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| Jean Meckert La Tragédie de Lurs Joëlle Losfeld 2007 / 10 € - 65.5 ffr. / 245 pages ISBN : 978-2-07-078739-5 FORMAT : 12,5cm x 18,5cm
Préface de Stéfanie Delestré et Hervé Delouche. Imprimer
Les images du patriarche Gaston Dominici sur le banc des accusés, toisant tantôt avec superbe tantôt avec indifférence lassistance, font désormais partie de la mémoire des annales judiciaires françaises. Et il naura pas suffi des nombreux ouvrages dinvestigation ou de la riche filmographie quil inspira pour hausser ce sordide fait divers au rang des actes barbares non élucidés du XXe siècle : on oublie souvent que laffaire suscita lintérêt de romanciers et dessayistes renommés qui, à linstar de Giono, mirent leur plume au service, sinon de la Vérité, du moins dune sincérité sans concessions.
Jean Meckert fut de ceux-là. Les pages quil a consacrées à «la tragédie de Lurs» rendent palpable à chaque phrase la tension humaine, populaire et surtout médiatique autour de laquelle se noua le drame. Meckert, avec la salutaire franchise qui lui est coutumière, sait faire profession dhumilité dans le rôle quil veut tenir : «Les pieds dans mes pantoufles, et prenant tout mon temps pour écrire, je ne vais pas me donner le ridicule dattaquer les journalistes qui travaillent sur le brut, en pleine fièvre et pressés par le temps. Je sais seulement quil est impossible à un reporter de téléphoner à son journal : Je ne sais rien, ou si peu que rien !, alors que le copain est en train de passer quinze pages de copie époustouflante».
Cest avec une conscience aiguë des impératifs du métier que Meckert aborde le traitement des événements, pour en mener une médiologie sans mépris ni gratuité. Du coup, lhistoire telle quil la relate prend une indéniable tournure littéraire, dans la noble acception du terme. Les multiples scénarios de la tuerie, limpossible établissement du mobile, le tapissage des assassins présumés : tout concourt à rassembler les ingrédients du polar idéal sur le crime parfait. Et sous Meckert pointe Amila. Au point près quici lauteur nest en rien le maître duvre de la narration quil élabore, mais bien le jouet de ses soubresauts, de ses caprices et de ses revers.
Stéfanie Delestré et Hervé Delouche reviennent, dans leur préface, sur la genèse et le statut doutsider de ce texte dans la production de Meckert. Le récit a été commandé par Gaston Gallimard en personne et publié en 1954, ce qui explique sa résistance «à toute velléité dinterprétation et de dérive romanesque». En effet, il retrace laffaire depuis la découverte des cadavres de la famille Drummond, le matin du 5 août 1952, jusquà linculpation de Gaston Dominici, le 16 novembre 1953. Le procès ne souvrira quant à lui quà la fin de lannée 1954.
Meckert sest donné le temps dobserver très attentivement les lieux où sest déroulé le massacre. Il a pris le pouls de «La Grande Terre» (la ferme du clan Dominici) et de cette mentalité du sud rural, si fièrement âpre, attaché à ses traditions, à son intégrité, à ses peurs les plus enfouies même. Car le sang des trois touristes anglais nest pas le premier à couler à Lurs. Pour preuve, ce chapelet de meurtres, attribués à des brigands ou à une mystérieuse «bête», qui ont fait trembler la population locale depuis deux cents ans
Cet état desprit est mentionné sans nulle intention dénigrante ou satirique vis-à-vis de gens modestes qui voient leur quotidien bouleversé par lirruption du Roi Fait-divers. Qui, à part Meckert, aura dailleurs le souci de mesurer les conséquences désastreuses de lenquête sur les travaux et les jours des Dominici ? Les huit cents kilos de patates détériorées de navoir pas été rentrées, le foin pourri
Ce «plan sordidement paysan» constitue pourtant aussi lun des aspects essentiels du dossier.
Sil enregistre tout nouvel élément, les déclarations des uns et des autres ainsi que les rumeurs qui se colportent, cest que Meckert na aucune envie de hurler avec les loups et préfère se gausser de la surinformation, partant, de la désinformation ambiante. Il cite par exemple, dans un passage à lironie ravageuse, les constats du phrénologue qui examine le «Maigret provençal», le commissaire Sébeille. Plus loin, il rebaptise la «psychologie» dont sefforce de faire montre la police en «pisciologie», soit en «art de noyer le poisson». Il confronte les leçons (au sens philologique) des journalistes à propos de la tentative de suicide de Gaston Dominici durant une rocambolesque reconstitution. Il reproduit enfin, sans prendre de pincettes, le carnet de vacances de la petite Elizabeth Drummond, où elle évoque ce quelle ignore être sa dernière baignade dans la Durance, deux heures avant de se faire sauvagement défoncer le crâne ; Meckert ne reparlera quallusivement et tardivement de ce témoignage poignant, pour une ultime estocade.
Au fil de ce long exercice dintransigeante honnêteté, quon devine avoir été éprouvant, on rencontre davantage la figure du pacifiste que celle du libertaire. Meckert sy avère plus enclin à la compréhension systémique des rouages du Quatrième Pouvoir et de ses défaillances quà sa tapageuse dénonciation. Idem pour la Justice et les «méthodes policières» : «On est pour ou on est contre ; mais il suffit de repenser aux malheureux Drummond, à la fillette achevée à coups de crosse pour se sentir un peu moins de rigorisme en ce qui concerne les droits de lhomme et du citoyen.» Lanar reconnaît donc volontiers le désarroi des forces de lordre face à lhorreur et à la pression du public, qui réclame des réponses, et par-dessus, une tête.
Cette tête, ce sera le chef chenu du septuagénaire Dominici, désigné par ses propres fils. Un coup de théâtre qui dictera aux échotiers des titres élégamment laconiques du style «Cétait le vieux !», et à Meckert cette somptueuse réflexion : «La tragédie de Lurs qui, sur le plan esthétique et émotionnel, était déjà une extraordinaire réussite a soudain le dénouement le plus imprévu, le plus sensationnel que lon puisse espérer. Nous ne sommes plus sur le terrain de la morale ou de la justice, mais au cur dun drame exceptionnellement beau, au même titre quune sombre et sanglante tragédie antique est belle parce quelle na pas la maladie de lintelligence, parce quelle vous empoigne aux tripes et ne vous lâche plus.»
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 02/04/2007 ) Imprimer | | |
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