|
Histoire & Sciences sociales -> Témoignages et Sources Historiques |
| Angélome de Luxeuil Commentaire sur la Genèse Cerf - Sagesses Chrétiennes 2010 / 29 € - 189.95 ffr. / 313 pages ISBN : 978-2-204-09118-3 FORMAT : 12,6cm x 19,5cm
Traduction de Pierre Monat
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est agrégé dhistoire et docteur en histoire médiévale. Sa thèse a porté sur «Église, richesse et pauvreté dans lOccident médiéval. Lexégèse des Évangiles aux XIIe-XIIIe siècles». Imprimer
Angelome de Luxeuil est peu connu : il a vécu lessentiel de sa vie au monastère de Luxeuil dans la première moitié du IXe siècle, en cette époque de «renaissance carolingienne». Comme beaucoup dexégètes médiévaux, il nest connu que par les commentaires quil a laissés, en loccurrence sur la Genèse, les Livres des rois et le Cantique. Le dernier volume de la collection «Sagesses Chrétiennes» propose une traduction du commentaire de la Genèse, fondée sur le texte latin édité au XIXe siècle dans la Patrologie Latine. Cest un travail utile et courageux auquel sest livré Pierre Monat car le latin de ces commentaires, aux démarches qui peuvent parfois sembler contournées, nest pas simple à rendre en français.
Ce volume permet ainsi au lecteur francophone de découvrir lexégèse médiévale telle quelle était couramment pratiquée dans les monastères carolingiens, qui constituaient de grands centres détudes. Il y retrouvera des éléments typiques de ce genre au Moyen Âge : un commentaire linéaire, verset par verset, qui livre rarement une vision densemble mais peut sattacher de façon très approfondie à certains mots ou à certaines expressions, et qui nécessite dailleurs davoir une Bible en regard pour remettre les versets commentés dans leur contexte ; la pratique bien connue des différents niveaux de sens est bien sûr omniprésente, même sil ne faut pas sattendre à retrouver les quatre sens de lÉcriture : le sens historique ou littéral est suivi dun sens allégorique, qui relève tantôt de linterprétation morale ou tropologique, tantôt de la typologie (selon laquelle, par exemple, Jacob est une image du Christ), et plus rarement de lanagogie. Le chapitre 49 offre un bon exemple de cette méthode : linterprétation historique est suivie dinterprétations allégoriques. Différents passages, notamment dans le chapitre 30, théorisent le principe du passage au sens allégorique. Enfin, troisième aspect caractéristique de lexégèse médiévale, limportance accordée aux autorités : le commentaire est en grande partie le tissage de citations patristiques, dont on peut dailleurs regretter que lorigine ne soit pas plus clairement indiquée par léditeur (qui sen explique toutefois en introduction).
Il ne faudrait néanmoins pas réduire à ces trois caractéristiques lexégèse monastique médiévale, et cest en cela que cet ouvrage est le plus intéressant. On y voit un auteur soucieux daffirmer en prologue que la proximité de son commentaire avec celui dAugustin est largement fortuite dans la mesure où il na connu le texte de lévêque dHippone que tardivement. Cest dire quil sestimait capable, de lui-même, datteindre une telle hauteur de vue. De même, son utilisation des sources patristiques ne relève pas de la servitude : tantôt il conserve ce qui lintéresse pour son propos, tantôt il renvoie simplement à la lecture des auteurs plus anciens, tantôt il suggère au lecteur de se forger son propre avis.
Surtout, un des éléments les plus marquants de cette lecture est lattention quAngelome porte au sens littéral. Même sil affirme, assurément, la supériorité du sens allégorique, lui-même accorde au sens premier une importance considérable. Létablissement du texte biblique est une question pour lui primordiale et elle létait effectivement pour dautres exégètes de son temps. Il ne semble pas connaître lhébreu, mais il compare très régulièrement les différentes traductions dont il dispose et saisit les occasions de ses voyages à Aix-la-Chapelle pour en consulter dautres (p.164). Il en ressort des développements pas toujours évidents à saisir, mais révélateurs de sa démarche.
Ceci fait, il sintéresse à la compréhension historique du sens littéral, ce qui vaut des développements fondés sur la science de son temps, et des questions sur la cohérence des épisodes bibliques relatés. Il introduit aussi, autant que possible, les connaissances ethnographiques dont il pouvait disposer. Tous ces éléments peuvent souvent paraître dépassés, mais sont remarquables en ce quils démontrent quun auteur carolingien, pour comprendre le texte biblique, mettait à profit tous les savoirs dont il pouvait disposer.
En quatrième de couverture, léditeur présente ainsi louvrage qui vient dêtre traduit en français : «témoignage dune période de lhistoire de lexégèse, il intéressera non seulement les exégètes, mais tous ceux qui pratiquent la lectio divina». Si, sans aucun doute, cest un témoin important de lexégèse carolingienne, il présente aussi lintérêt déclairer sur les réalités de la lectio divina médiévale. Telle quelle apparaît dans ce commentaire, ce nest pas une vague lecture méditative emprunte de spiritualité, une simple rumination où lactivité du lecteur saccorderait avec une certaine somnolence. Au contraire, il sagit dune vigilance de lesprit, dans laquelle le lecteur est constamment appelé à utiliser les savoirs de son temps pour approfondir le donné biblique, et à faire lui-même des choix interprétatifs. Cette démarche intellectuelle est effectivement à imiter, et constitue bien une leçon de lecture biblique, même si son résultat pourra parfois dérouter.
Emmanuel Bain ( Mis en ligne le 08/03/2011 ) Imprimer | | |
|
|
|
|