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Histoire & Sciences sociales -> Géopolitique |
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La francophonie : chronique d’une mort annoncée ? | | | François Provenzano Vies et mort de la francophonie - Une politique française de la langue et de la littérature Les Impressions nouvelles - Réflexions faites 2011 / 20 € - 131 ffr. / 281 pages ISBN : 978-2-87449-108-5 FORMAT : 14,8cm x 21cm
L'auteur du compte rendu : Chargé d'enseignement en FLE à l'Université de Liège, Frédéric Saenen a publié plusieurs recueils de poésie et collabore à de nombreuses revues littéraires, tant en Belgique qu'en France (Le Fram,Tsimtsoum, La Presse littéraire, Sitartmag.com, etc.). Depuis mai 2003, il anime avec son ami Frédéric Dufoing la revue de critique littéraire et politique Jibrile. Imprimer
Vies et mort de la francophonie, le titre de lessai que signe François Provenzano a des allures de constat définitif. Il semble en tout cas attester que les avatars de cette «certaine idée de la France» appartiennent désormais à un passé révolu, qui aurait cédé la place à autre chose. Peut-être au retour de la «mission civilisatrice» dont Nicolas Sarkozy investit lHexagone, à la faveur de discours comme celui quil prononça à Dakar en 2007.
En tant que spécialiste de la rhétorique et de lhistoire sociale des discours, François Provenzano sest attelé à décrypter les textes, les prises de position, les déclarations dintellectuels et décrivains qui se firent les porteurs du projet francophone. Lanalyse nest pas à strictement parler que politique, mais elle sappuie constamment sur lidéologie qui entoure ce concept diffus afin den dégager les implications quil recouvre dans la dimension linguistique et, plus encore, dans le champ littéraire. Voilà dailleurs pourquoi lessayiste préfère parler de «francodoxie», afin de «renvoyer à ce qui doit constituer [
] lobjet même de la nouvelle historiographie défendue ici, à savoir les matrices rhétoriques (le stock darguments, de figures, de représentations, de manières de dire) qui génèrent les discours dévidence et dautorité, tantôt sur la civilisation française, tantôt sur la francophonie, tantôt sur lidentité nationale».
Après donc avoir brossé un panorama des institutions qui servirent à asseoir la «doxa» francophone, François Provenzano passe à lobjet même de son propos, soit le décorticage des discours francodoxes. Le lecteur découvre ainsi, au détour de quelques moments de cristallisation, des figures méconnues ou oubliées, sans lesquelles la francophonie naurait été quune vague tentation, une belle coquille peinte mais définitivement creuse. Onésime Reclus (1837-1916), frère du géographe libertaire plus célèbre, mérite en loccurrence le titre de personnage-phare, non seulement parce quil aurait forgé le terme «francophonie» mais aussi dans la mesure où il aura le premier donné à ce concept une portée géopolitique large. Tenant de la vision selon laquelle la langue serait un facteur fédérateur bien plus puissant que le lien ethnique, Onésime Reclus prône une sorte dimpérialisme linguistique du français, permettant une solidarité presque naturelle entre centre et périphérie et, faut-il le dire, en parfaite adéquation avec le projet colonial de la France au XIXe siècle. La francophonie est, sous sa plume, envisagée comme un territoire quil sagit denrichir démographiquement, avant même dêtre une communauté humaine. Le ciment de ce projet clairement expansionniste, cest le français, jugé «idiome supérieur» ; un constat qui laisse circonspect, tant il paraît en connivence avec dautres suspectes hiérarchies
François Provenzano montre ensuite comment la francodoxie va tôt devenir une espèce de valeur bifrons, revendiquée à la fois par les savants et les littérateurs du début du XXe siècle. Débats, revues, manuels, interventions universitaires, officialités deviennent les armes de guerre dun véritable Kulturkampf à la française. Nous y croisons entre autres lérudit Remy de Gourmont avec son Esthétique de la langue française où il prête foi au génie interne de la langue de Rivarol, ou lécrivain André Gide en déplacement à Gand, en 1913, pour assister au ''Congrès international pour lextension de la culture et de la langue françaises''.
Laprès-Seconde Guerre mondiale constitue la période où samorce linéluctable déclin de la francophonie vue comme idéal et sa crispation en une rhétorique animée par un dérangeant élitisme larvé. Avec la fin des colonies et lavènement dun monde nouveau dans les années 60, on voit en effet les tenants de la francodoxie tenter vaille que vaille darticuler la tradition dont ils saffirment les défenseurs avec la modernité, les discours progressistes, le métissage, etc. Voici donc les poètes de la négritude érigés au rang de «chantres», comme si leurs revendications de libertés passaient mieux dans la langue de leurs anciens maîtres. Voici laccusation dimpérialisme imputée à langlais, et Etiemble qui prend le maquis contre lenvahisseur «yanki» avec son pamphlet Parlez-vous franglais ?. Voici le Canadien Gérard Tougas qui transporte sur le continent africain une hypothétique opposition entre «le rationalisme français» et «le pragmatisme anglo-saxon», le premier favorisant bien sûr un échange efficace avec les populations tribales. Le tout mâtiné de vision gaullienne planant au-dessus des particularismes culturels dans les sphères de la «grandeur», au point que certains hommes de lettres nourriront le fantasme dêtre les ultimes «croisés intérieurs» du français !
Ces diverses tendances seront remises à jour au fil des années 80 et 90, sous le coup dun «universalisme reloaded» comme le qualifie avec pertinence François Provenzano : durant ces deux décennies, «le caractère duniversalité en tant quattribut de la langue française a été déplacé vers lidéal de luniversel comme point de convergence nécessaire dun dialogue des cultures dont la langue française serait linstrument privilégié». La francophonie ? Une vieille doctrine à la garde-robe toujours neuve
Le champ de manuvres du discours francodoxe semble désormais se cantonner à la production littéraire, placée sous le double signe «du métissage culturel et de la quête identitaire». La poésie tient dailleurs un rôle tout particulier dans larsenal générique mis en avant par ses thuriféraires : la recherche ou linvention dune langue, quête aux échos rimbaldiens, devient lalibi esthétique suprême à limposition du label francophone.
À travers cette étude pointue, écrite pour un public qui ne rechigne pas à se frotter à un langage conceptuel, François Provenzano a apporté une contribution essentielle à la compréhension dun topique auquel est chevillée une part de lâme française. La francodoxie senracine profondément dans la mémoire historique (notamment coloniale) de la France, mais aussi dans le système de ses stéréotypes et de ses phobies ; elle reflète la supériorité quelle prête à la civilisation dont elle se veut porteuse et explique limago mundi quelle tente dimposer, du centre vers la périphérie, via le prestige de sa langue
Un ouvrage important donc, dont on attend avec impatience les prolongements.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 13/09/2011 ) Imprimer | | |
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