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Histoire & Sciences sociales -> Historiographie |
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Historiens-archivistes : le débat continue ! | | | Sébastien Laurent collectif Archives secrètes, secrets d'archives? - L'historien et l'archiviste face aux archives sensibles CNRS éditions - CNRS Histoire 2003 / 25 € - 163.75 ffr. / 288 pages ISBN : 2-271-06157-1 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu: Responsable d'un service d'archives municipales dans le Val d'Oise, membre du GERME (Groupe d'Etudes et de Recherche sur les Mouvements Etudiants), Jean-Philippe Legois mène des recherches sur les Universités et les mouvements étudiants dans les "années 68". Il coanime le groupe de travail "Institution universitaire et mouvements étudiants" (CHEVS, Sciences-Po Paris).
Sébastien Laurent collabore à Parutions.com
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Rassemblant une partie des contributions de la journée détudes organisée le 13 juin 2002 dans le cadre du Centre dhistoire de lEurope du XXe siècle (CHEVS/FNSP), cet ouvrage permet de revenir sur les questions vives et récentes suscitées par ce quil faut bien appeler la crise des archives en France, touchant et la communauté des archivistes et celle des historiens.
Cela va faire effectivement près de dix ans que le monde des archives est, sinon en crise, du moins (re)mis en question(s). Ce sont les archives contemporaines dans leur acception large et non-archivistique -, celles du XXe siècle, et les historiens du temps présent, qui sont au cur du cyclone. La société française entretient des rapports tumultueux avec certaines périodes ou mouvements historiques lOccupation, la guerre dAlgérie, le communisme - ce qui crée des demandes sociales spécifiques auxquelles doivent répondre historiens et archivistes. Sajoutant à cela une tendance lourde au désengagement de lEtat, y compris sur certaines de ses fonctions régaliennes - dont les archives -, la dernière décennie a connu une succession de rapports (à commencer par celui de Guy Braibant, à la demande du Premier ministre, E. Balladur, en 1994) et de promesses sans suite, tant sur le plan des moyens que de lévolution de la législation. Cest dans ce contexte que cette journée détudes et louvrage qui en est issu prennent place.
Un premier groupe de communications pourrait être dégagé autour des questions douverture plus ou moins grande de certains fonds. Côté archives publiques, au sein des archives des ministères, les archives des cabinets, pour lesquelles des «protocoles de remise» ont été mis en place dans les années 80, font partie de ces "Etats dans lEtat", ce qui en a amélioré la collecte et la communication, comme nous le montrent Christine Pétillat, dans le cadre général des missions des Archives nationales au sein des différents ministères, et Hervé Lemoine, avec le cas du ministère de la Défense. Pour les cas plus «médiatiques» des archives de la période de lOccupation et de la guerre dAlgérie, le gros travail de classement et douverture (appuyé par des circulaires du Premier ministre) est rappelé avec certaines limites. Caroline Piketty, pour la Seconde Guerre mondiale, rappelle les questions déontologiques et de nécessaire accompagnement, que pose louverture darchives touchant à lintimité des personnes. Quant à Thierry Sarmant, il nous fait remarquer que louverture des archives militaires relatives à la guerre dAlgérie sest faite sans lafflux attendu des chercheurs. Nathalie Genet-Rouffiac rappelle, avec lexemple des documents classifiés au ministère de la Défense, la tension permanente entre la problématique de la conservation, et donc de la collecte la plus riche et de la «protection» de linformation et de linformateur -, et celle de la communication. Coté archives privées, les fonds de la franc-maçonnerie (Pierre Mollier) ou du Parti Communiste Français (Pascal Carreau) apparaissent bien plus ouverts que ce que leur réputation laisserait supposer, même si louverture des fonds francs-maçons sarrête le plus souvent à 1940. En contrepoint, le cas de la Russie post-soviétique (Sabine Dullin) montre que louverture des fonds dEtat peut être relative, dans le temps (une re-fermeture partielle a suivi louverture intégrale des années 1991-1992) et dans les niveaux hiérarchiques administratifs, obligeant les chercheurs à contourner «lobstacle» avec des fonds darchives dun niveau décisionnel plus bas.
Enfin, les fonds capturés par larmée nazie à Paris, puis par larmée rouge à Berlin privés et publics - (Sophie Coeuré et Frédéric Monier) montrent quau-delà de la question de louverture des fonds, la question de leur classement est primordiale, reposant le problème des moyens que notre société est prête à dégager pour les archives. Et, en deçà même de cette question du classement, lintervention de Thérèse Charmasson, relative aux archives scientifiques, rappelle que la question même de la collecte est à poser.
Au-delà de ces questions relativement classiques, mais réactualisées, douverture/classement des archives - pouvant relever parfois dun certain consumérisme universitaire -, les historiens posent également des questions de fond (sans jeu de mots!) quant aux conditions de production du travail historique. A travers les cas de la censure politique (Olivier Forcade), du renseignement (Sébastien Laurent) et de la «violence dEtat» pendant la guerre dAlgérie (Raphaëlle Branche), ce sont les «bruits» et les «silences» des documents darchives qui sont interrogés : lhistorien doit déjouer les «camouflages» et ce que S. Laurent qualifie justement d «effets de sources». On trouvera ici des arguments supplémentaires contre lidée selon laquelle les «archives parlent delles-mêmes». Serge Wolikow plaide également pour le travail critique de lhistorien à partir de lexemple des archives du Komintern, faisant pourtant partie de ce que daucuns ont nommé une «révolution documentaire».
Enfin, plus fondamentalement encore, ce sont les contributions de Vincent Duclert et de Martine de Boisdeffre, directrice des Archives de France, qui abordent frontalement la question de la crise actuelle des archives en France. V. Duclert souligne avec justesse un problème épineux : au-delà des mesures et rapports ponctuels, le désintérêt profond des autorités politiques sétant succédées depuis plusieurs années, pour la question globale des archives ; même si certaines de ses propositions de remèdes sont moins convaincantes, comme limplication plus grande des ministères de lEducation nationale et de la Recherche. Les propos de la directrice des Archives de France sont, bien évidemment, plus en retrait, mais ils nen affirment pas moins la nécessité dune reconnaissance pleine et entière de la place des archives dans notre société.
Au-delà du débat, le combat (commun) continue ! Et cet ouvrage en sera une arme supplémentaire, certes pacifique, mais non moins déterminé et déterminant !
Jean-Philippe Legois ( Mis en ligne le 19/01/2004 ) Imprimer
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