Arlette Lebigre Monsieur de Gourville Mercure de France - Le Temps retrouvé 2004 / 22 € - 144.1 ffr. / 316 pages ISBN : 2-7152-2413-3 FORMAT : 14x21 cm
L'auteur du compte rendu : Rémi Mathis est élève à l'Ecole Nationale des Chartes. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne sous la direction d'Olivier Poncet (ENC) et Lucien Bély (Paris IV). Imprimer
La collection «Le Temps retrouvé» du Mercure de France sétoffe peu à peu et nous offre les Mémoires de Monsieur de Gourville. Sachant que ce livre navait pas été réédité depuis plus dun siècle et quil était devenu fort rare, le lecteur ne peut que se réjouir de cette publication.
Dautant plus que ces Mémoires ont le charme suffisant pour attirer un large public : la vie de Jean Hérault, sieur de Gourville est un véritable roman, digne des Trois Mousquetaires et du Bossu. Il naît en 1625 dans une famille de petite bourgeoisie provinciale. Malgré un père mort très tôt, il reçoit une certaine éducation et peut travailler chez un procureur à Angoulême avant de devenir valet de labbé de La Rochefoucauld. Le frère de ce dernier, célèbre auteur des Maximes, le remarque et demande à prendre le jeune valet à son service lors de la campagne de 1646 puis, définitivement, comme secrétaire. Cela lui donne loccasion de traiter avec le contrôleur général Particelli dHémery, de qui il sait se faire apprécier et qui lui permet de faire ses premières affaires. La Fronde est lépisode rêvé pour quun homme si actif et si habile se révèle : il y plonge à la suite de son maître et est de tous les complots, de toutes les évasions, de toutes les batailles. Il ne nie pas quil est «fort désireux de [se] signaler, à quelque prix que ce pût être». Tantôt il obtient de largent de la princesse douairière de Condé en vue de faire évader son fils emprisonné par Mazarin, tantôt il connaît la prison à Sedan, tantôt il vole 8 000 livres au receveur royal des tailles mais, homme dhonneur, en lui signant une quittance avant de partir.
La révolte a toutefois une fin et Gourville négocie avec le cardinal Mazarin avec qui il se lie. Il fait également la connaissance du surintendant Fouquet, quil aide à corrompre des conseillers au parlement et qui facilite son ascension. Il achète une charge de secrétaire du roi, «trouv[e] moyen dobtenir des lettres de conseiller dÉtat», achète le fief de Gourville au duc de Longueville, prête de largent à son ancien maître La Rochefoucauld ; le roi lui-même linvite à jouer avec lui. Il est un homme important, à tel point quaprès la disgrâce de Fouquet, bien quil soit recherché, il se contente de se retirer en Angoumois mais ne se cache pas. En 1663 enfin, il se décide à passer à létranger : en Franche-Comté et à Bâle à partir doù il remonte le Rhin jusquà Utrecht puis en Angleterre où il rencontre Saint-Evremond et fait la conquête de Charles II qui linvite à sétablir à Londres. Il sinstalle finalement à Bruxelles où il ne peut sempêcher de se mêler de politique : lambassadeur dAngleterre lui demande son avis sur la conduite à tenir vis-à-vis des Provinces-Unies
Lionne lui-même, secrétaire d'État aux affaires étrangères, le contacte pour négocier au nom du roi avec la maison de Brunswick alors même quil est condamné à mort par contumace en France !
Malgré cela, il rentre en France mais, ayant Colbert pour ennemi, il doit repartir pour lEspagne, au service de Condé qui demande au roi dEspagne le paiement de lourdes dettes ; Lionne, toujours attaché à lui, double sa mission dun versant officiel qui lui donne loccasion dune étude complète du pays, de son économie à la vie du peuple. De retour à Paris, il est surintendant des affaires et maisons du prince de Condé : il gère sa fortune et toute la vie princière ; cest lui qui est le supérieur de Vatel quand il se suicide en raison du retard de la marée. Condé lui donne la jouissance de son château de Saint-Maur où il reçoit Mme de Sévigné ou Racine. Il est encore chargé de plusieurs missions diplomatiques et se retire progressivement en 1688 à la mort de Condé puis en 1693 quand une crise dapoplexie le frappe. Il vit doucement ses dernières années après avoir distribué sa fortune aux Condés, à sa famille, à ses serviteurs et à des uvres de charité. Il meurt en 1703 avec un siècle quil a contribué à rendre Grand.
Véritable roman historique ayant ce siècle pour toile de fonds, on croise dans cet ouvrage les plus grands, parfois sous un jour mal connu : La Rochefoucauld, Condé, le cardinal de Retz, Fouquet, Colbert, Pomponne ou Turenne ; on passe de la Bastille à Vincennes et dAngoulême à Versailles. Beau parleur, toujours actif, toujours intrigant, émule du dArtagnan de Dumas, Gourville est attachant. Mais, au-delà, ces Mémoires sont surtout un témoignage : Gourville est contemporain de nombreux événements de première importance et il est souvent bien renseigné. Plus quune lecture agréable, louvrage est une source pour lhistorien à qui il fournit des renseignements inédits.
Il sadresse donc à plusieurs publics. Dune part le grand public cultivé qui se laissera emporté par le rythme de la narration, la vision et le discours décalés de lauteur et la vérité (parfois à relativiser) des faits relatés. Cest à ce public que sadresse en priorité le livre : les notes établies par Arlette Lebigre explicitent les sous-entendus et expliquent les points obscurs ou difficiles au non spécialiste ; sa préface replace le récit dans son contexte historique. Tout est fait pour que le novice en histoire ait accès à cet ouvrage. Mais dautre part, ces Mémoires intéresseront les spécialistes de la période : le point de vue dun contemporain est toujours intéressant, surtout quand il a côtoyé au plus près certains des plus grands personnages du temps et à participé à des missions secrètes ou des événements mal connus. Ces spécialistes pourront cependant être un peu déçus de lédition proposée qui ne répond pas aux critères scientifiques actuels. Le texte a en effet été repris sur lédition précédente de Léon Lecestre, qui date de 1895, et lon en a conservé lorthographe modernisée. De plus, les notes renvoyées en fin de volume obligent le lecteur à se reporter sans cesse à une page lointaine avant de reprendre sa lecture qui perd en fluidité : on ne dira jamais assez que la place dune note est en bas de page. On peut en revanche se féliciter de la présence dun index complet et précis qui facilite grandement les recherches ponctuelles.
Ainsi, malgré ces quelques défauts, qui sexpliquent certainement par le choix éditorial de la collection qui cherche à faire accéder le plus grand nombre à ces textes historiques, on ne peut que se réjouir que les Mémoires de Monsieur de Gourville ait été réédités. Leur lecture devrait combler le plus grand nombre, en attendant la publication dautres témoignages sur lépoque comme les Mémoires de Brienne le jeune cette année.
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 15/03/2005 ) Imprimer
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