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Notes d’un temps perdu
Marguerite de Saint-Marceaux   Journal 1894-1927
Fayard 2007 /  50 € - 327.5 ffr. / 1467 pages
ISBN : 978-2-213-62523-2
FORMAT : 15,5cm x 23,5cm

Edité sous a direction de Myriam Chimènes.

Préface de Michelle Perrot.

L’auteur du compte rendu : Professeur de Philosophie, Thibaut de Saint Maurice enseigne dans un lycée des Hauts-de-Seine. Il assure dans le même temps, des cours de psychosociologie en BTS communication.

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Comment retenir le temps qui passe ? Comment conserver ce temps qui se perd lui-même à force de laisser les jours se succéder les uns aux autres ? Certains répondent à ces questions en laissant aller la rêverie mélancolique, d’autres la nostalgie ou d’autres encore, comme Jacques-Henri Lartigue, prennent frénétiquement des photos pour en faire de grands albums rouges. Marguerite de Saint-Marceaux, elle, décide de tenir un journal. Ecrire chaque jour le fil de la journée, garder une trace de tout ce passage de l’existence, sans prétention littéraire, ni souci particulier d’introspection : voilà le premier effet que donne la consultation de ces 1400 pages de journal, tenu entre 1894 et 1927, dont l’édition est procurée par Myriam Chimènes, directrice de recherche au CNRS.

Qui est Marguerite de Saint-Marceaux ? Pourquoi son journal, parmi la multitude de ceux qui furent tenus à la même époque, se trouve-t-il aujourd’hui publié ? C’est que pendant plus de quarante ans, Marguerite de Saint-Marceaux orchestra le principal salon musical de Paris, recevant le vendredi, dans son hôtel particulier du 100 boulevard Malesherbes, les plus grands musiciens de son temps, ainsi que des amateurs triés sur le double volet de la respectabilité bourgeoise et de la compétence musicale. A ce titre il constitue une source unique pour l’histoire culturelle de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, ainsi qu’un témoignage sur la vie quotidienne de la haute bourgeoisie de cette époque.

Fille de drapiers de Louviers, Marguerite de Saint-Marceaux est née en 1850. Ses parents s’opposent à son mariage avec Saint-Saëns, parti trop peu sérieux sans doute et lui préfèrent Eugène Baugnies, peintre mais fils d’une grande famille de brasseurs belges, fixés en France. Veuve en 1891, elle se remarie l’année suivante avec le sculpteur René de Saint-Marceaux, surtout connu pour un Arlequin exposé au Musée des beaux-arts de Reims. Bien que deux fois liée aux arts plastiques, elle construit son salon autour de ses premières passions : la musique et le chant.

Le vendredi donc, chez Marguerite de Saint-Marceaux, se croisent Debussy, Fauré, Ravel, Messager, Chabrier ou Massenet, tandis qu’Isadora Duncan, et avec elle la danse moderne, fait ses premiers pas dans ce salon, tandis que les intrigues pour les élections à l’Institut se nouent et se dénouent, dans des murmures, près des fenêtres. Après un rapide dîner, les convives prennent tour à tour place au piano et le reste de la soirée est consacré à la musique et au chant. On y joue en avant-première les dernières compositions, on y déchiffre Wagner ou Puccini, on se risque même parfois à monter quelques pièces. Amateurs et professionnels mêlent leurs talent : la règle étant que ne sont invités que ceux qui peuvent justifier d’un quelconque talent artistique. Outre ses talents propres, Marguerite de Saint-Marceaux se distingue par ses dons d’animatrice : elle parvient à réunir et à faire se rencontrer des gens très divers, permettant ainsi à de jeunes musiciens de se faire connaître et d’accéder au succès.

Si en quarante ans ce salon voit défiler une foule de personnalités plus ou moins célèbres, il accueille aussi la famille et les amis, et au fur et à mesure des notations, le journal dessine tout autant l’étendu d’un réseau que la vie d’une famille particulière. Mère de trois fils, Marguerite tient la chronique de tous leurs apprentissages et se fait l’écho des naissances, des alliances et des deuils. On voyage, on rend visite, on construit de nouvelles maisons, on s’émeut de l’affaire Dreyfus, on assiste perplexe au progrès du socialisme, on ressent, de «l’arrière», la Grande Guerre, on devine par moment que l’on est contemporain de la fin d’un monde, sans trop savoir de quoi sera fait le prochain. Dans cette vie, les grandes amies sont peu nombreuses mais fidèles et l’on découvre la vie de ces femmes, interdites de vie professionnelle, qui se rattrapent en développant des sociabilités concurrentes. Tout le paradoxe tenant dans le fait que, bien vite, leurs relations deviennent indispensables à la réussite d’un mari, d’un frère, d’un cousin ou d’un amant de passage.

Sans qu’elle puisse s’en rendre compte, les pages de son journal se lisent comme la matière première des grandes comédies sociales que les écrivains de ce temps savaient dresser. Marguerite de Saint-Marceaux serait même la source de l’inspiration de Proust pour le personnage de Madame Verdurin, bien qu’il soit assez difficile d’établir une relation entre les deux personnes. Pas de trace de Proust dans les soirées du vendredi, et «Meg» ne se fait pas l’écho de la publication des écrits proustiens. Seul un ami commun, Reynaldo Hahn, et quelques documents permettent d’appuyer l’hypothèse.

Parcourir ce journal c’est donc revivre toute une époque, par la déclinaison du détail du quotidien perdu de la haute bourgeoisie de la rive droite. Si à la même époque la rive gauche vit au rythme des avant-gardes poétiques, littéraires et picturales, avec le salon du 100 boulevard Malesherbes, la rive droite s’empare de la musique et la fait entrer dans le XXe siècle.

Il faut ici saluer le magnifique travail éditorial réalisé avec ce journal. La précision de l’apparat critique et la multiplication des index en font un formidable outil de travail pour l’historien, en même temps qu’ils facilitent, pour le lecteur non spécialiste, les plongées dans cet océan de notes tant littéraires que musicales.


Thibaut de Saint-Maurice
( Mis en ligne le 01/10/2007 )
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