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Considérations inactuelles
Joseph de Maistre   Considérations sur la France - Suivi de Essai sur le principe générateur des constitutions politiques
Complexe - Historiques 2006 /  11.60 € - 75.98 ffr. / 277 pages
ISBN : 2-8048-0113-6
FORMAT : 11,5cm x 18,0cm

Préface de Pierre Manent.

L'auteur du compte rendu : agrégé d’histoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure. Il a fait des études d’histoire et de philosophie. Après avoir été assistant à l’Institut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à l’histoire des polémiques autour des origines de l’Etat russe.

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L’œuvre de Joseph de Maistre (1753-1821) a été un classique de la pensée conservatrice française et catholique européenne au 19ème siècle. Et nombreux en ont été les admirateurs. Son style classique étincelant, «français» Grand Siècle et Lumières, suit les préceptes cartésiens de clarté et distinction avec la grâce de l’esprit, sans pédantisme assommant, selon le vœu de Pascal de faire œuvre utile auprès des honnêtes gens. Et comme le rappelle Pierre Manent qui préface cette réédition, c’est comme styliste brillant, comme écrivain expressif, condensant sa pensée en formules mémorables (la Restauration royaliste ne doit pas être «une contre-révolution mais le contraire d’une révolution») que Maistre s’est fait lire au-delà du cercle de l’émigration, puis du parti ultra-royaliste ou légitimiste, acquis idéologiquement.

La lecture de ses œuvres a cependant subi les effets de l’enracinement de la France dans les principes de 1789. Apparaissant comme un ultra et un réactionnaire trop idéologue dès 1814 et la Charte, il assista à une Restauration ambiguë, dont il fut à la fois l'un des meilleurs analystes et presque une Cassandre. La royauté devait choisir ses «principes», disait-il : 1789 et la souveraineté nationale-démocratique ou le droit divin appuyé sur la tradition française des lois fondamentales et le développement organique inégalitaire de la société d’ordres. On trouve dans cette volonté de rappeler la royauté à ses principes chrétiens, religieux, providentiels, articulés avec logique, comme un écho de Bossuet. Moralité exemplaire des élites qui doivent susciter le respect et l’obéissance, force de caractère et sens des devoirs d’état, hiérarchie des capacités et des positions sociales, mais aussi censure raisonnée des idées fausses venues du protestantisme et des Lumières, ces courants superficiels et contradictoires aux effets moraux et sociaux dévastateurs. Maistre meurt peu de temps après le retour du Roi, et de ce Louis XVIII qu’il avait appelé à soutenir sans faille pendant l’exil : mais la Restauration ne se fait pas sur les bons principes et il pressent la rechute faute de sens du «système» et de principes cohérents. En 1830, la France bascule dans la royauté constitutionnelle parlementaire et libérale, qualifiée de «meilleure des républiques» par La Fayette, parrain du régime de Louis-Philippe et l'une des bêtes noires de Maistre. L’évolution démocratique – plébiscitaire et impériale ou républicaine, qu’elle soit présidentielle ou parlementaire - ne fait que confirmer la défaite de Maistre. Le coup de grâce est infligé longtemps après sa mort par l’échec entre 1871 et 1873 de la restauration du comte de Chambord. Or Chambord incarnait la fidélité aux principes de légitimité de la vieille monarchie, dont l’attachement au drapeau blanc était le symbole.

Maistre demeure alors une lecture de référence nostalgique pour l’extrême-droite royaliste et catholique vaincue par l’histoire. Et lu au-delà dans toute l’Europe monarchiste, il prend une plus grande actualité après 1815 avec la poursuite irrésistible du processus engagé en 1789 en France : la logique libérale gagne les élites, les peuples puis les Etats sans que la répression puisse l’arrêter ou la circonscrire. Même les conservateurs orthodoxes étudient le très papiste Maistre : le tsar Alexandre Ier, qui - après avoir vaincu Napoléon Ier - avait voulu unir les monarchies d’Europe en chrétienté conservatrice – était justement inspiré par l’écrivain, qui - après le succès des Considérations - avait dû en 1797 quitter la Savoie sous la pression du Directoire et émigrer dans l’empire des tsars, où il composa ses célèbres Soirées de Saint-Pétersbourg. Mais l’échec de la Sainte Alliance de 1815 prouve-t-il la fausseté des solutions réactionnaires et religieuses de Maistre ou l’incapacité des monarchistes à les mettre en œuvre ?

Pour Auguste Comte, né deux générations après Maistre, admirateur du catholicisme organisateur et habité comme lui du souci d’ordre et de développement organique réaliste, Maistre est partiellement vrai et mérite d’être intégré à la doctrine du positivisme, à titre de source d’inspiration à côté de Condorcet et Saint-Simon. Mais les républicains positivistes ne retiendront pas cet hommage et c’est dans l’Action française qu’on retrouvera cet héritage, en partie par la médiation de Comte. Ainsi Léon Daudet (qui d’ailleurs n’est pas très «comtiste») publie-t-il en 1908 un Maistre et Blacas et l'on remarque l’influence de la logique maistrienne dans l’œuvre historique de Daudet ou Gaxotte. En 1943, H. Guillemain propose aux Français de relire les Considérations (Genève) : un remède ? Cioran, issu de l’extrême-droite roumaine, historiosophe gnostique et disciple de l’auteur des Considérations, publie chez J.-J.Pauvert en 1957 Du Pape de Maistre avec une préface admirative.

«S’il faut en croire l’avertissement des éditeurs de 1814, les Considérations auraient eu trois éditions antérieures : les deux premières en 1796 à Lausanne et la troisième à Bâle (en réalité Londres). Cette chronologie est contestée» (Tulard). Mais la présente réédition ne traite pas de l’histoire des textes. Elle reproduit celui de 1814, qui sert d’édition de référence. La préface – facile à lire, claire et instructive - se situe surtout au niveau de l’histoire des idées, domaine d’étude de P. Manent. Elle rappelle que Maistre est le premier auteur royaliste francophone (il est savoyard et sujet du roi de Sardaigne) à s’élever au-dessus du journalisme, des gémissements, malédictions et menaces pour tenter de penser le phénomène révolutionnaire et en expliquer la généalogie, la nécessité relative, la logique de développement et l’origine des succès à partir d’une grille théorique. Cette grille procède d’un point de vue politique assumé, mais ce point de vue exprime, pour Maistre, la compréhension rationnelle des faits fondamentaux de la vie sociale (inégalité, hiérarchie naturelle, besoins vitaux du corps social, etc.) tels qu’on peut les observer depuis l’aube de l’humanité. En cela, Maistre est politologue et sociologue traditionaliste, qui défend le principe des sociétés d’ordre de l’ancien régime comme celui-là même de toute organisation sociale durable. Aussi la Révolution est-elle une illusion qui dure et qu’il faut subir avec stoïcisme le temps qu’elle s’épuise d’elle-même, en sauvant ce qui peut être sauver jusqu’au moment de la reconstruction qui sera une restauration de l’ancien (en ce qu’il a de fondamental et d’éternellement valide) dans un contexte nouveau. Comme le signale Manent, si stimulante soit-elle, il y a des limites dans cette philosophie de l’histoire et une part de dogmatisme : il faut expliquer comment du bien est sorti le mal, comment la catastrophe a été possible et la solution de Maistre est… «la Providence» !

Pour lui, c’est la seule solution : la révolution est un chaos plein de tueries, or Dieu, créateur ordonnateur qui existe nécessairement, ne peut vouloir le mal, c’est donc que la Révolution est un châtiment mérité. La toute-puissance se conjugue à la liberté : ce sont les hommes impies qui fabriquent l’instrument de leur châtiment, dont souffriront aussi ceux qui furent trop lâches pour les arrêter. La Révolution fait partie du plan de Justice de Dieu, une épreuve qui doit régénérer l’ordre social naturel. Pourquoi pas ? Mais c’est une vision de croyant et une interprétation qui laisse des doutes et non une explication décisive incontestable. Manent a raison de souligner que le providentialisme à la Bossuet de Maistre n’est d’ailleurs qu’une des formes du dogmatisme des laïques Lois de l’Histoire. Par où le réactionnaire Maistre n’est dans ses dogmatismes pas si éloigné des structures de l’illusion de certaines philosophies «modernes» de l’histoire. On explique une totalité du Temps historique (passé-présent-avenir) par des principes absolument englobants qu’on ne connaît pas et qu’on ne peut connaître, en généralisant des inductions opérées sur le passé. Or non seulement plusieurs interprétations concurrentes du passé sont possibles mais l’avenir est fait d’inédit qui bouscule les cohérences rétrospectives des savants: se produisent soudain des «événements». Et la Révolution française avec ses suites en est un cas.

Manent distingue cependant dans l’œuvre de Maistre cet aspect transcendant «providentialiste» (on pourrait ajouter l’attachement à la royauté et aux formes des anciens régimes) d’une autre dimension : une approche sociologique naturaliste, anti-individualiste et anti-constructiviste de la politique, qui reste une source d’inspiration pour la pense conservatrice occidentale. Refus des ruptures brutales, des programmes de transformation radicale nés de la volonté humaine, appel au respect d’un principe de réalité, dont la nature et l’histoire avec ses cycles sont la démonstration. De ce fait, comme Burke, Maistre défend l’idée du développement organique des organisations, un processus spécifique à chaque unité, enraciné culturellement, géographiquement, concrètement. D’où son respect de la constitution traditionnelle britannique. Il ne s’agit pas de caricaturer cette idée d’une prudence politique et d’une méfiance devant les utopies, ni de nier l’existence de tels cycles et de conditions limitant le possible dans le présent. Cependant même là, il semble qu’on retombe dans une certaine illusion statique et anhistorique, dont témoignent les amusantes prophéties de Maistre sur la jeune république d’Amérique: on ne construira jamais ex nihilo une ville néo-classique nommée Washington, et si c’est le cas, on ne lui donnera pas ce nom, et en tous cas, elle ne deviendra jamais la capitale des Etats-Unis !…

Les Considérations sur la France sont l’œuvre d’un Savoyard, qui ne s’était jamais senti «Français». Maistre est d’avant le principe des nationalités, il croit aux royaumes. Et son amour pour la vieille France le fait fuir en Suisse puis en Russie au moment de l’invasion de sa province en 1792 par la France révolutionnaire. Mais sa pensée, on l’a dit, s’inscrit dans une méditation de portée universelle et c’est l’objet de son Essai sur les principes générateurs des constitutions politiques.

Cette réédition groupée des Considérations et de L’Essai sur le principe générateur des constitutions politiques dans un volume de poche mérite d’être signalée car l’œuvre de Maistre ne se trouve plus guère dans le commerce. Les Considérations sur la France avait été réédité chez Garnier en 1980 (collection «les classiques de la politique» de Claude Nicolet) avec une introduction, des notes et une bibliographie bien faites de Jean Tulard, historien de l’époque napoléonienne et co-auteur avec Gaxotte d’une Histoire de la Révolution d’inspiration conservatrice (1974). L’édition de référence des OEuvres Complètes de Maistre restent celle de la Librairie Catholique Emmanuel Vitte (Lyon 1884-1887), reprise par cette maison dans les années 20, qu’on trouve parfois chez les bouquinistes et qui a fait l’objet d’une réédition «reprint» par Slatkine (Genève) en 1979-80. La meilleure synthèse sur l’œuvre reste celle de robert Triomphe (Droz, 1968), même si Tulard souligne ses aspects polémiques d’après-guerre.


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 11/10/2006 )
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