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Un modèle ambigu
Laurent Pernot   Alexandre le grand, les risques du pouvoir
Les Belles Lettres - La roue à livres 2013 /  25 € - 163.75 ffr. / 242 pages
ISBN : 978-2-251-33967-2
FORMAT : 13,7 cm × 21,0 cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE), est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire de la Sorbonne à Paris, où il est responsable du CADIST Antiquité. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.
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La figure d’Alexandre le Grand a toujours fasciné, dès l’Antiquité, et pas simplement des hommes d’action comme Pompée ou César, qui se lamentait, à trente ans, «en pensant qu’il n’avait encore rien fait de mémorable à l’âge où Alexandre avait déjà soumis toute la terre», comme le rapporte Suétone (mais aussi Dion Cassius ou Plutarque). Le conquérant a représenté très tôt un sujet étudié dans les écoles, offrant par exemple des thèmes d’exercices rhétoriques. La connaissance de son épopée s’intègre ainsi pleinement dans la paideia grecque, modèle d'éducation dont il a lui-même bénéficié, ayant comme précepteur le célèbre Aristote. Alexandre avait su s’entourer d’historiographes et de portraitistes célébrant sa gloire de son vivant, mais ceux-ci prolongèrent son souvenir après sa mort. Cela n’empêcha pas, pourtant, ce souvenir d’être pour le moins contrasté. En effet, la plupart des récits sur Alexandre font ressortir les contradictions du personnage. Son règne coïncida avec une épopée militaire aux conséquences durables, mais il fut bref et dépourvu à la fois de postérité dynastique et de pérennité institutionnelle. Sa conduite personnelle oscillait entre la noblesse et les plus graves déportements : il respecta et honora la mère, l’épouse et les filles de Darius, mais tua son fidèle ami Cleitos. Il pouvait se comporter comme un roi juste et généreux, mais aussi comme un abominable tyran.

Les textes présentés ici par Laurent Pernot, professeur à l’Université de Strasbourg et membre de l’Institut, ayant déjà publié dans la même collection des Eloges grecs de Rome (1997), proviennent d’auteurs et d’horizons différents : un chevalier romain de la fin de la République et du début de l’empire, originaire d’Espagne (Sénèque le Père) ; un notable grec de Pont-Bithynie contemporain des Flaviens et de Trajan (Dion de Pruse) ; un satiriste d’origine syrienne, de l’époque antonine (Lucien) ; une foule de déclamateurs grecs et latins, célèbres ou anonymes, échelonnés sur plusieurs siècles et actifs à Rome ou dans les provinces.

Sont d’abord exposées deux suasoires de Sénèque le Père (dit aussi «le Rhéteur» ou «l’Ancien» pour le distinguer de son célèbre fils homonyme). La première (Suasoire I : Alexandre délibère pour décider s’il doit naviguer sur l’Océan) évoque l’épisode célèbre correspondant à la fin de la conquête, lorsque les soldats d’Alexandre refusèrent de le suivre au-delà de l’Hyphase. Sont successivement précisés le point de vue d’Alexandre, puis celui de ses opposants. La Suasoire IV est intitulée Alexandre délibère pour décider s’il doit entrer dans Babylone. Des astrologues chaldéens ont tenté de le dissuader de revenir dans la capitale mésopotamienne après ses conquêtes orientales. D’abord tenté d’écouter ces derniers, il change finalement d’avis sous l’influence de Grecs comme le philosophe Anaxarque (cela ne lui réussit guère puisqu’il meurt quelques semaines après son entrée dans la ville). C’est ce point de vue que Sénèque expose en faisant intervenir le célèbre rhéteur Arellius Fuscus – qui occupe à lui seul la presque totalité du chapitre – puis un disciple anonyme de ce dernier, et enfin le célèbre orateur grec Hybréas de Mylasa.

Viennent ensuite deux des Discours sur la royauté (II et IV) de Dion de Pruse, surnommé Chrysostome («Bouche d’or») en raison de son éloquence. Le deuxième Discours (jamais traduit jusqu’à présent en français) rapporte un entretien entre Alexandre et son père, le roi Philippe, qui est censé se dérouler en Macédoine, à l’occasion de la célébration des Olympia de Piérie. Alexandre est à cette époque l’élève du philosophe Aristote, mais commence à participer au gouvernement et aux campagnes militaires de son père. Le jeune prince multiplie les affirmations catégoriques et fait même la leçon à son père. Celui-ci ne se laisse pas émouvoir par ces impertinences. Il se réjouit de l’intelligence de son fils, mais n’hésite pas à le rembarrer quand il va un peu trop loin. Le discours devient cependant vite un monologue d’Alexandre exposant les idées de Dion – plutôt d’obédience stoïcienne – sur Homère et la royauté. Il examine la culture, le mode de vie, les vertus (courage, justice, douceur, bienfaisance, respect des dieux) et les principes de gouvernement qui conviennent au bon roi, représentant de Zeus et image, sur terre, de ce qu’est le dieu suprême dans l’univers. Face à cet idéal, le tyran fait figure de repoussoir. Le quatrième Discours sur la royauté met aux prises Alexandre avec le philosophe cynique Diogène de Sinope, qu’il aurait rencontré à Corinthe. On connaît l’injonction fameuse du philosophe : «Ôte-toi de mon soleil !», à laquelle Alexandre répondit : «Si je n’étais pas Alexandre, je serais Diogène». Contrairement au discours précédent, ce n’est pas Alexandre qui mène le jeu, mais son interlocuteur. Après une rugueuse prise de contact, le philosophe enchaîne les semonces envers le jeune roi. Il compte montrer au futur conquérant qu’il est vain de dominer autrui, si l’on ne se domine pas soi-même. Diogène reconnaît cependant en Alexandre une nature noble et généreuse, donc accessible aux vérités morales, même s’il est emporté, vaniteux et versatile. Un bon roi doit se méfier de l’amour de l’argent, de l’amour des plaisirs et de l’amour des honneurs et de la gloire. L’œuvre se termine sans qu’Alexandre ne reprenne la parole, car ici c’est Diogène qui prononce le monologue final. A l’orientation cynique de la démonstration se superposent des éléments platoniciens et stoïciens. Peut-être peut-on voir également dans ce texte une mise en garde voilée contre les ambitions de conquête de Trajan.

Le recueil nous offre ensuite trois des Dialogues des morts de Lucien (120-180 ap. J.-C.). Le Dialogue XII présente les mêmes interlocuteurs que le Discours II de Dion de Pruse, c’est-à-dire Alexandre et son père Philippe, mais dans une atmosphère bien différente. Loin de se montrer admiratif, Philippe réprimande son fils et déplore ses excès. Il raille notamment ses prétentions à la divinité. Le Dialogue XIII présente, quant à lui, les mêmes interlocuteurs que le Discours IV de Dion, en mettant en scène un Diogène qui rudoie et manipule Alexandre afin de l’amender. Le Dialogue XXV s’inspire de l’anecdote selon laquelle Hannibal et Scipion l’Africain se seraient rencontrés à Ephèse en 193 av. J.-C., et auraient opéré alors un classement des plus grands généraux, dont eux-mêmes et Alexandre. Lucien a imaginé un affrontement direct entre Alexandre et Hannibal outre-tombe, la responsabilité de les partager revenant à Minos, l’un des juges des Enfers. Chaque discours associe l’éloge de soi-même et la dépréciation de l’adversaire, quitte à travestir la vérité. Ce pseudo-procès se termine par la proclamation d’un palmarès, qui place Alexandre en premier, Scipion en deuxième et Hannibal en troisième.

La quatrième partie de l’ouvrage est constituée de sujets de déclamations délibératives et judiciaires, grecques et latines, relatives à Alexandre. Cette liste est classée suivant l’ordre chronologique des événements auxquels les sujets se réfèrent. Les sources prises en compte s’échelonnent sur la longue durée, tout au long de l’Antiquité et même à l’époque byzantine. On obtient un total de vingt-quatre sujets, mentionnés dans quarante-six passages, dont deux fragments papyrologiques. Ces sujets offrent une présentation d’Alexandre moins profonde et moins raffinée que les textes précédents du volume. Les situations imaginées sont souvent imaginaires, voire invraisemblables (par exemple : «Alexandre délibère pour décider s’il doit transformer les îles en continent»). L’image d’Alexandre est dans l’ensemble peu favorable.

Deux appendices présentent la théorie des trois «démons» dans le Discours IV de Dion de Pruse, ainsi que la fin énigmatique de cette même œuvre. A la suite des notes regroupées en fin d’ouvrage, on trouve une bibliographie de douze pages permettant à ceux qui le souhaitent d’approfondir la réflexion, ainsi qu’un très utile index. Une chronologie et une carte de l’épopée d’Alexandre sont, quant à elles, placées en début d’ouvrage, juste après l’avant-propos.

Invoquer la figure d’Alexandre le Grand permet à tous ces philosophes, sophistes et rhéteurs de poser la question du bon usage du pouvoir. L’exemple du conquérant sert à critiquer les dérives de l’absolutisme et à blâmer la tyrannie du despotisme oriental et les excès du culte du souverain, voire du pouvoir impérial contemporain. Il sert aussi à définir les qualités du bon roi et à proposer un idéal de monarchie qui peut également être valable pour l’empereur romain. La réflexion sur le roi se double d’une réflexion plus large sur l’homme et ses moyens de maîtriser ses passions en s’appliquant à la vertu. En fait, Alexandre illustre la grandeur et la misère du pouvoir absolu, où l’âme risque de se perdre. Cette notion de «risque» donne d’ailleurs son titre, fort judicieusement, au présent ouvrage.


Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 04/06/2013 )
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