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Les illusions perdues
Stéphane Beaud   80 % au bac... et après ? - Les enfants de la démocratisation scolaire
La Découverte 2003 /  11.50 € - 75.33 ffr. / 345 pages
ISBN : 2-7071-4151-8
FORMAT : 13x19 cm

L'auteur du compte rendu: titulaire d’une maîtrise de Psychologie Sociale (Paris X-Nanterre), Mathilde Rembert est conseillère d’Orientation-Psychologue de l’Education Nationale.
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Sabri, Fehrat, Djamel et Nassim ont bien du mal à se mettre au travail pour réviser leurs partiels du mois de juin. Inscrits en DEUG d’AES (Administration Economique et Sociale), ils sont perdus dans une université qui apporte aux étudiants un savoir très théorique sans encadrement suffisant. Tous échoueront à leurs examens. Anciens collégiens de ZEP (Zone d’Education Prioritaire), premiers lycéens de leur famille, étudiants malgré eux, ces jeunes deviendront des salariés précaires : recalés aux concours de la fonction publique auxquels l’université est pourtant censée les préparer, précipités dans un mariage précoce où ils croient trouver une stabilisation, acculés à travailler à l’usine qu’ils avaient tant voulu fuir en entamant de longues études, momentanément tirés d’affaire par les emplois-jeunes… Leur parcours sera semé d’embûches.

«80 % d’une génération au niveau du bac» : cette phrase ministérielle fut emblématique de la démocratisation scolaire voulue dans les années 80/90. Entre 1985 et 1995, le taux de bacheliers dans une génération passe effectivement de 30 à 60 %. Mirage ? Jeu de dupes ? Ou bien réelle promotion pour les jeunes issus de milieux défavorisés ? Dans cet ouvrage passionnant, le sociologue Stéphane Beaud apporte les éléments d’une réponse toute en nuances.

L’auteur a suivi pendant près de dix ans l’itinéraire d’enfants d’immigrés, ouvriers en usine, vivant à Granvelle, un quartier HLM de Gercourt, près de Montbéliard. Cette région industrielle se trouve en pleine restructuration dans les années 90. Le chômage de masse frappe les jeunes diplômés, d’où la tentation de faire des études le plus loin possible en évitant à tout prix le passage en lycée professionnel. L’enseignement professionnel semble en effet sans avenir à une époque où la valeur sociale des ouvriers s’effondre. Un grand espoir est placé dans l’école pour échapper à sa condition sociale. L’aspiration des jeunes et de leurs familles à de longues études rencontre des intérêts économiques : en prolongeant leur séjour dans le système scolaire, les jeunes ne grossissent pas les chiffres du chômage…

Le mouvement de massification des études s’accompagne d’une hiérarchisation sociale croissante des différentes filières d’accès au bac : la filière scientifique représente la «voie royale», suivie par les filières économique et sociale, et littéraire, en dessous desquelles se trouvent les filières technologiques et enfin, les filières professionnelles. De plus, le fossé se creuse entre les lycées bourgeois «de centre ville» où la manière d’enseigner n’évolue pas pour accueillir ces «nouveaux lycéens», et les lycées dits «de périphérie», qui se montrent sans doute plus compréhensifs envers ce public, ce dont témoignent Zahia, Naïma, Monnia et Sabrina, élèves de 2nde interviewées par Stéphane Beaud. L’entrée en 2nde peut effectivement occasionner un choc pour certains élèves chez qui l’acculturation scolaire ne pourra se faire, entraînant une sorte d’ «exclusion de l’intérieur» : coutumiers des retards et absences, chahuts collectifs ou provocation individuelle des enseignants, ces élèves resteront au seuil du lycée. Inversement, certains élèves issus de ZEP adhérent entièrement aux exigences du lycée, comme Sofiane qui s’éloigne de son quartier au moment de son entrée en 2nde ; moralisateur, il jette l’anathème sur ses anciens camarades qui «ne travaillent pas». Entre ces deux extrêmes, les résultats de Nassim et de ses amis, ne leur permettant pas l’entrée en filière scientifique, ces derniers se contenteront donc d’un «petit» bac B obtenu avec des résultats moyens.

La hiérarchisation des filières se poursuit dans l’enseignement supérieur avec, tout en haut de la pyramide, les Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles (CPGE), suivies par les Instituts Universitaires de Technologie (IUT) et les Sections de Techniciens Supérieurs (STS). Hormis certaines sections d’excellence, le premier cycle d’université, le Diplôme d’Etudes Universitaires Générales (DEUG), sert de refuge pour des bacheliers de niveau faible qui n’ont pas été admis dans les filières sélectives et qui sont justement les moins à même de faire face aux exigences universitaires, comme le montre l’itinéraire des quatre personnages principaux de cette recherche, Sabri, Fehrat, Djamel et Nassim, dont le lecteur suit les tribulations jusqu’à l’âge de 28 ans.

Ces jeunes n’auront échappé à la condition sociale de leurs parents que dans une certaine mesure : certes, ils ont quitté le monde ouvrier, évoluant dans le secteur tertiaire, mais leur insertion qui s’y fait sous forme d’emplois aidés, à durée déterminée, à salaire bas, reste précaire. Ils auront certes profité d’une «vie adolescente» plus longue que celle de leurs parents exposés tôt au monde du travail, mais cette situation en apparence enviable a ses revers : les longues études induisent une dépendance à la fois matérielle et intellectuelle qui infantilise les jeunes. De plus, l’école étant aujourd’hui en principe ouverte à tous, chacun y est considéré comme responsable de sa destinée ; on attribue moins volontiers les inégalités scolaires aux injustices sociales : réussite et échec sont perçues comme étant dues aux qualités personnelles de l’individu. Les jeunes enquêtés par Stéphane Beaud se sentent en même temps bernés par un système qui n’a pas tenu ses promesses, et responsables de leur relatif échec, ce qui ne va pas sans une certaine souffrance.

Au bout de trois cent pages, ils nous sont devenus étonnamment proches, et une bonne surprise attend le lecteur : l’auteur nous fait partager le courrier électronique qu’il a reçu de la part de jeunes adultes, «enfants de la démocratisation scolaire» ressemblant étrangement aux enquêtés. Ils expriment leur reconnaissance au sociologue qui, à travers son livre, leur a tendu une sorte de miroir. Une correspondance s’engage même entre l’auteur et Younes Amrani, qui donnera lieu à un article dans une revue du champ de l’insertion professionnelle. C’est l’un des (nombreux) mérites de cet ouvrage que de nous donner à voir une image aussi vivante de la sociologie.


Mathilde Rembert
( Mis en ligne le 19/12/2003 )
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