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Histoire & Sciences sociales -> Historiographie |
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Que disent les images?... | | | Jacques Walter La Shoah à l'épreuve de l'image PUF 2005 / 24 € - 157.2 ffr. / 285 pages ISBN : 2-13-055359-1 FORMAT : 15,5cm x 22,0cm
Lauteur du compte rendu : Mathilde Larrère est maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université Paris XIII et à l'IEP de Paris. Imprimer
La Shoah à lépreuve de limage est un ouvrage scientifique de sémiologie et de médiologie. Composé de plusieurs articles de lauteur, parus dans des revues spécialisées, il sadresse à un public restreint et informé. Lutilisation de concepts complexes de différentes sciences sociales (traductions, percolations, transmédiatisation, implication
) et le choix dun style précis que daucuns trouveront jargonnant pourrait décourager un usage grand public de cet ouvrage, alors même que les objets peuvent intéresser au-delà du cercle dinitiés des sciences sociales (émission de télévisions, films grand public, cédéroms interactifs
).
Tous les articles, devenus des chapitres, reposent sur des études de cas de mises en image de la Shoah, ou de ses survivants. Mais lauteur sattache surtout à présenter les interprétations que les médias ont ensuite livrées de ces «images», privilégiant les situations qui ont donné lieu à des polémiques. Il ne sintéresse donc pas à limage per se en témoigne notamment labsence de la moindre reproduction iconographique dans louvrage, mise à part la couverture - mais traite de la médiatisation des images de la Shoah, des conditions de leur émergence sur la scène publique et de leur confrontation avec les mémoires de lextermination.
Un premier chapitre, plus général que les suivants, présente les différents dispositifs dans lesquels des survivants peuvent être amenés à témoigner, de lémission historique au journal télévisé, et les occasions de prise de parole (commémorations, réactions à une actualité judiciaire, politique, ou médiatique). Le second chapitre analyse le dispositif médiatique qui a prévalu lors de lenregistrement des Dossiers de lEcran - «Vie et mort dans les camps nazis», suite à la diffusion le 6 mars 1979 du dernier épisode de la série Holocauste. Il montre tout dabord combien le dispositif de lémission a contraint les déportés à jouer un rôle dexpert à qui lon demande dauthentifier le récit fait dans la série, ou de répondre à des questions historiques sur lextermination, ce en labsence dhistoriens sur le plateau tout en leur refusant lexpression dune parole de souffrance, au détriment de la reconnaissance de leur identité de victime. Il montre ensuite comment le traitement médiatique de lémission a plus encore contribué à écarter la parole des témoins, en focalisation ses interprétations soit sur les débats suscités par la série américaine, soit sur une seule survivante présente à lémission, Simone Veil.
Le troisième chapitre présente lentreprise «industrielle» de collecte de témoignages de survivants, initiée par le cinéaste Steven Spielberg en 1994. Il explicite le dispositif dans lequel le survivant (entendu dans un sens américain, plus large que celui dancien déporté) est amené à témoigner et à livrer une parole douloureuse, présentant le protocole dentretien, la formation et les consignes de linterviewer et les conditions concrètes de tournage. Le chapitre 4, plus difficile pour le profane, rend compte de la polémique qua suscitée la présentation de quatre clichés réalisés à Auschwitz en 1944 à lexposition Mémoires des camps (Hôtel de Sully, janvier-mars 2001), et cherche à lexpliquer par les positionnements des protagonistes du débat, entre implication et distanciation. Le cinquième chapitre est consacré au débat suscité par la sortie du film de Spielberg, La Liste de Schindler, et aux questions quil a soulevées : peut-on représenter filmiquement lextermination ? Peuton en faire une fiction, un drame ? Quelles réactions face à la scène de la douche ? Il conclut sur la justesse du film dans lordre mémoriel de la Shoah à sa sortie : le film prend place dans un mouvement qui veut que lon fasse justice aux Justes. Les sixième et septième chapitres sont consacrés aux réactions médiatiques soulevées par un autre film qui représente la Shoah, La Vie est belle de Roberto Benigni : sa réception dans les médias français, puis dans la presse juive. A nouveau, le sujet des articles tient à la présentation de la polyphonie interprétative médiatique et des différentes réponses apportées à la question : peut-on rire de la Shoah ?
Louvrage présente ensuite une étude de la polémique médiatique qui a suivi linterview de Maurice Papon par Paul Amar dans le cadre de lémission du 28 janvier 1997 du Monde de Léa, ce qui le conduit à réfléchir à la confusion des genres et des scènes (quand la télévision se prend pour un tribunal et un journaliste pour un procureur), mais surtout à poser la question de la validité de la critique de la télévision par/et à la télévision, puisquil centre son étude sur lanalyse du Monde de Léa dans lémission Arrêt sur Images. Lultime chapitre pose quelques-unes des questions que soulève la création de cédéroms sur la Shoah : faut-il faire le procès de la gadgétisation, de la banalisation, du ludique, ou se réjouir de la modernisation ?
Louvrage de Jacques Walter soulève donc un certain nombre de questionnements sur les usages des images de la Shoah, image darchives, reconstitutions filmiques ou témoignages enregistrés de survivants. Il montre surtout comment différents médias (spécialisés ou à large public) ont soulevé, mais aussi parfois éludé, ses questions. On pourra regretter que lauteur présente les polémiques, caractérise les positions, mais sans apporter de réponses, ce qui donne parfois limpression dune revue de presse bien commentée. Il conclut généralement en montrant que la mise en image et son émergence sur la scène publique correspondent à une phase de la mémoire de la Shoah, ce qui, finalement, ne surprend guère.
Mathilde Larrère ( Mis en ligne le 20/02/2006 ) Imprimer
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