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Les ailes du désir d’avenir | | | Marie Eve Malouines Carl Meeus Ségolène Royal, l'insoumise Fayard 2007 / 20 € - 131 ffr. / 345 pages ISBN : 2-213-63111-5 FORMAT : 15,5cm x 23,5cm Imprimer
Dabord, le titre évoque «Ségolène Royal» et non «Ségolène»
Détail ? On pourrait plutôt interprêter ce choix comme un parti-pris, celui dune réflexion objective, non partisane, non militante, non hostile, juste professionnelle sur un personnage et un phénomène à la fois politiques et médiatiques. Journalistes (respectivement à France Info et au Point), Marie Eve Malouines et Carl Meeus avaient déjà enquêté sur le couple Hollande/Royal dans un ouvrage au titre significatif : La Madonne et le Culbuto. Le Culbuto ayant roulé tout lété, le temps des apparitions est venu et la Madonne, désormais seule en lice, se voit consacrée une étude au style sobre, journalistique, mélange harmonieux dinterviews, danecdotes, de petites phrases et de grands principes analysés à coup de statistiques. Enfin, une leçon de «com» décryptée par des spécialistes avec en toile de fond, les combats pour la désignation au PS et un certain Nicolas en frère ennemi. Dans son excellent et très lyrique Mignonne, allons voir
(Grasset, 2006), Marc Lambron avait dressé une sorte de généalogie intellectuelle et politique de la candidate socialiste, éclairante et stimulante. Cet ouvrage revient sur le personnage, mais sous langle de la stratégie politique : le contrepoint indispensable en somme.
Ce livre est une sorte de manuel de guerre : il analyse une stratégie, une tactique, un discours taillé comme une arme, observe des entourages qui confinent à un Etat-major. Tout cela pour livrer le récit dune campagne jusque là victorieuse, une conquête entamée courant 2006 qui a vu une condottiere rallier une troupe de plus en plus vaste pour conquérir un parti puis peut-être un pays.
Louvrage se veut analytique. Il sagit tout dabord didentifier les entourages et les «cercles» ségolistes. On y croise des théoriciens de la communication, chargés de faire monter la sauce (Chantepy, Rastoin, Bouchet-Petersen), des poissons pilotes moitié éclaireurs, moitié rabatteurs venus de tous les horizons (Dray, Emmanuelli et le NPS en ségolistes de la veille), les «parrains» satisfaits (Mauroy et Mitterrand en ombres portées, voire en modèles assumés), les complices plus ou moins conscients (Hollande, désormais culbuté)
et ladversaire du moins la première ligne les DSK, Fabius, Jospin et leurs entourages respectifs. Le récit de la campagne présidentielle «officielle» viendra peut-être plus tard : louvrage ne soccupe que du PS et de lavènement de Ségolène. La stratégie est également analysée, de manière récurrente, redondante même : cest la conquête du PS «par le peuple» et non plus, comme précédemment, par la gauche. Une conquête réalisée à laide de notions venues du monde «alter» (la démocratie participative est un schéma pratiqué à Porto Allegre et réimplanté dans le discours électoral). La découverte majeure de la candidate les Français se défient de leur classe politique sapparente à une révélation. Elle impose de nouvelles manières de parler (le «parler vrai», un langage compréhensible par tous, «populaire» dans le bon sens du terme, linverse de la novlangue technocratique), un prénom qui sonne comme un étendard et la rend familière, «copine» (dire que dautres ont dû jouer de laccordéon à la télé, ou prendre le métro, pour aboutir à un résultat bien moindre
il doit y avoir des pleurs et des grincements de dents dans le microcosme politicien)
Non sans paradoxe : le discours évolue, passant de la simple communication à lérection dun modèle en rupture (rupture avec la classe politique «classique») par quelquun qui, justement, est un apparatchik (Ségolène Royal a fait un cursus politicum tout à fait honorable, et qui ne la distingue guère de ses adversaires). Et puis la tactique, plus classique : labourer les fédérations pour les conquérir, domestiquer le mulot et internet pour sen faire un tremplin, jouer du silence pour couvrir les faiblesses initiales, également pour laisser le doute sinstaller et user les autres candidats, exister en résistant à lusure. Problème : vient le moment où il faut sortir du bois
En 2002, les classes laborieuses - électorat traditionnel de la gauche sont devenues des classes dangereuses : avec 31 % de vote ouvrier, le FN a pu revendiquer à dessein le titre de «parti le plus ouvrier de France». Cest à cette reconquête également que Ségolène Royal sest attaquée, en se posant comme une alternative au vote contestataire
Mieux, en incarnant un vote contestataire au sein du PS. Elle est «la petite contre les gros», «la gazelle dépassant les éléphants». Cest un hold up, presque un coup dEtat, mais cela marche
En partie du fait de linertie complice des uns (Hollande, candidat naturel, na pas réagi en candidat mais en gestionnaire de parti) et laveuglement des autres (Jospin, simplement dépassé et persistant dans une myopie politique, Fabius et DSK, trop politiques et pas assez «populaires» sans doute).
Avec un programme aux contours mal définis, fondé sur quelques maximes de bon sens, Ségolène Royal, qui a finalement réussi à rassembler autour delle tous ceux que le régime précédent avaient dédaignés, les présidents de fédérations
simpose largement face à des adversaires théoriquement plus roués. Jouant surjouant même de sa faiblesse et de son sexe face à ses adversaires, elle gagne le parti. Mais le mystère seffrite avec cette campagne interne réussie : la stratégie, certes rôdée, est désormais connue et le silence, efficace camouflage, enfin rompu, il est temps de parler et de proposer
Gare à lusure. Le terrain est désormais découvert, la bataille du premier tour se précise. La légende va devoir devenir réalité si elle veut lemporter aux élections
Louvrage est intéressant, complément efficace du Lambron : plus que de sintéresser à un programme (et pour cause), il sintéresse à un projet et à la mise en forme dune ambition. Le premier round est brillament décrypté. On attend le suivant !
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 19/03/2007 ) Imprimer
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