|
Histoire & Sciences sociales -> Témoignages et Sources Historiques |
| Vassili Choulguine Les Jours Editions des syrtes 2003 / 20 € - 131 ffr. / 251 pages ISBN : 2-84545-075-3 FORMAT : 14x23 cm
L'auteur du compte rendu : Pascal Cauchy, chargé de conférence à l'IEP de Paris depuis 1994, est secrétaire général du Centre d'Histoire de l'Europe du XXème Siècle (CHEVS) de Sciences Po. Imprimer
Voici une traduction plutôt attendue. Dni (Les Jours) de Vassili Choulguine ont souvent été cités par les historiens de la Révolution russe. Mais difficilement accessibles, ces mémoires risquaient fort de tomber dans un oubli immérité jusquà leur réédition en URSS en 1989.
Vassili Choulguine (1878-1976) est issu dune famille de la noblesse ukrainienne. Chroniqueur à Kiev, il sengage en politique à un moment où lEmpire russe se métamorphose. Nationaliste, il milite au sein des «centuries noires» avant dêtre élu député à la Douma impériale. Ses mémoires, cest lhistoire de toute la genèse de léphémère parlementarisme russe qui, de 1905 à 1917, tente de donner des couleurs politiques et démocratiques à la Russie. Monarchiste, il nest guère tendre avec ses collègues députés. Redoutable orateur, il nen est pas moins représentatif de toute une élite politique européenne au début du XXe siècle, considérant que la représentation parlementaire est nécessaire à la paix sociale.
Le récit se concentre sur les années de la Première Guerre mondiale, les derniers jours de la Constitution. La Révolution de Février nemporte pas seulement lEmpire, elle ruine les chances dun régime constitutionnel. Les responsables : assurément la gauche, cest à dire la grande majorité des parlementaires démocrates, mais également lentourage impérial de Saint-Pétersbourg et Raspoutine.
Ce nest pas dans ses jugements, excessifs, que le livre est intéressant mais dans le récit au quotidien des événements à partir du plus haut sommet de lEtat. On ne lit pas sans émotion labdication de Nicolas II obtenue à Pskov par la délégation dont Choulguine fait partie. De même les portraits quil trace de Rodzianko, le président de la Douma, de Milioukov ou du théâtral Kerensky, en disent plus long sur le poids des hommes sur les événements que bien des analyses rétrospectives. Car le grand drame politique que souligne Choulguine cest léchec du Parlement et limpuissance de ses membres face à la Guerre, face à la rue. «Tels nous sommes, les hommes politiques russes. En renversant le pouvoir, nous navions même pas le courage, ou plutôt la salutaire lâcheté de penser à labîme béant qui souvrait sous nos pieds». La politique, cest aussi une expérience. Choulguine est nationaliste et monarchiste mais il croit en la politique, celle de la confrontation des hommes peut-être plus que des idées.
En toile de fond de cette pièce dramatique, il y a le peuple russe, le paysan dUkraine et les Juifs. Ceux la même qui en 1905 sont victimes dun pogrom près de Kiev. Cest dailleurs sur le récit minutieux de ce pogrom, auquel il assiste, que Choulguine ouvre les Jours. Son antisémitisme est bien celui de la noblesse de lEmpire, qui conjugue le mépris des paysans, du peuple et du non chrétien.
Après Octobre, Choulguine rejoint au sud larmée Wrangel. Il quitte la Russie en 1920 pour sinstaller comme beaucoup démigrés à Belgrade. Cest en Yougoslavie quil sera arrêté en 1944 par les Soviétiques et emprisonné en URSS jusquen 1956. Relégué de force à Vladimir, il y meurt en 1976 à lâge de 99 ans.
Les Jours, publiés à Berlin, comme bien des témoignages dhommes politiques russes, paraissent à Petrograd en 1927. Deux autres livres de mémoires suivent dont Les Trois capitales qui témoignent de ce destin dexilé.
Souhaitons que léditeur français de Choulguine persévère et nous offre la suite des Jours. Et ce, dans une traduction aussi agréable que celle que nous devons à Elisabeth Mouravieff.
Pascal Cauchy ( Mis en ligne le 16/12/2003 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Lénine de Hélène Carrère d'Encausse Histoire de l'URSS de Sabine Dullin | | |
|
|
|
|