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Histoire & Sciences sociales -> Géopolitique |
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L’ingénierie sociale au secours de la diplomatie occidentale | | | Bertrand Badie Le Diplomate et l'intrus - L'entrée des sociétés dans l'arène internationale Fayard - L'Espace du politique 2008 / 22 € - 144.1 ffr. / 283 pages ISBN : 978-2-213-63327-5 FORMAT : 15,0cm x 23,0cm
L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a dirigé, aux Editions Le Temps des Cerises, Atlas alternatif : le monde à l'heure de la globalisation impériale (2006). Imprimer
On, le sait, les relations internationales aujourdhui ne peuvent plus sappréhender de la même manière quil y a cinquante ans, les «organisations non gouvernementales» humanitaires, ou plus politiques (comme les altermondialistes) se sont taillé une place, une influence, dans le débat diplomatique, et ont conquis des sièges dans les instances multilatérales.
Bertrand Badie, professeur à Sciences-Po, propose dans ce nouvel ouvrage une réflexion densemble sur cette nouvelle donne. Partant de la conception classique des rapports internationaux, et de lhistoire de leur étude dans lespace universitaire, lauteur nous invite à nous interroger sur lascendant pris très tôt par la veine hobbesienne, poursuivie en Allemagne par Clausewitz, Bismarck, Weber, la géopolitique : une vision des relations mondiales comme des rapports entre puissances étatiques, des gladiateurs dans larène, vision que les États-Unis ont adoptée au XXe siècle. Tout aurait pu se passer autrement, linternational aurait pu se penser à partir non des États mais des sociétés, non de la science politique mais de la sociologie, comme ont tenté de le faire lécole anglaise ou Léon Bourgeois, disciple de Durkheim.
Tous les échecs des grandes puissances à imposer leur vision de la démocratie partout où elles mirent en uvre leur interventionnisme, du Kosovo à lAfghanistan en passant par lIrak, devraient inciter aujourdhui à réintroduire la sociologie, estime Badie. C'est-à-dire non seulement en intégrant aux appareils diplomatiques étatiques la dimension du marché et de lindividu (à travers par exemples les services économiques des ambassades), mais aussi en prenant en compte les sociétés dans leur singularité, leur manière de définir leur contrat social. Il ne faut plus considérer les revendications ou les violences des sociétés comme des pathologies liées à des phases de transition dans un schéma «développementaliste» qui conduit nécessairement à une démocratie pacifiée, mais voir de quelle manière les élites dun pays peuvent ou non avoir intérêt à la concurrence des partis politiques, au pluralisme, et créer des incitations dans ce sens (en substituant notamment un effort de «démocratisation» à la rhétorique du regime change appliquée par les néo-conservateurs états-uniens). La thèse de louvrage sappuie notamment sur une critique sévère (et contestable) de la prégnance des logiques de puissance dans le multilatéralisme onusien, ainsi que des ambigüités des intégrations régionales, et valorise concurremment (parfois en faisant passer pour neuf ce qui ne lest pas tant) les forces émergeantes de dissolution des souverainetés.
Le livre de Bertrand Badie se présente ainsi comme une boite à outils, peut-être même comme un pharmakon (au double sens indécidable de ce terme) pour des gouvernants de pays riches passablement déçus par léchec des politiques occidentales des quinze dernières années. Lidée fondamentale du livre, mobiliser la sociologie au secours de la science politique, est en soi pertinente et bien argumentée. Mais la sociologie dont il sagit ici est très «typée» dans le champ des sciences humaines : cest une approche fonctionnaliste, qui part de totalités sociétales auxquelles les acteurs sociaux sont censés «sintégrer» (Bertrand Badie sessaie même à transposer les catégories de Robert K. Merton aux comportements des États) et qui sapparente davantage à une ingénierie sociale quà une étude objective globale des stratégies des individus et des groupes sur la scène internationale (laquelle fait encore cruellement défaut à la sociologie de notre temps). Labsence de neutralité axiologique se révèle notamment dans le dernier chapitre («Diplomatie contestataire, diplomatie déviante») qui constitue en fait une dénonciation de lusage de la communication sociale par des gouvernements anti-systémiques comme celui du Venezuela et de lIran, taxés de «populisme». Pour Bertrand Badie, la «prolifération des jeux contestataires» figure au nombre des «effets de pathologie sociale» qui justifient, en réponse, la mobilisation d«une diplomatie sociale constituée» (p.274). Dune certaine façon, le livre sinscrit ainsi dans le prolongement dune tradition académique qui eut ses heures de gloire dans limmédiat après-guerre face au «péril rouge» : il sagit toujours de trouver dans lespace social de nouvelles clés dadhésion à un ordre mondial qui fuit de toutes parts.
A cet égard il est symptomatique des inquiétudes actuelles de certains groupes (qui symétriquement fondent les espoirs de leurs adversaires).
Frédéric Delorca ( Mis en ligne le 29/04/2008 ) Imprimer | | |
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