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Vaches laitières de tous les pays, unissez vous ! | | | Michelle Julien La Vache à lait - notre consommation, leur martyre Editions du Cygne 2011 / 19 € - 124.45 ffr. / 220 pages ISBN : 978-2849242209 FORMAT : 14cm x 21,5cm
L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de lInstitut dEtudes politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), ancien élève de lEcole nationale dadministration, Christophe Colera est l'auteur, entre autre, aux Editions LHarmattan, de Dialogue sur les aléas de lhistoire (2010). Imprimer
Elles sont des dizaines de millions en Europe, elles accompagnent lhomo sapiens depuis le néolithique, lui fournissent son lait, son beurre, son fromage. Elles sont aujourdhui la cheville ouvrière de lindustrie agro-alimentaire comme les poules pondeuses et les porcs délevage. Pourtant on les traite par le mépris, lindifférence, on les exploite sans les connaître.
En prenant la plume pour défendre leur cause, Michelle Julien participe dun grand mouvement de réévaluation du statut de lanimal dans nos hiérarchies de valeurs et nos schèmes de représentations, à limage dautres livres sur les animaux comme louvrage remarqué aux États-Unis de G.A. Bradshaw sur les murs et le destin des éléphants (Elephants on the edge, what animals teach us about humanity). Grâce à Michelle Julien, le fossé entre le bovin et lhominidé se réduit, le premier quitte le cliché de lanimal-machine pour redevenir cet être de sensation, démotion et de mémoire quil a toujours été, vivant dans des sociétés matriarcales, à maints égards sujets de droits, dont le premier devrait être de lui éviter des souffrances inutiles.
Or, en fait de souffrances, la vache a largement son lot dans lintervalle de vie de quelques années que lêtre humain lui accorde avant quelle finisse dans nos assiettes. De la souffrance physique de linfection des mamelles liée à limmobilité insalubre dans laquelle on la confine à la souffrance psychique dêtre séparée de son veau, en passant par les aberrations de sa nutrition, linconfort dune traite systématique qui la maintient constamment affamée, et sa transformation anatomique dans la forme de limprobable vache Holstein : une masse de 700 kilos noire et blanche spécialement conçue pour produire du liquide blanc, et ne pouvoir guère faire que cela.
Dans ce livre, Michelle Julien instruit, dune certaine façon dans le sillage de Heidegger jadis ou de lEcole de Francfort, même si elle ne les mentionne pas, le procès de la barbarie dune civilisation de la technique, la nôtre, qui a poussé à son extrémité un certain mépris de la nature inauguré par linvention de lagriculture (quon se songe, par exemple, à Naissance des divinités, naissance de l'agriculture - La révolution des symboles au Néolithique, de Jacques Cauvin). On peut lui reprocher de navoir peut-être pas suffisamment replacé ce processus dans lhistoire longue, et, du fait dun parti pris militant assumé, ne pas avoir suffisamment évalué les avantages et inconvénients de la maltraitance animale du point de vue de limpératif de survie de notre propre espèce (y compris de sa survie dans lespace le jour où elle devra quitter notre planète devenue invivable). Mais le livre a les qualités de ses défauts : en se concentrant sur notre époque, il en décortique les mécanismes avec minutie, notamment celui du conditionnement des enfants. En examinant le discours tenu par les adultes à nos chères petites têtes blondes dans des musées et salons de lagriculture qui leur sont destinés, Michelle Julien montre comment on casse le lien affectif qui spontanément se crée entre lenfant et lanimal, pour lui substituer un sympathie artificielle pour des animaux de dessins animés ou de publicité qui permet de poursuivre une exploitation productiviste, aussi cruelle que cupide, dans le plus grand sommeil des consciences.
Le féminisme affiché de lauteure, à qui lon doit également le livre au titre évocateur Des souris et des salopes. De la misogynie en milieu animaliste, permet aussi de saisir une parenté entre le système dexploitation des vaches et le machisme : «La vache et la femme, tantôt saintes ou garces, toujours jugées sur leur apparence physique (
) La vache est folle, jamais le taureau ; tout comme la femme est hystérique jamais lhomme», annonce-t-elle dès son introduction (en forçant tout de même un tantinet le trait, car le taureau fou est aussi un lieu commun de la culture occidentale, du moins létait-il avant lapparition de lencéphalopathie spongiforme
).
La large place que Michelle Julien accorde notamment dans ses interviews aux paroles dacteurs engagés contre la souffrance animale donne à réfléchir sur les voies alternatives de lélevage bovin. Sans forcément partager toutes les conclusions du livre dont une part semble viser, notamment dans son insistance sur les méfaits écologiques de lélevage dun animal pour sa viande et son apologie du véganisme dEva Batt, à détourner lhumain de ses instincts carnivores , le public francophone y trouvera une contribution intéressante au débat sur la place de lhomme dans la nature et la souhaitable réorientation de nos systèmes de production.
Christophe Colera ( Mis en ligne le 09/03/2011 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Faut-il manger les animaux ? de Jonathan Safran Foer L'Ethique animale de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer Entretien avec Jean-Baptiste Jeangène Vilmer | | |
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