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La résistible ascension des Antiquités nationales | | | Jean-Paul Demoule Christian Landes Collectif La Fabrique de l'archéologie en France La Découverte 2009 / 22 € - 144.1 ffr. / 301 pages ISBN : 978-2-7071-5882-6 FORMAT : 13,6cm x 22cm
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant a publié Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Vauban : l'intelligence du territoire (2006, en collaboration), Les Ministres de la Guerre, 1570-1792 : histoire et dictionnaire biographique (2007, dir.). Imprimer
Quest-ce quun archéologue ? À lénoncé de ce mot, deux images antinomiques viennent à lesprit : dun côté, on imagine un savant digne et cravaté, en costume colonial, lorgnons sur le nez, dirigeant dassez loin une foule dexcavateurs indigènes ; de lautre, on se représente un hippie prolongé, chevelu, barbu, en jean et pull à grosses mailles, nettoyant avec une brosse à dent un trou plus ou moins boueux. Cette double caricature a lavantage de souligner que larchéologie est une discipline à la fois fort ancienne et très jeune. Fort ancienne, parce quelle tire ses origines des fouilles pratiquées dès la Renaissance ; très jeune, parce que ses méthodes et son organisation actuelle datent dun demi-siècle à peine. La Fabrique de larchéologie en France, dont les contributions constituent les actes dun colloque organisé par lInrap et lINHA en février 2008, évoque et cette généalogie lointaine et cette histoire immédiate.
Aux XVIe et XVIIe siècles, les érudits qui font pratiquer des fouilles ont pour principal objectif la découverte de monuments et surtout dobjets : monnaies, inscriptions, bas-reliefs, statues. Le contexte de la découverte ne suscite que rarement lintérêt. Ces fouilles ont lieu le plus souvent en Italie ou dans le midi de la France. Partout ailleurs, les découvertes sont fortuites. Elles interviennent lors de la construction des couvents de la Contre-Réforme, pendant des travaux de fortification ou létablissement de «grands chemins» au XVIIIe siècle. Les objets découverts sont recueillis dans les cabinets de curiosités des savants locaux et sont publiés dans le cadre de monographies destinées à défendre ou illustrer lantiquité de telle ou telle petite patrie.
En France, les premières grandes fouilles programmées ont lieu sous Napoléon III, «lempereur archéologue», afin de repérer le site dAlésia. On redécouvre le passé celtique, on invente le mot et la notion de préhistoire. Cest alors quest établi au château de Saint-Germain-en-Laye le Musée des Antiquités nationales, inauguré le 12 mai 1867. Mais au XIXe siècle, la plupart des fouilles effectuées sur le territoire national sont le fait de sociétés savantes locales, lÉtat sintéressant davantage à larchéologie plus prestigieuse du monde méditerranéen.
Le relatif désintérêt de lÉtat pour larchéologie nationale explique que la réglementation des fouilles archéologiques et lorganisation de structures administratives naient eu lieu que fort tard, sous le régime de Vichy. Ce sont les deux lois des 27 septembre 1941 et 21 janvier 1942, rédigés à linitiative du ministre Jérôme Carcopino.
Lexpansion économique et les grands travaux des «Trente Glorieuses» entraînent un certain nombre de «scandales archéologiques» doù naît une nouvelle forme darchéologie : larchéologie préventive lexpression serait apparue sous la plume de Jacques Lasfargues à la fin des années 1970 cest-à-dire la réalisation de fouilles préalables sur un terrain où doit sengager un chantier de construction ou de travaux publics. Cette nouvelle archéologie trouve sa consécration avec une grande opération : les fouilles de la Cour Napoléon de 1983 à 1986, prémisse de la naissance du «Grand Louvre».
Le paysage institutionnel de larchéologie se ramifie et se complexifie. Les fouilleurs sont employés par une structure para-administrative, lAFAN (Association pour les fouilles archéologiques nationales, créée en 1973), tandis que se créent des services régionaux de larchéologie (SRA), rattachés aux directions régionales des affaires culturelles, et bientôt des services archéologiques départementaux et municipaux. Dès 1968, Henri Seyrig préconise la création dun grand établissement national chargé de larchéologie. Rapports et audits se succèdent pendant une trentaine dannées. Enfin, en 2001, une loi transforme lAFAN en établissement public administratif : lInstitut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Le principe est reconnu que les aménageurs doivent financer intégralement les fouilles de sauvetage.
Dans une communauté archéologique marquée par une culture autogestionnaire et contestataire et par des «crises» récurrentes, la création de lInrap ne marque pas le début dune ère de sérénité. À lire les contributions qui closent ce volume, des archéologues soupçonnent volontiers lÉtat et particulièrement le ministère de la Culture davoir saboté la mise en route de lInrap. Il aurait été intéressant dentendre à ce sujet le point de vue du ministère et surtout celui des SRA, singulièrement peu représentés parmi les intervenants et souvent mis en cause. Au-delà de ces querelles, on ne peut que constater lessor extraordinaire de larchéologie préventive depuis une trentaine dannées : multiplication des moyens et des personnels par cinq ; large publicité autour des grandes fouilles et des grandes découvertes ; créations dinstitutions et de musées à léchelle nationale, régionale et locale.
Il nen reste pas moins vrai que larchéologie nationale noccupe une place centrale ni dans les institutions du patrimoine ni dans limaginaire de lÉtat. La filiation dont se réclame la France républicaine doit fort peu aux cultures préhistoriques, à celle des Celtes et des Gaulois et moins encore à celle du Moyen Age. Comme en témoigne lorganisation du Louvre, la civilisation française se rêve héritière de la théorie des «grandes civilisations» des États méditerranéens : Égypte, Mésopotamie, Grèce, Rome. Dans cette filiation, ni le local (larchéologie nationale) ni lexotique (lIslam, lExtrême-Orient, lAfrique, lAmérique, lOcéanie) nont encore trouvé leur place.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 12/01/2010 ) Imprimer
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