 | |
Derrière le masque de l'Etat-Nation | | | Delphine Bechtel Xavier Galmiche Collectif Les Villes multiculturelles en Europe centrale Belin 2008 / 29 € - 189.95 ffr. / 295 pages ISBN : 978-2-7011-4430-6 FORMAT : 13,5cm x 21,5cm
L'auteur du compte rendu : Historien des relations internationales à Sciences Po Paris, Pierre Grosser est directeur des études de linstitut diplomatique du ministère des affaires étrangères. Imprimer
La manière décrire lhistoire de lEurope a bien changé. Il ne sagit plus de juxtaposer des histoires nationales voire nationalistes. LEtat-nation, qui a longtemps paru laboutissement de la modernité, apparaît désormais comme une exception dans lhistoire longue des sociétés et des pouvoirs. Surtout, le coût de sa volonté dhomogénéité a été considérable. Les travaux se sont multipliés sur les pathologies de cette construction étatique nationale. En particulier, lassimilation forcée, le nettoyage ethnique, les migrations forcées etc
ont été replacés au cur de lhistoire européenne. Dès lors, les Empires, les régions (segmentées artificiellement par des frontières, et devenant des périphéries de pouvoirs centraux), les «petits peuples» qui au mieux furent considérés comme minorités «ethniques», les diasporas et les villes multiculturelles, qui étaient des formes condamnées parce quelles étaient contraires à lépure de lEtat-nation, sont désormais réhabilités. Dans le cas des villes multiculturelles, sajoutent le marketing touristique et la compétition pour lattractivité : la diversité et la tolérance sont érigées en atouts, voire théorisés par des gourous des politiques urbaines comme Richard Florida.
Dexcellentes biographies de villes se sont donc multipliées (Smyrne, Salonique, Breslau/Wroclaw, Vilna Wilno/Vilnius, Sarajevo, etc.), afin de montrer comment la pluralité culturelle, religieuse, linguistique, a souvent été victime de la construction étatique nationale. Dans cet ouvrage collectif, ce processus est décrit pour les grandes capitales dEurope centrale et pour certaines villes des confins (entre autres Odessa, Lemberg/Lvov/Lviv, Danzig/Gdansk). Les chapitres sont tous dexcellente qualité, reposant sur une bibliographie abondante heureusement présentée en annexe. Ces biographies sont les meilleurs points dentrée pour comprendre la complexité de lhistoire de l«Autre Europe» qui est si mal connue et si peu enseignée en France. Elles sont aussi à conseiller fortement pour tous ceux qui veulent visiter intelligemment ces villes, puisquelles nhésitent pas à mettre en relief lhistoire de lieux particuliers (quartiers, rues, monuments
). Certaines sont des tours de force, puisquil sagit de présenter une histoire tumultueuse et complexe en un nombre réduit de pages.
Ainsi, le lecteur peut saisir comment Prague est devenue tchèque, mais surtout comment Gdansk est devenue totalement polonaise alors même que moins de 10% de la population était polonaise entre les deux guerres, et comment Lviv est devenue une ville ukrainienne (et même un centre du nationalisme ukrainien), alors quelle était avant tout une ville polonaise. Les contributions montrent toutefois les limites de la multiculturalité au XIXe siècle : les populations étaient parfois juxtaposées, et il y avait des rivalités et des tensions (notamment sociales, comme pour les Slovaques de Budapest, lesquels étaient avant tout ouvriers et domestiques), qui toutes nétaient pas des produits de lhystérie nationaliste (ainsi des rivalités entre Grecs et Juifs à Odessa). La tradition multiculturelle de Dantzig/Gdansk est en grande partie une «invention» des autorités urbaines post-communistes.
Si a plusieurs reprises, la présence juive apparaît comme un «indice» de la diversité, les auteurs sefforcent de ne pas sombrer dans la simplification qui fait des Juifs et des Allemands dEurope centrale les maillons essentiels de la multiculturalité, balayés par le génocide et les expulsions. Ils montrent la très grande diversité du monde juif, qui na pas été en tous lieux synonyme de cosmopolitisme. Enfin, ils insistent sur les limites de la re-diversification actuelle de ces villes, au-delà de la nostalgie pour une époque révolue, avant les drames du XXe siècle.
Pierre Grosser ( Mis en ligne le 17/03/2009 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Vilna, Wilno, Vilnius de Henri Minczeles | | |