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Histoire & Sciences sociales -> Historiographie |
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Histoire et géographie des pratiques intellectuelles | | | Collectif Christian Jacob Lieux de savoir - Tome 1, Espaces et communautés Albin Michel 2007 / 75 € - 491.25 ffr. / 1277 pages ISBN : 978-2-226-17904-3 FORMAT : 18,5cm x 25,5cm
L'auteur du compte rendu : Archiviste paléographe, Rémi Mathis est conservateur stagiaire des bibliothèques, en formation à lENSSIB. Il prépare une thèse de doctorat sur Simon Arnauld de Pomponne à lUniversité de Paris-Sorbonne, sous la direction de L. Bély. Imprimer
Le «savoir» est un objet fondamentalement ambigu. Tout amateur ou chercheur a pu se rendre compte de la rapidité avec laquelle lobsolescence frappe lappréhension des connaissances, qui correspond forcément à une société et à un temps donné. Une thèse dhistoire de 1900 est difficilement réutilisable pour un chercheur actuel. Le savoir est donc lui-même un objet dhistoire qui peut être questionné en étudiant les pratiques dont il est lobjet, les usages qui en sont faits, ses diffusions. Ce savoir est produit et reconnu comme tel par les hommes dun temps et dun lieu donné : le présent ouvrage pose la question de savoir ce quest une communauté de savants et celle des rapports que ces communautés peuvent entretenir avec lespace de la pensée et des institutions où se déploient leurs activités.
La volonté des auteurs nest pas de recenser les pratiques ou les diverses modalités qui ont pu encadrer la communauté des savants à un moment ou à un autre de lhistoire humaine. Il ne sagit nullement de rédiger une encyclopédie. Louvrage se veut plutôt un lieu où les diverses contributions se répondent, se contredisent, séclairent les unes les autres dune lumière nouvelle, à la manière des livres dune bibliothèque. Les quarante-neuf notices qui composent louvrage sont certes des études de cas précises et rigoureuses à travers une très grande variété de situations empiriques. Elles se focalisent sur un thème précisément localisé dans lespace et le temps, des Sumériens à nos jours, décortiquant la notion de savoir et montrant comment la connaissance est saisie dans un espace donné, à la fois géographique et social.
La volonté est de sortir des cloisonnements traditionnels (sciences/humanités ; savoir/spiritualité ; recherches sur les diverses époques et les diverses civilisations), non pour comparer lincomparable, mais pour introduire des questionnements nouveaux. Le comparatisme nest pas mené dans la vue de trouver des invariants historiques ni daboutir à un désespérant relativisme. Les notices introduisent un dépaysement qui fait naître un fécond questionnement chez chacun des chercheurs. La comparaison se veut donc avant tout un outil heuristique au service dune réflexion plus ample et plus profonde : la confrontation oblige chacun à préciser ses approches, sa méthodologie, ses concepts, ses biais
et à les mettre ainsi à la disposition de la plus large communauté scientifique.
Cest pourquoi le livre est construit sur deux niveaux. Le premier est constitué des chapitres portant sur les thèmes les plus diversifiés. Mais à un second niveau se fait jour une réflexion plus théorique, qui se fonde sur la confrontation de ses études et les introduit. Ces chapitres servant darticulation entre les parties se situent au centre du projet et éclairent les études de cas assez descriptives dun jour nouveau. En somme, les transitions forment le corps dune réflexion qui prend naissance dans les études de cas et ces dernières servent dillustrations à ce texte théorique.
Afin de mener à bien ce vaste projet avec la plus grande diversité possible dans les approches, il a été fait appel à des chercheurs historiens, sociologues, anthropologues qui travaillent sur des sujets a priori très dissemblables, des scriptoria bouddhique de la Chine médiévale à la documentation électronique en bibliothèques universitaires, des origines de linsuline à loasis de Dunhuang, sur le Route de la soie. Ces contributions sont regroupées selon un plan thématique, qui fait se côtoyer des articles portant sur des lieux et des thèmes très différents. Lattention est déjà portée sur la notion de communauté de savoir, à travers les épreuves permettant den faire partie, des signes dappartenances et des règles de linstitution ainsi créée.
Les lieux du travail savant sont lobjet dune seconde partie qui tente de faire le lien entre ces lieux et un mode dorganisation lié, ayant à son tour une influence sur la production intellectuelle. Toutefois, la notion même de lieu de savoir est transformée par la dématérialisation qui remplace la géographie du lieu à une géographie de laccès. La notion de mobilité et les logiques spatiales sont approfondies dans une troisième partie, qui met laccent sur les notions dattraction et de flux : il est bien difficile de cartographier le savoir tant celui-ci est dynamique, fait de mobilité et ditinérance. À plus petite échelle, les lieux de savoir évoquent chez les lecteurs, des villes, centres intellectuels devenus mythiques comme lAlexandrie hellénistique, la Bagdad abbasside, Paris et Rome aux XVIIe et XVIIIe siècles, le Berlin de Humboldt. Cest le thème de la quatrième partie qui ne sarrête pas à ces figures de proue mais étudie également les villes interdites soviétiques, tout entières vouées à la recherche scientifique ou léducation dans la ville indienne de Pune au début du XIXe siècle.
Premier volume dune entreprise de longue haleine qui doit en comporter quatre, ces Lieux de savoir sont appelés à faire date et à renouveler les approches de plusieurs disciplines. Lui-même lieu de savoir, louvrage se veut également réflexion sur lui-même puisquil est construit à travers des instruments intellectuels, administratifs et sociaux qui sont ceux dune époque et dun milieu. À travers les pratiques mises en uvre pour rédiger louvrage, cest une véritable mise en abime qui se fait jour. Dailleurs, le titre de louvrage se situe déjà dans le prolongement des célèbres Lieux de mémoire, qui ont marqué toute une génération dhistoriens. Manière de prendre place dans le paysage orthodoxe des sciences humaines françaises de ce début de millénaire. Cest aussi comme ceci que se constitue le savoir.
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 18/01/2008 ) Imprimer | | |
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