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Impossible de s’ennuyer ! | | | Jean-Didier Vincent collectif L'ennui à l'école Albin Michel - Les débats du CNP 2003 / 10 € - 65.5 ffr. / 124 pages ISBN : 2-226-14188-X FORMAT : 14x22 cm Imprimer
Le 14 janvier 2003, le conseil national des programmes a organisé à la Sorbonne un colloque intitulé «Culture scolaire et ennui». Des biologistes, des psychanalystes, des philosophes, des historiens, des ethnographes et des enseignants ont amorcé une réflexion sur le thème de lennui. Lennui à lécole constitue les actes de ce colloque. La diversité des approches permet de cerner le problème de lennui à lécole.
Est-il possible de définir lennui ? Suivant les points de vue, la définition nest jamais la même mais il semble quil y ait un dénominateur commun à la pluralité de ces approches : «Lennui est une expérience du vide : vide du temps, vide du moi.» Ceci étant, lennui chez ladolescent est très différent de celui de ladulte : «quand un adulte sennuie, cest à la réalité que cette épreuve de négativité se confronte. Chez un jeune, lennui menace ce qui nexiste pas encore, une identité non construite.»
Lennui chez ladolescent peut être destructeur. Il convient alors den comprendre les causes afin de trouver des solutions efficaces pour y remédier. Au XIXe siècle, de nombreux écrivains ont projeté dans leurs uvres leurs désirs de révolte contre lennui quils ont éprouvé sur les bancs de lécole. On retrouve dans cette littérature trois causes dennui scolaire. Tout dabord lennui est lié à la claustration : les bâtiments scolaires sont vieux, tristes, froids et malodorants. La deuxième cause est le fossé qui sépare le professeur et ses élèves. Les enseignants sont considérés comme déconnectés de leur époque. Enfin la dernière cause renvoie aux programmes. En effet «les débats pédagogiques portent le plus souvent sur la transmission des savoirs, comme si la pertinence et lintérêt du savoir proposé étaient acquis».
Une des premières solutions serait donc de rendre les programmes attrayants. Une enquête à destination des lycéens a été réalisée ; elle comportait entre autre la question suivante : «Quest-ce que vous jugez important dapprendre au lycée mais qui vous ennuie ?». Lobjectif était de faire réfléchir les élèves sur le rapport entre limportance et lintérêt du savoir : ce qui est important nest pas toujours intéressant et inversement. Lennui apparaît alors inévitable, comme le rappellent les écrivains romantiques : «Il ny a pas de sens à vouloir supprimer lennui : donnée inévitable du système social, il est à lécole ce quest la pesanteur à la nature terrestre, indispensable à la mise en mouvement de la pensée, tout comme la pesanteur est nécessaire à lhomme pour lui faire éprouver le besoin de sy arracher par la maîtrise de son corps et de son espace.»
Il est donc raisonnable de penser que les élèves ne sennuient pas plus aujourdhui quhier. Alors, pourquoi cet ennui est-il de moins en moins bien supporté par les élèves et les enseignants ? Les élèves ont changé, ils ne croient plus en lécole, ils ne perçoivent pas lutilité des études, et comme «la légitimité de lordre et de lautorité scolaires ne simpose plus naturellement, [
] elle repose sur le charme des enseignants et sur les compétences en terme dapprentissage, bien plus que sur une soumission a priori.» Cette idée du charisme de lenseignant apparaît dans beaucoup darticles comme une solution possible à lennui scolaire, mais tous les intervenants ne sont pas daccord et soulignent le caractère paradoxal de la situation : on demande aux enseignants de faire un métier impossible «qui serait de séduire toujours leurs élèves (alors quils doivent les commander), de transformer le travail en jeu ou lenseignement en spectacle.» Comme lennui semble être une donnée inévitable de linstitution scolaire, il convient pour lenseignant «de susciter, encourager et maintenir ce goût pour leffort, pour le travail, pour la difficulté affrontée et surmontée.» Noublions pas quun bon élève nest pas un élève qui ne sennuie jamais. «Cest un élève qui accepte de sennuyer, au moins parfois, qui ny voit pas la récusation de lécole, du travail, de la culture.»
Lennui faisant partie de la condition humaine, il semble donc naturel quil fasse partie aussi de la condition scolaire. Pour lutter contre cet ennui qui bien souvent nuit aux apprentissages scolaires des élèves, deux conceptions opposées apparaissent. Le charisme de lenseignant, la diversité des activités proposées et un programme plus attrayant doivent permettre de lutter contre lennui, explique une approche que lon qualifiera doptimiste. Un point de vue plus réaliste ou pessimiste insiste sur le fait que «leffort exigé par le travail scolaire prendra toujours le visage de lennui [
] Il faut sen accommoder : lélève travaille dabord sous la contrainte, et ce quil apprend lui donne le désir den apprendre plus.» Cette opposition aussi tranchée traduit la complexité de la situation scolaire.
Ce livre passionnant, par la pertinence de ses divers articles sur le thème de lennui scolaire, offre aux enseignants soucieux de perfectionner leurs pratiques pédagogiques et aux parents inquiets de lintérêt parfois défaillant de leur enfant pour lécole, des pistes de réflexion pour relever tous ensemble les nouveaux défis de léducation au XXIe siècle.
Stéfan Philippot ( Mis en ligne le 17/11/2003 ) Imprimer
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