 | |
L’exception occidentale ? | | | Victor Davis Hanson Carnage et culture Flammarion - Champs 2010 / 12 € - 78.6 ffr. / 598 pages ISBN : 978-2-08-080093-0 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication française en 2002 (Flammarion)
Traduction de Pierre-Emmanuel Dauzat
L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
La guerre comme produit dappel de la culture occidentale : si lidée nest pas neuve (cf. louvrage de Geoffrey Parker sur La Révolution militaire), elle demeure dactualité. Certes, comme réalité internationale, la guerre nest pas lapanage de lOccident qui, même, semploie plutôt à lencadrer, via le droit international, et la combattre, via diverses institutions, procédures arbitrales et autres théories dingérence ou de «peace building»
Mais il faut bien reconnaître que dans le domaine guerrier, lOccident terme complexe, qui désigne ici une culture propre autant quune communauté ou un territoire sest acquis une compétence reconnue, tant technologiquement quintellectuellement. Quels sont alors les fondements de cette compétence ? Peut-on, en reprenant le débat lancé par Franco Cardini, évoquer une culture de guerre spécifiquement occidentale ? Et quels en sont alors les fondements ?
Postulant, dans une introduction théorique, à une causalité politique (la fameuse sentence de Clausewitz, sur la guerre comme prolongement de la politique résonne toujours), lauteur évoque une «conception juridique de la liberté» qui justifie et légitime leffort de guerre en Occident : bref, une conception citoyenne, politique de la guerre, qui expliquerait les évolutions, les aptitudes et ferait la différence avec le reste du monde. Partant de là, lauteur examine, à la lueur de cette hypothèse, les divers aspects de la guerre occidentale et, plus largement, linfluence de la «modernité» occidentale : la «nation en arme», la technologie et lidée même en ce domaine de progrès, le rôle du rationalisme, des idéologies, du capitalisme. Chaque bataille, victoire ou défaite, forge peu à peu linstrument militaire.
Déclinant, sur neuf batailles terrestres ou navales, de lAntiquité au Vietnam (Salamine, Gaugamèles, Cannes, Poitiers, Tenochtitlan, Lépante, Rorkes Drift, Midway et le Têt), cette problématique, lhistorien antiquisant Victor Davis Hanson (UCLA) on lui doit de nombreux travaux sur les guerres grecques et notamment la guerre du Péloponnèse propose, dans cet ouvrage riche, dense et très problématisé, une fresque de la guerre occidentale. Une fresque qui sattache à tous les aspects de la bataille (stratégique, tactique, anthropologique
) un peu à la manière dun J. Keegan et de The Face of the Battle pour toutefois répondre à une question centrale. Il sagit dun tableau certes, mais avec une clef, une intrigue, un sens : lidée que lexcellence militaire et linventivité meurtrière de lOccident tiennent à des valeurs, une culture, un contexte spécifique autant quaux conditions matérielles de la bataille.
Partant de lépopée des Dix Mille relatée par Xénophon dans lAnabase, V. Davis Hanson entraine son lecteur dans un tourbillon de combats, de références culturelles, anthropologiques, stratégiques, mais avec le souci constant dune démonstration forte. Bien évidemment, les développements récents de la guerre occidentale la guerre contre le terrorisme par exemple et, de manière plus large, lévolution des-dites valeurs occidentales et de la société contemporaine sont envisagées dans une conclusion-épilogue qui prête à réfléchir. Certes, lOccident semble aujourdhui plus pacifique, du fait de son évolution démocratique, mais le XXe siècle a montré que lorsquil fait la guerre, cest avec une ampleur et une inventivité insoupçonnées, terrifiantes : sans doute le paradoxe de louvrage réside-t-il dans ce constat dune région douée pour la paix comme pour la guerre.
Une lecture qui simpose aux amateurs dhistoire, intéressés par une belle théorie, et une réflexion au long cours, qui brasse des siècles et des civilisations : un exemple réussi de world history sur un objet qui demeure intrigant.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 09/11/2010 ) Imprimer | | |