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Histoire & Sciences sociales -> Sociologie / Economie |
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Ce qu’il y a derrière le livre | | | Olivier Bessard-Banquy Collectif L'Edition littéraire aujourd'hui Presses Universitaires de Bordeaux - Les Cahiers du Livre 2006 / 19 € - 124.45 ffr. / 235 pages ISBN : 2-86781-359-X FORMAT : 15,0cm x 21,0cm
Préface de Pascal Fouché. Imprimer
Le lecteur ordinaire a bien des raisons de ne pas comprendre le milieu de lédition littéraire. Dun côté, les éditeurs ne cessent de se plaindre des difficultés pour subsister, de lautre, cinq à six cents romans sentassent sur les tables des libraires à chaque rentrée littéraire. Dun côté des manuscrits de qualité sont refusés (souvenons-nous quil y a quelques années, tous les éditeurs de Duras avaient refusé un de ses manuscrits envoyé anonymement par la poste), de lautre la qualité générale de la littérature française semble faible par rapport à létranger.
Rappelons dabord que, si elle est une vitrine de prestige, lédition littéraire ne constitue quune très petite partie de lensemble de lédition française (moins de 20 % du chiffre daffaire) et que la plupart des éditeurs, même prestigieux, illustres et anciens, sont en réalité de modestes PME. Mais lédition connaît depuis quelques années de grandes mutations. Comme dans les autres secteurs de léconomie, celui de lédition a connu la concentration économique. De nombreux rachats ont rythmé lactualité économico-culturelle de ces dernières années, jusquà la constitution de grands groupes qui ont laissé bien peu déditeurs indépendants. Il ny a pas de raison pour que lédition reste un secteur à lécart du reste de léconomie : le phénomène de la rentrée littéraire en est un témoignage. On sent dès lors une ambiguïté fondamentale dans les témoignages qui sont convoqués ici : tous disent se battre pour la qualité littéraire mais nont à la bouche que des chiffres de vente tandis que lombre de Houellebecq et de ses centaines de milliers dexemplaires vendus plane sans cesse au-dessus de leurs propos.
Les mutations actuelles touchent lensemble de la filière du livre. Les plus touchés sont peut-être les libraires. Jean-Pierre Ohl évoque ainsi le «cauchemar de Diderot» ou comment le système de loffice (les libraires reçoivent automatiquement les nouveautés et peuvent renvoyer les invendus), a priori favorable à tous, se pervertit pour devenir lenfer des libraires. Recevant des dizaines de livres quils ne peuvent présenter dans de bonnes conditions ni même connaître, les libraires sont condamnés à être des hangars à livres. Les éditeurs, eux, se voient contraints de toujours plus publier et surtout de toujours plus diffuser. Or dans le même temps contrairement à lidée de Diderot qui voulait que les livres à vente rapide financent ceux à vente lente les livres à vente rapide fuient les librairies pour se vendre dans les grandes surfaces culturelles ou les supermarchés ; pire, il semble que les grands groupes se satisfassent très bien du système puisque la diffusion devient une source de profit en soi. Dans notre société où le fait de «communiquer» est plus important que ce que lon communique, il nest guère étonnant que la diffusion prenne le pas sur ce que lon diffuse.
Olivier Bessard-Banquy, maître de conférences associé à lUniversité de Bordeaux-III où il est responsable des enseignements en édition dans la filière «métiers du livre», est particulièrement à même de parler de ces évolutions. Bon connaisseur de lédition contemporaine, il a travaillé sur les éditions de Minuit et prépare actuellement une histoire de lédition littéraire depuis 1975. Cest dans le cadre de ses enseignements que paraît ce livre, qui constitue le travail de fin détude de ses étudiants. Á cet égard, nous pouvons leur adresser nos félicitations pour un travail qui est matériellement parfait.
Le concept est en revanche plus sujet à caution. La plus grande partie du livre est constituée dentrevues avec des éditeurs. Ce nest pas inintéressant mais cela demanderait une mise en perspective, une reprise critique de ces propos mis en parallèle avec la réalité de lédition et de ses pratiques. On ne trouve hélas rien de tel dans cet ouvrage où les témoignages livrés sont bruts et les questions complaisantes. Dès lors, la langue de bois sépanouit et les éditeurs sont tous des héros rebelles, résistants contre la médiocrité au péril de leur vie. Les titres des entretiens sont révélateurs : Jean-Jacques Pauvert ? «Je ne voulais publier que ce que les autres ne pouvaient ou nosaient publier.» Paul Otchakovsky-Laurens (P.O.L.) ? «Jai toujours fait ce que je voulais.» Georges Monti (Le temps quil fait) ? «Jai toujours été attaché à mon indépendance.»
Beaucoup plus fouillés sont les articles qui font suite à ces entretiens. Celui écrit par M. Ohl sur la librairie mais aussi et surtout les deux articles qui, précisément, tentent danalyser plus finement la réalité de lédition littéraire. M. Bessard-Banquy trace une description de Gallimard, dernier grand éditeur indépendant. M. Serry analyse la naissance de la collection «Fiction et Cie» au Seuil, ses enjeux, les forces en présence, les modalités de sa genèse. Ces quelques exemples éclairent bien mieux que ne peuvent le faire les éditeurs eux-mêmes la réalité de lédition littéraire contemporaine.
On ressort tout de même de ce livre avec une impression amère. Lédition semble atteinte de schizophrénie entre auto-satisfaction affichée et difficultés à la fois littéraires et commerciales. Même si les paroles dun Hervé de La Martinière expliquant quun éditeur est là pour gagner de largent (alors que lon croyait encore récemment que son but était de publier des livres si possible bons naïfs que nous sommes) sont inquiétantes, il semble un peu facile de sen tirer en tentant dexpliquer quil existe de bons (si possible indépendants) et de mauvais (les grands groupes) éditeurs. Certes, tous les éditeurs ne semblent pas faire le même métier et le simple compte du nombre de livres publiés annuellement peut donner une idée de limportance que la maison accorde à ses auteurs.
De toute évidence, lédition littéraire vit un moment de mutation. Elle nest jamais quun reflet de la société qui lengendre, où apparaissent de nouvelles méthodes pour se rapprocher des lecteurs (voir la prise de position du directeur des éditions Kargo sur Google print), où léconomisme fleurit, mais qui peut encore compter sur lhonnêteté et la rigueur morale de libraires, dauteurs ou de bibliothécaires.
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 13/10/2006 ) Imprimer | | |
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