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Un Tintin de gauche outre-Dniestr | | | Frédéric Delorca Transnistrie : voyage au pays des derniers soviets Editions du Cygne 2009 / 15 € - 98.25 ffr. / 108 pages ISBN : 978-284924130X FORMAT : 14,0cm x 21,0cm
Frédéric Delorca collabore à Parutions.com
L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Agrégé d'histoire, Docteur ès lettres, sciences humaines et sociales, Nicolas Plagne est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'Etat dans la mémoire collective russe. Il enseigne dans un lycée des environs de Rouen. Imprimer
En avril 2007, Frédéric Delorca reçoit un courriel linvitant ainsi que dautres destinataires de ce courrier dun ami, enseignant de lInstitut national des langues et civilisations orientales, spécialiste de la Pologne, à visiter la Transnistrie lété suivant lors dun voyage collectif dintellectuels anti-impérialistes. Curieux de nature et amusé par la perspective daventures improbables dans lex-Union soviétique, désireux aussi de sinformer sur place et par lui-même de létat des sociétés est-européennes, notre sociologue-politologue de gauche, quadragénaire militant à ses heures, romancier depuis lors, décide de sembarquer pour une destination qui na rien de ce qui fait un produit-phare de lété auprès du public du tourisme de masse. Voilà qui nous vaut un récit de voyage un peu dépaysant, pleins de remarques intéressantes en tous genres et de surcroît bien écrit.
La Transnistrie, il nest peut-être pas inutile de le rappeler, est une région coincée entre lUkraine (à lEst) et la Moldavie : faisant sécession de cette dernière, la Transnistrie est une république
autoproclamée. État atypique en ce quil a rétabli (ou gardé) ses structures soviétiques (moins le parti unique!) : kolkhozes, soviet suprême et emblèmes de lépoque communiste ! Une des raisons de ce voyage est justement de comprendre les raisons de ce phénomène curieux, à lâge de la mondialisation capitaliste généralisée : la résurrection dun modèle enterré, la formation dun État aux références désuètes et de surcroît dénoncées par mass media et doxa universitaire. Les Transnistriens sont-ils fous ? La presse et les télévisions présentent dailleurs ce pays comme une résurgence inquiétante du totalitarisme quon croyait liquidé en Europe, voire des heures sombres du stalinisme !
Une autre raison à ce voyage est lintérêt de Delorca pour le phénomène régionaliste et les tendances sécessionnistes que la mondialisation les géopoliticiens le savent encourage par sa logique triple dinternationalisation économique et de libre-échange, de valorisation différenciée et hyper-sélective des espaces utiles (au détriment des «autres» devenant «périphéries» voire «marges» en déclin ou en déshérence) et de remise en cause des États et des nations qui font figures dhéritages historiques embarrassants et de freins au progrès : ces promesses alléchantes de développement autocentré rapide pour qui possède les bonnes cartes dans son jeu sont de vrais «pousse-au-sécessionnisme» pour des régions qui, oubliées auparavant ou obligées à une solidarité nationale, ont intérêt, au moins pendant un temps, à saffranchir des cadres antérieurs. Problématique contemporaine de grande actualité et porteuse de grandes tensions, voire de chambardements : les Belges en savent quelque chose
A la clé, rien moins que la dissolution des États et la guerre parfois. Les États qui refusent de se dissoudre opposant alors lhistoire et leur idéologie nationale qui sera caricaturée en nationalisme forcément génocidaire, cause des épurations ethniques, bref lépouvantail bien connu de nos idéologues libéraux mondialistes !
On aurait pu certes, et ce au nom des valeurs dominantes des droits de lhomme et de la démocratie justement, se demander si la solidarité entre régions, tant vantée dans le cadre de la construction européenne par exemple, nétait pas mieux assurée par le maintien des vieux États (devenus ou devenant démocratiques et, soit, plus ou moins fédéraux) que par lexplosion des particularismes égoïstes ; la lecture de ces faits par la majorité des instances de la mondialisation va bizarrement dans lautre sens de façon assez unilatérale... A qui profite le «crime» ? Comme sil fallait faire disparaître avec les États-nations, diabolisés, lÉtat lui-même, au moins au niveau où il est autre chose quun atome sans capacité daction
Et justement la Transnistrie sécessionniste est lexception qui confirme la règle ou le cas-limite qui prouve la loi : nest-ce pas parce quelle regrette lÉtat social protecteur et un certain égalitarisme soviétique quelle est dénigrée dans la presse libérale «démocrate», cette république bien inoffensive, qui ose ne pas saligner sur les critères de ce «meilleur des mondes» des riches et de lindividu aliéné à la marchandise, de la «mondialisation heureuse» ? (On pourrait relire ici, à titre de cadre heuristique, lexcellent Jean-Claude Michéa sur «le moindre mal» comme idéologie néo-libérale de notre temps !).
Ces carnets de voyage sont pourtant moins une démonstration quune enquête vivante de sociologue empirique et de politologue de terrain, qui décrit avec précision et finesse les lieux et les situations et raconte visites et rencontres avec humour et humanité. Le tout agrémenté de photographies en couleurs. Bon été en Transnistrie !
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 15/07/2009 ) Imprimer | | |
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