| Jean Hoen KLB. Journal de Buchenwald - 1943-1945 PUF 2013 / 23 € - 150.65 ffr. / 432 pages ISBN : 978-2-13-062084-6 FORMAT : 13,4 cm × 21,6 cm
Olivier Lalieu (Préfacier) Imprimer
Tout na donc pas été dit sur le Konzentration Lager Buchenwald (KLB, 1937-1945). Soixante-huit ans après sa fermeture, alors quune abondante bibliographie rend compte dune des premières institutionnalisations massives de linhumanité nazie, à linstar de Dachau et dOrienburg-Sachsenhausen, paraît ce «reportage vécu» écrit par lauteur durant les deux années de son internement à Buchenwald, à ladresse dun «ami lecteur» potentiel. Récemment découvert dans le grenier familial, le manuscrit nous parvient aujourdhui miraculeusement intact : inestimable cadeau pour les spécialistes et amateurs de cette tranche dHistoire, à partir duquel de nombreuses pistes pourront être approfondies comme le souligne Olivier Lalieu, présentateur de louvrage.
Médaillé posthume de la Résistance en 1962, Jean Hoen (1884-1949) a traversé la Première Guerre mondiale en tant que menuisier ébéniste dont les compétences ont été mises au service de lindustrie aéronautique ; entre-deux guerres, il se consacre à des entreprises, lune de maçonnerie, lautre dédition. Arrêté à Marseille le 1er mars 1943 pour faits de Résistance, grâce aux bons soins de ses logeurs, il séjourne deux mois à la prison Saint-Pierre (désaffectée depuis au profit des Baumettes) puis cinq mois au camp de Compiègne avant, en dépit de son âge et de sa santé précaire, sa déportation à Buchenwald, là aussi sur dénonciation. Il est mort peu dannées des suites de sa détention, à soixante cinq ans.
Ni écrivain ni journaliste mais homme de conviction sinon dindignation, il fait paraître à son retour FRONSTALAG 122, première trace de son expérience, rédigée à Compiègne durant lété 1943, puis essaye en vain de diffuser celle-ci, finalisée en mai 1945. Sa préface annonce le ton familier voire passionnel de louvrage, ponctué de lettres majuscules et de nombreux points dexclamation : «(
) ce sera surtout un REQUISITOIRE contre ces lâches bourreaux, dignes descendants des Vandales dont ils ont conservé toute la cruauté et qui nous ont martyrisé dans notre esprit et dans notre chair (
). Que les français qui se sont faits les pourvoyeurs de ces camps ; que ceux qui ont laissé faire et commettre de telles atrocités (
) ne cherchent aucune excuse. Ils sont jugés. Et devront payer (
)».
Rédigé dans lurgence et le soucis de communiquer à tout prix au lecteur hors du camp une trace de ce qui se joue à lintérieur, ce document, établi avec laide de quelques témoins oculaires, fournit en 480 pages compactes assorties dun dossier iconographique un témoignage minutieux sur les conditions quotidiennes de captivité, matérielles et relationnelles. Point par point, poste par poste, bloc par bloc, plan conçu par lun de ses camarades (pp.231-232), chiffres (pas toujours fiables) et anecdotes à lappui, Jean Hoen passe en revue de façon systématique et néanmoins vivante léventail signalétique des déportés, les modalités dhébergement et les multiples subdivisions du travail dans le camp, jardinerie, «Pouf» (la maison close) et «Krematorium» compris. Beaucoup de noms propres sont cités, parmi lesquels les lecteurs actuels peuvent retrouver ceux de célébrités et de proches, vivants ou disparus. Expliquer, convaincre de lauthenticité des faits vus et vécus à Buchenwald, telle est la finalité première de cette trace écrite.
«(
) mon reportage nest pas un morceau de littérature et il me faut appeler les choses par leur nom (
)», nous dit lauteur, page 213. Le principal intérêt de sa description, détaillée sans recherche particulière délaboration littéraire ou politique au prix déquations sommaires : allemand = nazi, russe = rustre, polonais = méchant, à resituer dans la conjoncture des années quarante , réside dans la somme et la diversité des informations quotidiennement collectées durant les deux dernières années dexistence du KLB, augmentées déchos de Dora, Laura, Mauthausen, tandis quaffluent les convois venus dAuschwitz et que saccumulent les charretées de cadavres. Si de nombreuses observations corroborent des témoignages ultérieurs, dautres, inédits, concernent notamment les paradoxales relations solidaires, voire généreuses, entre prisonniers, au sein de lindifférence, de la corruption et de la violence généralisées. Le bombardement de Buchenwald en août 1944 donne lieu à des pages dun saisissant réalisme. Bien dautres, aussi passionnantes, méritent une attention soutenue. Tout au long de lexposé plane la menace dun départ «en transport», ultime déchirure vers une destination inconnue, jusquau départ effectif pour «les marches de la mort» et lévasion finale des plus chanceux le 9 avril 1945, suivie de multiples péripéties.
À condition de replacer le texte dans son contexte, de privilégier le contenu à la forme à peine relue (scrupuleusement reproduite) et lirremplaçable singularité de sa dimension subjective aux reconstitutions réalisées après-coup, KLB Journal de Buchenwald, 1943-1945 offre une mine considérable de données et de réflexions encore «à chaud». Cette passionnante découverte gagnera cependant à être confrontée à la (re)lecture des ouvrages de référence plus distanciés parus à proximité des évènements : LUnivers concentrationnaire (David Rousset, prix Renaudot 1946), Der SS-Sta,at, Das System der deutschen Konzentrationslager (Eugen Kogon, 1946, traduit en français en 1970 : L'État SS) et LEspèce humaine (Robert Antelme, 1947). Bien dautres ouvrages et témoignages danciens déportés publiés par la suite rendent compte dune réélaboration à distance, notamment à travers lanalyse et la transposition fictionnelle : un tout autre registre, non abordé ici.
Monika Boekholt ( Mis en ligne le 22/10/2013 ) Imprimer
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