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D’un quai l’autre
Roland Dumas   Politiquement incorrect - Secrets d'Etat et autres confidences. Carnets - 1984-2014
Le Cherche Midi 2015 /  19.50 € - 127.73 ffr. / 677 pages
ISBN : 978-2-7491-3608-0
FORMAT : 15,6 cm × 24,3 cm

L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Agrégé d'histoire, Docteur ès lettres, sciences humaines et sociales, Nicolas Plagne est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'Etat dans la mémoire collective russe. Il enseigne dans un lycée des environs de Rouen.
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Publié en janvier dernier, ce livre retrouve une actualité inattendue avec la nouvelle mise en examen de son auteur pour «recel de détournement de fonds publics». Lire son dernier livre est sans doute le meilleur moyen de comprendre l’état d’esprit qui est celui de Roland Dumas, ce diable d’homme venu de la Résistance et du mitterrandisme, qui, à 92 ans, vient d’ouvrir un compte twitter et alimente l’actualité politique de ses déclarations insolentes!

Après Le Fil et la Pelote (Plon, 1996), Coups et blessures - 50 ans de secrets partagés avec François Mitterrand et Dans l’œil du Minotaure, le labyrinthe de mes vies, déjà parus au Cherche Midi respectivement en 2011 et en 2013, Roland Dumas poursuit avec le talent et la liberté de ton sciemment provocatrice qui le caractérisent son œuvre de mémorialiste. Témoin et acteur de la société française de la seconde moitié du vingtième siècle, avocat et ami de grands noms du siècle passé, il a regardé son temps avec curiosité et humour, souvent avec gourmandise et passion, et a engrangé dans sa mémoire et ses notes bien des anecdotes et bons mots de célèbres contemporains. Dans Politiquement incorrect, il publie des notes encore inédites, complétés de remarques rétrospectives, sur la période 1983-2014 (la couverture sous-titre : «1984-2014» : il est vrai que le livre consacre à l’année 83, ou plutôt à «l’hiver 83», seulement 6 pages). Dans cette période, Roland Dumas passe sans cesse de son appartement du Quai de Bourbon (en l’île Saint Louis) au Quai d’Orsay : il occupe en effet deux fois la fonction de ministre des relations extérieures ou des affaires étrangères : de 1984 à 1986 et de 1988 à 1993. La suite des carnets porte sur l’après-Mitterrand : d’abord la période où Roland Dumas préside le Conseil constitutionnel où le président sortant l’avait nommé juste avant de quitter l’Elysée ; puis les quinze années qui suivent son départ, un début de 21ème siècle, que Roland Dumas, âgé mais pas inactif, attaqué mais pas abattu, parcourt avec tempérament.

Le début des carnets correspond à celui de la carrière de ministre. Longtemps fidèle de Mendès et Mitterrand, déjà député UDSR en 1956, Roland Dumas a une longue carrière politique et parlementaire à gauche, brièvement dans la majorité de centre-gauche du Front républicain à la fin de la IVe république, mais surtout dans l’opposition pendant les 23 premières années de la Ve république, face au gaullisme avec Mitterrand à la FGDS puis face au giscardisme. Jeune loup du mitterrandisme des années 60, il fait le lien avec Mendès et participe à la campagne présidentielle de 65. Elu député en 67, battu en juin 1968 lors du raz-de-marée de droite qui fait suite aux troubles de Mai 68, il quitte pour plus d’une décennie l’assemblée nationale. Restant très proche de Mitterrand dans les années 70, il l’aide à créer le nouveau PS du congrès d’Epinay et à mener ses campagnes présidentielles de 74 et de 81. En maintes circonstances, il remplit dans cette période des missions de confiance avec discrétion. (On se reportera à ce sujet à son livre Le Fil et la pelote). Il est donc logiquement candidat et élu dans la vague rose de juin 81 et se doute que le nouveau président voudra utiliser ses services et ses compétences : avocat, Roland Dumas sait garder un secret et jouit de la confiance du président, deux qualités essentielles à l’exercice du pouvoir. Aussi n’est-il pas complètement surpris quand on lui annonce qu’on pense à lui pour un ministère fin 83.

Cette nouvelle carrière commence en novembre de cette année avec sa nomination aux affaires européennes, où il seconde en principe Claude Cheysson, encore au Quai d’Orsay : mais c’est à Mitterrand seul qu’il rend des comptes sur ce dossier essentiel. Il découvre les partenaires allemands : Kohl et Genscher ; affronte diplomatiquement la «Dame de fer» qui ferraille contre la Politique agricole commune. En fait sa prochaine nomination aux affaires étrangères se profile déjà. «Tenez-vous prêt !» Le 7 décembre 84, Dumas succède à Claude Cheysson dans le gouvernement Fabius avec l’émotion de devoir participer désormais aux grandes affaires du monde comme chef de la diplomatie française. Au moment où Jacques Delors quitte le gouvernement pour présider la Commission européenne, Roland Dumas prend lui aussi de nouvelles fonctions, plus prestigieuses mais qui ne l’éloigneront jamais longtemps du dossier européen. Dès 1967, Mitterrand lui avait dit que la construction européenne était la grande affaire de leur génération. Le tournant de la Rigueur et l’échec du socialisme keynésien et de la relance par la consommation dans un seul pays renforcent encore l’importance de l’engagement européen. Dumas qui n’en était pas un partisan passionné ni même peut-être très convaincu servira le grand dessein mitterrandien avec zèle et se ralliera à cette cause. Un motif de fierté pour lui aujourd’hui.

Mais l’Histoire dépasse la question européenne : la Guerre Froide connaît sa phase de «guerre fraîche» avec la crise des euro-missiles. Quand Roland Dumas arrive en poste, la France est sur une ligne assez offensive, résolument engagée dans l’OTAN. Mais peu de temps après, Gorbatchev devient secrétaire général du PC de l’URSS et change la donne avec sa Perestroïka. Une relation directe se noue pour faire prévaloir la détente et favoriser l’évolution du bloc soviétique. Dans cette période, Dumas rencontre ses homologues et des chefs d’Etat plus ou moins puissants et prestigieux. D’abord les acteurs principaux: Reagan, G. Bush père, James Baker, côté américain ; Mikhaïl Gorbatchev et Edouard Chevarnadzé côté soviétique. Il y a aussi les acteurs du dossier Proche-Orient : Arafat, Shamir, Pérès, Assad, Kadhafi, etc. Période exaltante, au contact de personnalités «historiques» (plus ou moins sympathiques), où la France tente de maintenir son rang de «puissance moyenne» (oxymore ?) dans un monde bipolaire. Dumas est bien placé pour constater la «souveraineté limitée» (autre oxymore !) dont dispose la France quand s’exercent les amicales mais énergiques pressions étatsuniennes. Mitterrand, dit Dumas, avait l’art de faire semblant pour préserver les apparences, mais il lui arrivait de dire à son ministre avec résignation : «faisons comme si», comme au temps de la 1ère Guerre du Golfe.

Admirateur de Mitterrand, Roland Dumas est lucide sur les faiblesses et travers de cet animal politique d’exception qui fut un des plus grands dirigeants français du 20ème siècle et avec de Gaulle le seul grand président de la République. Sensible à la flatterie, encourageant les phénomènes de cour tout en se montrant souvent cruel et rancunier, charmeur et dominateur, séducteur et manipulateur, F. Mitterrand voulait être aimé ! Complices à certains égards, les rapports avec Roland Dumas ne furent jamais «fraternels» ; ce dernier quant à lui avoue une préférence pour Blum et Mendès, sans rien renier de sa relation avec Mitterrand, dont il aime à défendre l’héritage et la figure contre les opportunistes et habiles renégats tardifs qui revendiquent un droit d’inventaire suspect ou affichent des scrupules douteux. Mitterrandiste impénitent, Dumas signale d’ailleurs qu’à l’inverse on a un peu idéalisé Mendès en statue du Commandeur !

La période du Conseil constitutionnel devait être l’apogée de cette carrière de service public mais le nouveau sage est vite accaparé par «l’affaire Elf» et «des frégates», qui met en cause sa liaison avec la désormais célèbre Christine Deviers-Joncour. Le récit du combat qui oppose Dumas aux juges d’instruction Eva Joly et Laurence Vichnievsky vaut le détour : Dumas n’a toujours pas digéré l’acharnement des magistrates à prouver sa culpabilité à tout prix ; il ne se gêne pas pour rappeler, exemples à l’appui, leurs accusations infondées, ridiculise leurs raisonnements boiteux et partiaux et dénonce leurs méthodes inquisitoriales quasi-sadiques. Finalement il les accuse d’arrière-pensées politiques et rappelle que la justice l’a relaxé. Oui, entre-temps, Dumas avait dû démissionner du Conseil constitutionnel pour assurer sa défense (le président de l’époque, J. Chirac, et les membres du Conseil ne le lui ayant jamais demandé). Au fond c’est le risque de gouvernement des juges, de la politisation hypocritement partisane de la justice et de la violation de la séparation des pouvoirs que Dumas met en lumière. Mais Dumas n’en est pas quitte avec les affaires. Considéré par ses ennemis comme sulfureux, l’avocat d’affaires, ami des artistes et amateur d’art, grand bourgeois esthète, mélomane, bon vivant et séducteur à bonnes fortunes, agace bien des gens par son insolent succès et sa carrière brillante ; il suscite aussi les soupçons de corruption, d’affairisme chez les «bien-pensants». Jalousie ?

Il faut dire que Dumas ne fait rien pour arranger les choses. Plus libre, moins courtisan avec Mitterrand que d’autres, il règle quelques comptes avec Michel Rocard bien sûr (éternel raté, rancunier manquant d’élégance) qui ne voulait pas de lui au gouvernement ; mais aussi avec des noms célèbres de la Mitterrandie qu’il n’apprécie guère (et ça semble réciproque) : le m’as-tu vu Jack Lang, l’apparatchik donneur de leçons Lionel Jospin, et d’autres… Les vaniteux Attali (qui ne sait pas écrire et invente les citations) et BHL (qu’on est «obligé de recevoir du fait de sa capacité de nuisance !») aussi en prennent pour leur grade. Quant à Fabius, Dumas rappelle qu’il a manqué de loyauté envers celui qui l’avait fait Premier Ministre, lors de la visite du général Jaruzelski à Paris et que lui-même a tenu à monter au créneau devant les députés pour défendre l’action du Chef de l’Etat ! Nul doute que les anecdotes rapportés par Dumas et les commentaires assassins de Mitterrand, que Dumas prend un malin plaisir à citer, doivent en irriter plus d’un dans un certain milieu. Dumas certes ne critique pas tout le monde ; il respecte par exemple certains contemporains: Hubert Védrine à gauche (un gamin !) ou le défunt Philippe Séguin à droite. Mais on ne voit guère d’hommes d’Etat selon son cœur apparaître dans le paysage. Et s’il en voyait, il hésiterait à les nommer de peur de les desservir !

Le PS actuel n’est pas davantage épargné : les carnets permettent de suivre l’ascension de François Hollande et de Ségolène Royal. Le moins qu’on puisse dire est que Roland Dumas est critique de l’évolution du parti sous Chirac et Sarkozy mais aussi du quinquennat actuel. Il est aussi critique de la politique étrangère sous Sarkozy (avec Kouchner) que sous Hollande (avec Fabius) : dans les deux cas, la dérive atlantiste servile, le manque de vision en politique africaine et arabe. Revendiquant la sincérité de son engagement de jeunesse à gauche et son attachement à l’idée socialiste, Dumas déplore l’absence d’imagination en politique intérieure et de fidélité des dirigeants du PS aux convictions fondamentales qui devraient les animer ; il s’interroge sur la décadence périodique du socialisme français.

A l’inverse, Dumas n’hésite pas à reprendre avec son vieux complice (et rival du procès Barbie) Jacques Vergès le combat anti-colonialiste et anti-impérialiste (celui de la Guerre d’Algérie) contre l’OTAN et les Etats-Unis dont la France exécute trop souvent les ordres. Il est vrai qu’on pourrait lui demander des comptes de la politique qu’il a menée dans le cadre de la Françafrique ! Comme on pourrait lui demander sa définition du socialisme ! Mais l’avocat n’est guère théoricien ; il n’en a d’ailleurs pas la prétention.

Politiquement incorrects, ces aveux ? Scandaleuses, ces révélations ? Levés, les secrets d’Etat ? Evidemment, il y a un peu de marketing dans ce titre. Comme le dit l’éditeur, Dumas «lève un coin du voile». Et on ne peut pas dire que les confidences de Dumas soient toujours des scoops, d’autant qu’il a parfois déjà traité le sujet dans un livre précédent. Mais c’est un pavé dans la mare et un bol d’oxygène. On s’en doutait souvent, mais Dumas a le mérite de le dire en témoin autorisé. Or comme le déplore l’auteur en introduction, la société française souffre trop et de plus en plus de la langue de bois qui discrédite la politique et du conformisme bien-pensant qui empêche les vrais débats. Libéré, Roland Dumas, à 92 ans, ose de plus les ultimes mises au point, cruelles, et contribue à briser le complot du silence.


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 01/07/2015 )
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