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Histoire & Sciences sociales -> Historiographie |
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Dans les souliers de Charles Péguy ? | | | Sonia Combe Archives interdites - L'histoire confisquée La Découverte 2001 / 13 € - 85.15 ffr. / 325 pages ISBN : 2-7071-3577-1 FORMAT : 11x18 cm
L'auteur du compte-rendu: Sébastien Laurent, agrégé et docteur en histoire, est maître de conférences à lUniversité Bordeaux III et à lIEP de Paris. Chargé détudes au Service historique de larmée de terre, il consacre ses recherches depuis plusieurs années aux services de renseignements militaires et policiers aux XIXe et XXe siècles. Il est le fondateur de la section "Histoire & sciences sociales" de Parutions.com. Imprimer
En proposant la réédition de Archives interdites, les éditions de La Découverte font - une fois de plus - uvre utile. Cet ouvrage qui donna lieu lors de sa parution en 1994 à un long débat, souvent très polémique, dans la presse quotidienne et à la radio, est aujourdhui réédité avec une préface inédite de lauteur. On rappellera dans les grandes lignes les thèses de Sonia Combe : celle-ci fustigeait dune part lattitude du personnel chargé du recueil, de la conservation et de la communication des archives, les «conservateurs darchives», dautre part elle sattaquait à lattitude de certains historiens, notamment ceux de lInstitut dhistoire du temps présent (laboratoire du Centre national de la recherche scientifique, CNRS). Elle reprochait à la majorité des archivistes des pratiques de dissimulation, voire de rétention darchives et critiquait la politique de dérogation. En effet, la loi de 1979 sur les archives qui fixe, selon les types de documents, des délais à leur communication (les archives publiques ne sont communicables, en général, quaprès un délai de 60 ans défini par la loi), ouvre la voie à des possibilités de dérogation.
Les archivistes sont chargés dinstruire ces dérogations et Sonia Combe critiquait le fait quelles soient réservées à des historiens professionnels (universitaires ou chercheurs), alors que les autres historiens et les simples citoyens se voient refusées leurs demandes de dérogations. Parmi les historiens privilégiés, lauteur incriminait les historiens professionnels de lIHTP liés à lEtat (elle rappelait notamment que ce laboratoire avait succédé au Comité dhistoire de la Seconde Guerre mondiale, dépendant, à sa création, de la présidence du Conseil). En définitive, elle montrait avec un réel talent de polémiste, que lEtat protégeait ses «secrets» par ses fonctionnaires, les archivistes et les historiens du temps présent sentendant pour un accès mesuré et réservé aux sujets les plus brûlants. Elle prenait ainsi la défense des historiens non-professionnels et des citoyens (souvent victimes ou descendants de victimes de lEtat) face à des coteries gérant et écrivant à labri de tout regard extérieur lhistoire des périodes troublées de la France. Ainsi de laffaire Dreyfus à la guerre dAlgérie en passant par les fusillés de la guerre de 1914 et la politique antisémite de Vichy, Sonia Combe révélait les pratiques contemporaines pour éviter que la vérité historique ne puisse sécrire. Au cur de son analyse, lEtat ou plutôt ses bras armés, archivistes et historiens - étaient mis en cause : lhistoire était «confisquée» par une garde prétorienne darchivistes eux-mêmes épaulés par certains historiens «professionnels» bénéficiant de privilèges daccès tout en lui donnant une caution scientifique et libérale, puisque les archives «souvraient».
Lintérêt de la réédition tient à la préface qui est une relecture par lauteur de la réception de louvrage en 1994-1995 (parue en partie dans la revue Lignes, n° 29, octobre 1996, pp. 125-156). Sur le fond, Sonia Combe réaffirme lessentiel de ce quelle avait écrit sept ans plus tôt. Sur certains points, elle a assurément vu juste, notamment lorsquelle critique les liens entre lhistoire du temps présent et le débat public. En effet, il arrive que certains chercheurs, en répondant aux sollicitations médiatiques, deviennent des publicistes, des révélateurs de «vérité», qualifiés «dexperts». La critique de lintellectuel médiatique et de lexpert, quoique déjà ancienne, est une chose juste. Mais la vraie question est de savoir sil est possible que lhistoire du temps présent échappe à ce reproche ? Est-il possible également de faire comprendre que lhistoire, y compris la plus récente, nest pas le passé mais une construction intellectuelle et moins encore, ce que le système médiatique demande, la «vérité» ?
Avec un talent de plume intact, lauteur répond à ses détracteurs. Revêtant (sans le savoir ?) la pèlerine et les gros souliers de Charles Péguy qui critiquait au début du siècle dernier les historiens professionnels de la Sorbonne, Sonia Combe réactive une tradition de discours critique chez les essayistes à lendroit des universitaires. Louvrage est vif, enlevé, mais entâché derreurs et dapproximations. Sur le fond, lauteur ne pose pas la question importante (est-ce tabou ?) de la compétence. Tout le monde peut-il lire des livres dhistoire ? Assurément. Et il en est pour Juliette comme il en est pour les érudits. Tout le monde peut-il écrire des livres dhistoire ? Certainement pas. Lanalyse et la compréhension des archives exigent des règles critiques qui sapprennent notamment par ce que lon appelait autrefois les «sciences auxiliaires de lhistoire». Il ny a là aucune défense corporatiste mais le simple constat que la recherche historique est un métier fondé sur des techniques que ne remplacent pas la curiosité et lintuition, si importantes fussent-elles (cf. Marc Bloch, Apologie pour lhistoire ou métier dhistorien, 1949 ouvrage cité en exergue par lauteur).
Certes, il est des historiens non professionnels qui ont écrit dexcellents livres dhistoire et lon songe en particulier, dans des registres fort différents, à Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Daniel Cordier ou à Serge Klarsfeld. Mais lon conviendra que ceux-ci sont plutôt rares et dautant plus méritants. Loin de nous lidée que Sonia Combe ne possède pas ces qualités mais convenons que celles-ci sont plutôt rares pour les historiens dont elle prend la défense. Indépendamment de la question majeure, on en conviendra bien volontiers des archives, ce livre défend en outre un certain type dhistoire, réduite à celle des crises, des troubles réels et des troubles mémoriels de lhistoire de France. Certes les grandes crises nationales (y compris celle de la mémoire) font partie intégrante de lhistoire générale mais épuisent-elles la compréhension de lhistoire dans sa globalité ? A lheure où fleurissent les publications souvent excellentes - sur Vichy et la guerre dAlgérie, la question mérite dêtre posée.
Sébastien Laurent ( Mis en ligne le 11/10/2001 ) Imprimer
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