 131 ffr. / 428 pages
ISBN : 2-86424-564-7
FORMAT : 14,0cm x 21,5cm
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On peut considérer La Saveur du monde. Une anthropologie des sens, de David Le Breton, professeur à l’Université de Strasbourg II, comme le pendant d’un autre livre du même auteur, publié sept ans plus tôt : L’Adieu au corps (1999). Car on lisait en conclusion (intitulée significativement «Ouverture») de cet ouvrage qui montrait comment les fantasmes technologiques contemporains accélèrent la pente occidentale à mettre le corps entre parenthèses : «Heureusement, nous restons de chair pour ne pas perdre la saveur du monde» (p. 223).

Le Breton reprend donc cette toute dernière phrase pour en extraire le titre et l’objet d’une nouvelle étude. Il entreprend de montrer, par le menu et avec la prolixité de références qui le caractérise, que le corps est loin d’être un objet obsolète ni même simplement un objet, puisqu’il détermine au contraire notre être au monde, la manière dont nous faisons chair avec notre environnement. On reconnaîtra bien sûr le projet de la phénoménologie dont les auteurs sont bien sûr cités, mais Le Breton élargit la démonstration en l’appuyant sur des travaux de sociologie, d’histoire, d’anthropologie et sur des œuvres littéraires (Montaigne et Proust sont souvent à l’honneur). Il ne s’agit donc pas seulement d’affirmer avec Merleau-Ponty et contre Descartes que toute conscience est toujours incarnée, mais de comparer les mille et une modalités de cette incarnation, dans le détail de la vie des individus et des sociétés, aujourd’hui comme dans l’Antiquité, ici et ailleurs. Car, «si le corps et les sens sont les médiateurs de notre rapport au monde, ils ne le sont qu’à travers le symbolique qui les traverse» (p.26) Toute perception est un apprentissage qui dépend de la société et de la culture de l’être humain concerné. Il y a mille forêts dans une seule forêt, explique l’auteur, puisqu’il y a celle du chasseur ou celle du chercheur de champignon, du fugitif ou de l’Indien, de l’ornithologue, du forestier... Il y a une multitude de perceptions selon «les attentes, les appartenances sociales et culturelles». Or, «l’anthropologue est l’explorateur de ces différentes couches de réalité qui s’enchevêtrent. Lui aussi finalement propose son interprétation de la forêt, mais il s’efforce d’élargir son regard, ses sens, pour comprendre ce feuilletage de réels. (…) son travail consiste en l’arpentage de ces différentes sédimentations.» (p.14)

Ainsi Le Breton oppose les Aiviliks (Carpenter E., Eskimo realities, 1973) qui trouvent leur chemin sur la banquise même en l’absence de toute visibilité, parce qu’ils savent saisir de leurs autres sens une multitude de détails, aux occidentaux de plus en plus marqués par la prédominance de la vue, dans leur sensorialité, leur vocabulaire et leur métaphysique. Beaucoup plus loin, il montre combien ces mêmes occidentaux ont pris de la distance par rapport à l’odorat, contrairement au monde arabo-musulman (Aubaile-Sallenave F., «Le Monde traditionnel des odeurs et des saveurs chez le petit enfant maghrébin», 1997)… «L’arpentage des sédimentations» de réalité provoque parfois une impression d’empilement d’études dont les dates de parution et les perspectives peuvent être très diverses, mais ce foisonnement n’est pas sans vertu. Car il provoque une «expérience anthropologique» si l’on conçoit celle-ci comme une «manière de se déprendre des familiarités perceptives pour ressaisir d’autres modalités d’approche, sentir la multitudes des mondes qui s’arc-boutent dans le monde» (p.20) Est particulièrement représentatif de cette expérience le passage consacré à la perception des couleurs, depuis l’apprentissage de l’enfant jusqu’aux catégories de couleurs en Nouvelle-Guinée (Mead M, The Study of culture at a distance, 1962), en Nouvelle-Calédonie (Métais P., «Vocabulaire et symbolisme des couleurs en Nouvelle-Calédonie», 1957) ou chez les Maoris de Nouvelle-Zélande (Batchelor D., La Peur de la couleur, 2001), en passant par les variations des schèmes chromatiques au cours de l’histoire ou selon les aires culturelles (Pastoureau M., Bleu. Histoire d’une couleur, 2002).

David Le breton s’efforce bien sûr de structurer ce foisonnement d’études et de perspectives : il ne va pas chercher bien loin puisqu’il recourt à la classification traditionnelle des cinq sens, quitte à ajouter quelques chapitres de variation autour d’un sens en particulier («Le toucher de l’autre», «La cuisine du dégoût») et surtout à affirmer leur inévitable synesthésie (dès le premier chapitre ou dans le septième et antépénultième notamment) et leur constante intrication avec des significations culturelles, individuelles, sociales... Mais il avoue en introduction la difficulté principale de son projet : «comment trier parmi l’infinité des données (…) sans perdre le lecteur dans la profusion et l’accumulation ?» (p.21) On retrouve ainsi l’image de l’anthropologue explorant non pas tant une forêt particulière, telle que la vivent certains hommes, que la multitude enchevêtrée des forêts des sens que différents groupes humains, étudiés par différents chercheurs, attribuent à la réalité. Ce serait peut-être là la limite autant que l’utilité de l’ouvrage : La Saveur du monde est avant tout une riche synthèse d’études ou d’approches des sens, ainsi que la concrétisation d’un travail de longue haleine. Car ce n’est pas à L’Adieu au corps que David Le breton lui-même se réfère explicitement, mais à l’ouvrage par lequel il s’est fait connaître en 1990 : Anthropologie du corps et modernité, dans lequel il avait commencé à suggérer l’importance d’une anthropologie des sens en soulignant notamment «la prégnance occidentale de la vue» (p.20). Il lui restait alors quinze ans d’études, d’enquêtes, d’observations, de lectures et de voyages ; puis, afin de «maintenir une cohérence d’écriture et de pensée», à élaguer.


Alain Romestaing
( Mis en ligne le 27/06/2006 )
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