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Figure du traître (aux dogmes) | | | Pierre Vidal-Naquet L'Histoire est mon combat Hachette - Pluriel 2008 / 8 € - 52.4 ffr. / 219 pages ISBN : 978-2-01-279408-5 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication en novembre 2006 (Albin Michel).
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Pour la plupart des historiens actuels, Pierre Vidal-Naquet était une figure incontournable, celle de lintellectuel au sens fort du terme, à la fois penseur, chercheur, pédagogue et militant dune cause. Une figure marquée par des combats anciens (les droits de lHomme en guerre dAlgérie, le négationnisme, la raison dEtat
) qui, sans lécarter du métier dhistorien, rappellent que la connaissance suppose un esprit critique qui dépasse un simple objet détude pour devenir une vertu citoyenne. De lhistorien, on retient les grands travaux sur la Grèce ancienne, sur sa pensée, sa mentalité, des travaux imprégnés de structuralisme
lectures qui, et cest révélateur, donnaient limpression dêtre intelligent et de saisir lintime dune période et dun monde éteint. Cest donc un «grand savant» doublé dun pédagogue qui parle avec cet ouvrage, mais également un habitant de la cité, engagé dans quelques combats que la profession dhistorien justifie et éclaire.
Mais surtout, les entretiens réalisés par Dominique Bourel et Hélène Monsacré révèlent, comme ils le soulignent dans lintroduction, un «homme singulier», loin de limage un peu figée dune plume engagée dans des querelles passées, une autorité morale qui aurait pris la poussière du temps. Une découverte à faire, en somme
Ces entretiens, réalisés en juin 2006, peu de temps avant sa mort, révèlent un autre homme. De fait, Vidal Naquet naura pas eu le temps de les réécrire : cest un matériau brut, une langue parlée qui ne dissimule rien de soi, des doutes, des choix et des désirs dune vie dhistorien.
La conversation suit logiquement les étapes intellectuelles et professionnelles dune carrière riche, au sein de luniversité française. Normalien frustré, Pierre Vidal Naquet appartient de naissance à la noblesse républicaine, une noblesse non dÉtat mais de régime, qui garde dans la mémoire familiale le souvenir de combats comme ceux de laffaire Dreyfus. Les études, les rencontres intellectuelles, emmènent le jeune homme vers des champs divers, mêlés : la philosophie, lhistoire grecque, la philologie, voire la religion. Avec finesse, minutie, Pierre Vidal Naquet retrace son parcours intellectuel, comment il aboutit à tel ou tel séminaire, ce quil retire de tel ouvrage, tel professeur (et pas des moindres : Pierre Lévêque, Henri-Irénée Marrou,
), telle rencontre (Moses Finley, Arnaldo Momigliano, Claude Mossé, Jean Pierre Vernant
), telle lecture, tel enseignement. A cet égard, louvrage est déjà à destiner à un public de spécialistes pour qui ces noms résonnent. Le ton est par ailleurs très libre, et Pierre Vidal Naquet nhésite pas à égratigner quelques collègues au passage, de manière toute scientifique il est vrai (de Georges Duby à Marcel Détienne). Mais cest pour lhistoire, et à ce titre, il revient sur quelques grands ouvrages, dont le plus récent, Les Atlantides imaginaires, au sein dune carrière faite «par détours», de la philosophie à lhistoire, de la Grèce à la Palestine, de lAntiquité à lère contemporaine
Mais dans la vie de Pierre Vidal Naquet, il y a aussi de la place pour des débats très contemporains, éclairés par lantiquité : ainsi, la figure de Flavius Josèphe, autant quune histoire familiale tragique (les parents de P. Vidal Naquet moururent en 1944, victimes parmi dautres du nazisme) le ramène à une judéité quil traite à la fois de loin (il ne vient pas dune famille pratiquante et ne sest découvert juif que dans le regard des autres) et de manière intime. Embrassant, dans un même point de vue, le destin dIsraël (avec lesprit critique dun partisan de la diaspora comme force évolutive) et celui du judaïsme, il retrace quelques combats, quelques prises de positions, quelques fâcheries aussi pour une identité quil naura eu de cesse dapprivoiser, en historien et en citoyen.
Le cheminement est long pour une identité analysée comme un objet scientifique, quasi rationalisée : lhomme a parfois du mal à confronter passion et raison, voire à saisir lirrationnel du sentiment national. Cest sans doute la partie la plus introspective de ces entretiens. De même, la guerre et quelques grandes questions (la résistance et la figure du héros, le négationnisme), la raison dÉtat au prisme de la décolonisation (laffaire Audin et la torture notamment) sont lobjet dune relecture, dun souvenir, dune certitude martelée comme une évidence pour un homme qui avait intégré dans son existence tout entière sa pratique et ses qualités professionnelles. La démonstration est stimulante et le ton, assez libre, semble une vraie conversation au coin du feu, simple et en même temps enrichissante : cest surtout une découverte, celle de Pierre Vidal Naquet derrière licône savante.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 29/10/2008 ) Imprimer
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