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Une image vaut mieux qu’un discours ? | | | Christian Delporte Images et politique en France - Au XXe siècle Nouveau monde 2006 / 14 € - 91.7 ffr. / 488 pages ISBN : 2-84736-179-0 FORMAT : 13,0cm x 19,5cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
Professeur dhistoire contemporaine à lUniversité de Versailles Saint Quentin-enYvelines, Christian Delporte pose dans cet ouvrage la question du statut de limage comme source en histoire, et donne les principes dune méthode danalyse. La question est dautant plus intéressante que chacun ne peut quobserver le rôle croissant de limage dans les sociétés contemporaines plongées en permanence dans un véritable «bain visuel». Images fixes, mais aussi films et télévision, images qui, de plus en plus, traversent les frontières, nouveaux signes de la mondialisation à loeuvre. Dès le début des années 1970, des histoires précurseurs ont affronté ces sources nouvelles : Maurice Agulhon, Michel Vovelle, Marc Ferro. Ici, il sagit danalyser le rôle de limage en politique et de comprendre comment on passe au cours du XXe siècle dune propagande de masse à une communication politique. La question de la réception est évidement centrale.
Pour suivre et analyser cette évolution, Christian Delporte construit un plan en trois parties : «La République imaginée», «Guerres, propagandes et imaginaires de guerre», «Communiquer en politique». Des illustrations enrichissent le texte (indexées en fin de volume), complétées dune bibliographie et dun appareil de notes (reportés malheureusement, selon la mode actuelle, en fin de volume).
Le livre souvre sur laffaire Dreyfus, au cours de laquelle les caricaturistes se sont affrontés, alors que la mémoire collective retient encore aujourdhui le célèbre dessin de Caran-dAche paru le 14 février 1898, dans le Figaro et intitulé Un dîner en famille («Surtout ne parlons pas de laffaire Dreyfus !...ils en ont parlé») : en quelques traits efficaces, Caran dAche mieux quun long discours montre la «guerre civile» au coeur même des foyers. Tous les journaux emploient des caricaturistes, et si les clivages sont moins tranchés quon aurait tendance à le penser, au fur et à mesure que laffaire se déploie, les caricaturistes se répondent dun bord à lautre : Le Pilori, La Croix affirmant leur hostilité, Le Siècle défendant, lui, Dreyfus. Le dessin fait vendre et participe à la campagne politique. Les dessinateurs sont alors Forain, Steinlen, Willette, Grandjouan
Tous ces dessinateurs ont fait de solides études artistiques et leurs dessins ne sont que secondaires, «alimentaires», dans leur production. Autour de laffaire Dreyfus, lantisémitisme utilise les traits habituels, dressant les portraits de juifs caricaturaux. Cependant, dans le domaine de la caricature politique, laffaire Dreyfus est peut-être la dernière étape du XIXe siècle, dans la mesure où les hommes politiques ny prêtent quune attention distraite ou amusée, qui contraste avec les lectures du XXe siècle au cours duquel limage acquiert un statut de démonstration à part entière.
A côté du champ politique, la publicité - qui nait au XIXe siècle - utilise aussi la République en clin dil ou par souci pédagogique, tel Félix Potin qui, lors dune campagne dimages à collectionner en achetant du chocolat, propose 500 photographies de «célébrités» et place au sommet le président de la République. Marianne est volontiers convoquée elle aussi, image familière, frivole ou sévère, tenue par un président complice, ridicule ou féroce
Sa banalisation témoigne de lévolution des esprits. Limaginaire républicain occupe progressivement un espace quotidien par le biais dune image de plus en plus présente, en dehors des espaces qui étaient traditionnellement les siens. Dans les années 1920, le statut de dessinateur parlementaire devient un statut à part entière, le trait se simplifie, le propos politique lemporte sur le souci du dessin, les hommes politiques eux-mêmes sy exercent volontiers, tel Tardieu ou Vincent Auriol. Les dessinateurs de cette génération sont Sennep pour la droite, Gassier pour la gauche ; ils tiennent à partir de 1926 un salon annuel : le «Salon politique» et se retrouvent à lAssociation des dessinateurs parlementaires.
Parmi les thèmes en vogue dans le premier XXe siècle, figure limaginaire colonial : une image reste célèbre entre toutes, celle des publicités de Banania et du tirailleur sénégalais. Christian Delporte analyse en quoi, contrairement aux anachronismes en cours aujourdhui, cette image résulte en fait dune lecture positive de la vaillance du soldat («synthèse de lénergie farouche prêtée aux Noirs et des qualités nutritives du cacao», p.68). LEmpire est exploité massivement dans liconographie des années 20/30, car il fait vendre dans une société qui, à la faveur des expositions coloniales, découvre ses terres lointaines et en éprouve de la fierté ; il est exploité dailleurs pour être exalté mais aussi par les anti-colonialistes qui dénoncent ces lectures. Enfin on retrouve tout un imaginaire stéréotypé : noirs virils, indigènes cocasses, «primitifs» à éduquer
Si les stéréotypes caractérisent les images coloniales, on les retrouve aussi dans le renouveau de la xénophobie liée à lantisémitisme qui accompagne la période du Front Populaire, Léon Blum en fait particulièrement les frais, et comme ses traits napparaissent pas assez «sémites», les caricaturistes précisent en général leur propos en ajoutant quelques signes clairs : chandelier à 7 branches par exemple. Sous la Troisième République, la réelle liberté de la presse entraîne par contraste la grande inquiétude des journalistes dès lors que celle-ci paraît menacée ; à cet effet, les dessinateurs créent Anastasie, allégorie de la censure. Selon Christian Delporte, seuls en Europe les dessinateurs français inventent, sans doute dans les années 1820/30, cette figure de la censure, brandissant ses ciseaux, accompagnée de la chouette, oiseau de nuit. Très sollicitée à la fin du XIXe siècle et pendant la Grande guerre, Anastasie disparaît ensuite.
Pendant la guerre, la photographie (interdite aux soldats qui transgressent cependant pour vendre les clichés pris en fraude au Miroir) vient relayer le dessin, mais celui-ci garde son statut, efficace pour dénoncer les «atrocités boches». En février 1917, larmée fonde le SPA (service photographique de larmée) ; naissance de nouvelles images, le XXe siècle apparaît avec un autre statut accordé au visuel. Limage participe aux combats par sa puissance dévocation et de mobilisation des esprits, et le combat se continue jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, entretenant en particulier la méfiance à légard des espions cachés de la «cinquième colonne». Pendant cette guerre, les milieux collaborationnistes utilisent aussi limage à lappui de leurs idées, vantant lhomme nouveau, viril et héroïque ; un dessin animé, Nimbus libéré, avertit la population des risques inconsidérés que lui font courir les débarquements alliés
Toutes les propagandes dun siècle fortement idéologisé font appel à limage, efficace dans sa simplicité. Christian Delporte consacre un chapitre à Jean-Paul David et à son mouvement «Paix et Liberté», qui fait le choix du camp atlantique dans la guerre froide, et édite des affiches célèbres : celle de «La colombe qui fait BOUM», brin de laurier en bec, et marteau et faucille sur laile, colombe cuirassée, allusion au mouvement de Stockholm pour lequel Picasso avait dessiné la colombe de la paix. Guerre dimages là encore.
Au cours du premier XXe siècle, on voit aussi dans les affiches lexaltation des leaders politiques, inégales selon les partis politiques, et qui suscite cependant une certaine méfiance. Longtemps les partis de droite hésitent à faire réaliser des affiches, à la différence des socialistes et des communistes qui ont été plus précoces dans la mobilisation électorale (affiches, tracts..). Les années trente sont celles dune évolution : de la propagande négative (laffiche célèbre du bolchevik au couteau entre les dents) à la propagande positive («Sois jeune, vote socialiste»). Thorez, De Gaulle, à la Libération, sont au centre daffiches personnalisées. Cependant le visuel évolue : dès les années trente le film commence à simposer (actualités cinématographiques). Dans les années 50, le nouveau media visuel est désormais la télévision. On loublie toujours, mais le premier homme politique français à avoir utilisé la télévision pour tenter de se donner une image plus charismatique est Guy Mollet dans une série dentretiens avec Pierre Sabbagh, de juin à décembre 1956. La première campagne télévisée est celle de septembre 1958. Désormais, dans un monde qui se transforme à vive allure, limage télévisée ou cinématographique lemporte dans le domaine politique. Paraître à la télévision, triompher de son adversaire dans un «duel», acquiert une importance fondamentale. Les hommes politiques travaillent leur télégénie, ils apprennent à «communiquer», et si les affiches occupent lespace des rues et des murs lors des grandes campagnes électorales, le quotidien, lui, est rempli par la télévision. Aujourdhui
mais demain ? Internet se construit et avec lui de nouvelles images, favorisées par linventivité graphique quoffrent les logiciels. Images que lon a vues fleurir en 2002 lors du second tour de lélection présidentielle. Si loutil est neuf, les procédés puisent aussi dans un répertoire ancien. Reste posée la question de la circulation planétaire et de ses conséquences : question largement ouverte
La documentation devient immense, proliférant, difficile à saisir dans son ensemble.
Ainsi, de lAffaire Dreyfus aux caricatures de Jean Marie Le Pen, Christian Delporte nous conduit dans une lecture dhistorien sur le statut de limage en politique. Venant compléter les sources traditionnelles, limage (dessins, caricatures, affiches, films, émissions télévisées
) est essentielle pour comprendre lhistoire politique, entre autres. Au cours de la période, elle remplit progressivement lespace et, à ce titre, doit être interrogée selon des méthodes précises.
Précis, de lecture aisée, louvrage de Christian Delporte, destiné à un public dhistoriens, intéressera aussi un public plus vaste, surtout en ces semaines denses de 2007, alors que lactualité politique chargée nous donne à voir quotidiennement des images qui se veulent pleines de sens.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 21/02/2007 ) Imprimer | | |