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Une histoire internationale : l’histoire culturelle | | | Philippe Poirrier Collectif L'Histoire culturelle : un ''tournant mondial'' dans l'historiographie ? PU Dijon 2008 / 20 € - 131 ffr. / 198 pages ISBN : 978-2-915611-06-9 FORMAT : 15cm x 23cm
Philippe Poirrier collabore à Parutions.com
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
Lhistoire culturelle a depuis une vingtaine dannées le vent en poupe. Elle apparaît comme le secteur le plus dynamique du champ historique, et ses historiens sont présents sur tous les fronts. Ce volume, préfacé par Philippe Poirrier (auteur de Les Enjeux de lhistoire culturelle, Seuil, 2004) qui en a été le maître doeuvre, et «postfacé» par Roger Chartier - référence dans le domaine - est une illustration de sa vitalité hors des frontières françaises. Il répond aussi aux appels lancés par les fondateurs des Annales - et en particulier Marc Bloch - à penser et à écrire une histoire comparée. 16 chercheurs, en 12 essais, se proposent de définir les horizons de lhistoire culturelle dans leur pays : Grande Bretagne, France, Italie, États-Unis, Scandinavie, Australie, Suisse, Belgique, Canada, Roumanie, Espagne et Brésil : on ne résiste pas au plaisir de lénumération, tant est grande la diversité des approches et lambition du recueil.
Une diversité des approches qui sexprime dans la richesse des dénominations de cette histoire qui fut longtemps «sans nom» (pour reprendre lexpression dAlain Corbin) : histoire des mentalités devenant histoire des représentations, nouvelle histoire en France, microstoria en Italie, Allstagsgeschichte en Allemagne, Volkskunde en Suisse, Cultural Studies, Linguistic Turn, New Cultural History dans le monde anglo-américain ; chacune à sa façon témoigne de la vigueur des expressions enracinées dans des traditions nationales plus ou moins anciennes.
À la fois histoire et état des lieux, chaque contribution est intéressante et montre à la fois lunité et la diversité de lhistoire culturelle. Diversité qui tient à plusieurs causes : les origines mêmes des réflexions dhistoire culturelle : chaque pays a une approche différente et décline le travail de lhistorien à partir de champs divers. Ainsi, pour les historiens brésiliens, lhistoire culturelle, fortement influencée par les lectures de Roger Chartier et de Pierre Bourdieu, sinscrit délibérément dans une démarche danthropologie historique. Les historiens anglais, eux, marqués par la tradition marxiste et lesprit de la revue Past and Present, sintéressent davantage au social, à la suite des travaux fondateurs dE. P. Thompson (The making of the English Working Class, 1963, traduit en français en 1988). En Scandinavie, les origines tiennent plutôt à lintérêt porté aux objets et cultures du quotidien.
En Australie : lhistoire culturelle se construit dans le refus de lécriture dune histoire pensée comme construction dune identité nationale ; sy ajoute linfluence anglo-saxonne (en particulier lhistoire du genre et le tournant linguistique). Lhistoire culturelle australienne, qui se dresse contre une histoire étroitement nationale (et masculine), ouvre des horizons fortement influencés par le monde anglophone : interrogations sur les études postcoloniales, la théorie des races (influence de Clifford Geertz), des études «transnationales» dans lesquelles il sagit de réinsérer lAustralie et son histoire dans un cadre plus vaste. Les historiens italiens construisent derrière Carlo Ginzburg et Giovanni Levi une microstoria, sous lombre portée de deux grands historiens nés au début du XXe siècle : Federico Chabod et Delio Cantimori. Lhistoire culturelle italienne sinscrit à ses débuts essentiellement dans le champ de lhistoire moderne, ce qui est moins vrai aujourdhui.
Lunité de lhistoire culturelle tient, elle, à lambition affichée, à la connivence aussi qui unit au-delà des frontières ses historiens. Ici, lobjet est de construire ou dappeler à construire - une histoire comparée ; en fait, sil existe des approches et des débuts de réalisation (un colloque à Gand en août 2008 à lissue duquel a été fondée une International Society for Cultural History et une revue, le Journal of Cultural History), cette histoire comparée nen est vraiment quà ses tout débuts, et ce recueil, sil montre lindéniable vitalité de lhistoire culturelle, laisse le lecteur un peu sur sa faim sur ce point précis.
Louvrage, par les citations et références nombreuses que donnent les auteurs, illustre labondance de la production actuelle en histoire culturelle, mais aussi les généalogies et réseaux divers qui se sont construits dans les communautés historiennes, aux frontières souvent de la sociologie et de lanthropologie. Pour les année trente, on retrouve souvent les Annales ; aujourdhui, pour la réflexion théorique, lauteur le plus cité est sans aucun doute Roger Chartier. Mais ensuite chaque pays a son propre réseau de références (pour lEspagne, Peter Burke et Roger Chartier ; pour lItalie, Delio Cantimori) et ses propres approches (influence de lhistoire du livre en Italie, de lhistoire sociale en Grande Bretagne, etc.).
Face à cette richesse se pose à nouveau la question de la définition de lhistoire culturelle, et lon peut citer ici Roger Chartier qui sinterroge sur la difficulté à définir et à délimiter lhistoire culturelle : «(
) cette difficulté senracine dans les deux grandes familles dacceptions du terme «culture» lui-même. Dun côté la culture entendue comme un domaine particulier de productions, de pratiques et dexpériences intellectuelles et esthétiques ; de lautre, la culture dans sa définition anthropologique, pensée comme lensemble des mots, des croyances, des rites et des gestes à travers lesquels les communautés donnent sens au monde, quil soit social, naturel ou surnaturel» (p.191).
Aux États-Unis, lhistoire culturelle saffirme dans les années 60 et 70 dans un contexte fortement marqué par la guerre du Vietnam et les questions de la «new social history». Les chercheurs américains trouvent alors dans les travaux français des Annales et de leurs successeurs des instruments pour répondre à leurs propres interrogations qui se déclineront dans les cultural studies. Edward Berenson, face au foisonnement des travaux nord américains dhistoire culturelle, choisit de privilégier un aspect, celui des historiens américains qui ont travaillé sur la France ; à le lire, on mesure une nouvelle fois limportance de ces regards doutre atlantique sur notre histoire et surtout la richesse et la vitalité des échanges : Agulhon, Foucault, E.P. Thompson, Joan Scott, Louise Tilly
Une liste non exhaustive. Enfin, il faut souligner que linfluence de lhistoire culturelle pensée aux États-Unis dans les cultural studies est loin dêtre négligeable : elle est très forte en France mais de façon plus générale dans la communauté internationale des historiens, quelles que soient leurs traditions nationales. Sans doute davantage encore que dautres champs historiques, lhistoire culturelle est étroitement liée aux préoccupations et au regard de lhistorien ; on pourrait presque dire quil sagit dune histoire personnelle.
Un livre stimulant, que lon aimerait voir se prolonger avec dautres essais : on imaginerait volontiers un second volume couvrant dautres pays. Le livre refermé, sinstalle le regret des traductions insuffisantes, et le sentiment de rester souvent enfermés dans une histoire étroitement franco-française, alors que justement sopère ce «tournant mondial» qui inciterait à des démarches plus affirmées dhistoire comparée et de relations internationales.
Enfin leçon (et seule faiblesse relative) de louvrage : il sagit dun monument érigé à la gloire de lhistoire culturelle, sans grande contrepartie ou place laissée à quelques réserves ou critiques
Mais peu importe, lessentiel tient dans cette ouverture internationale, si peu fréquente quelle ravit le lecteur au risque de le laisser sur sa faim.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 07/04/2009 ) Imprimer
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