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| Philippe Manière Le Pays ou la vie est plus dure Grasset 2012 / 18 € - 117.9 ffr. / 295 pages ISBN : 978-2-246-75071-0 FORMAT : 13cm x 20,5cm Imprimer
A la veille de lélection présidentielle, Philippe Manière nous livre-t-il là un nouvel opus «décliniste» à limage de celui de Nicolas Baverez (La France qui tombe, Perrin, 2003) ? Malgré lapparent pessimisme du titre, le livre ne dresse pas un portrait en noir de la France mais explore plutôt pourquoi les Français partagent le sentiment diffus quen effet, chez nous, la vie est plus dure.
Cest un bien étrange paradoxe. La France, tant vantée à lextérieur pour son «art de vivre» et jouissant dune situation enviable par bon nombre dautres pays, possède le peuple le plus pessimiste de la planète. Les sondages sont têtus : lavenir, aux yeux de nos concitoyens et singulièrement de la jeunesse, ninspire que peu despoir et de confiance. Emploi, logement, défiance envers lécole, ces trois grandes inquiétudes se conjuguent pour désigner un coupable : la mondialisation. Comment expliquer que cette mondialisation, dont nous ne sommes pourtant pas les seuls à ressentir les effets, soit chez nous si mal vécue ? Pourquoi nous apparaît-elle comme une menace ?
A lencontre des préjugés environnants, Philippe Manière rappelle tout dabord que la France ne fait pas que subir la mondialisation. Bien au contraire, nous sommes le 3ème exportateur mondial dinvestissements directs à létranger, nos firmes transnationales sont puissantes et conquérantes, notre taux douverture est parmi les plus élevés du monde. Notre pays tire donc très bien son épingle du jeu de la mondialisation. Trop bien ? Cest lavis de lauteur qui pointe le zèle de nos grands dirigeants à appliquer de façon presque dogmatique les canons de la mondialisation au nom dune conception presque primaire de la «compétitivité». Leur quête absolue de la réduction des coûts se manifeste ainsi sur le sol national par des politiques entrepreneuriales «castratrices» sur les salaires, sur les effectifs et sur la sous-traitance. A leur décharge, peut-on totalement reprocher à ces derniers de préférer se lancer à la conquête du monde au détriment de lancrage national de leurs entreprises lorsque la puissance publique sobstine à renforcer les mécanismes de protection, dont lempilement byzantin se retourne aujourdhui contre ses objectifs ?
En conséquence, la mondialisation sexprime chez nous de façon plus brutale quailleurs. Les Français le ressentent bien. Une partie dentre eux nourrit une défiance prononcée à son endroit, retenant plus aisément les drames humains des licenciements que la baisse des prix ou la création demplois nouveaux. Une autre partie, qui a foi dans les perspectives offertes par la mondialisation, préfère sexpatrier, cherchant ailleurs le dynamisme qui nous manque.
Cela ne suffit pourtant pas à expliquer pourquoi les Français vivent la mondialisation comme une menace de déclassement. Pour Philippe Manière, celle-ci nous heurte davantage parce quelle agit comme le révélateur du «mensonge égalitaire français» (p.116). La liste est longue de nos arrangements avec les valeurs que nous professons et auxquelles nous sommes profondément attachés. Élargissant le champ des possibles pour ceux qui savent en tirer parti, la mondialisation fragilise également les positions acquises. Lécart saccroît entre les plus riches et les plus pauvres. Les inégalités sont rendues plus sensibles en raison dune ségrégation spatiale plus visible entre les quartiers centraux et périphériques, alimentant le ressentiment de ceux qui se sentent, au sens propre, de plus en plus relégués. Lécole, ruinée par le credo égalitaire qui prolonge lillusion quil est encore possible dobtenir partout les mêmes résultats avec les mêmes moyens, peine de plus en plus à remplir son rôle. Elle a manqué le tournant de la massification scolaire. Seuls les initiés peuvent se repérer dans un dédale de formations qui favorise la reproduction du capital social, tant intellectuel que financier, à travers des filières soit prestigieuses, soit coûteuses. Mais même pour ceux qui décrochent un diplôme, encore faut-il quil soit le bon ! Car, en France, le recrutement en dépend plus que nulle part ailleurs. Ainsi, la mobilité dans lemploi est-elle freinée par une myriade de «plafonds de verre», frappant les «mauvais» diplômés, «mauvais» qualifiés, mais aussi les femmes et les personnes issues de limmigration. Quant à la formation continue, force est de constater quelle ne fonctionne pas suffisamment. Cette absence de mobilité sociale ruine les possibilités de «faire société» tant il est vrai que la conviction ancrée de limpossibilité de voir évoluer sa condition renforce les comportements égoïstes.
Limmobilisme social semble dailleurs être devenu le trait caractéristique de la société française. En témoigne la protection de la rente qui sexprime à divers degrés. Une classe politique figée bénéficie dune rente de situation grâce au cumul des mandats qui freine son renouvellement alors que son profil nest absolument plus représentatif de la société actuelle. Une kyrielle de mesures prises par les pouvoirs publics au nom de la sacro-sainte «protection» consolide les avantages acquis des propriétaires, retraités, détenteurs de CDI, agents de la fonction publique et autres professions réglementées. Tout à son propos, Philippe Manière va-t-il jusquà prétendre casser tous les privilèges dont jouissent ces «rentiers» afin de rendre la société plus égalitaire mais aussi plus précaire - pour tous ? Les objections peuvent être nombreuses. Elles ne doivent cependant pas occulter largument principal de lauteur qui touche au cur de nos valeurs républicaines : la sclérose dans laquelle senferme notre société ruine notre croyance dune réussite possible en fonction des mérites de chacun.
Cest donc à un complet basculement de laction politique quinvite Philippe Manière. Il sagit dune part darrêter de limiter par la contrainte réglementaire lemprise du marché en matière économique afin de mieux profiter de la croissance mondiale. Dautre part, il faut réorienter et accroître laction publique en matière institutionnelle et sociale de façon à permettre de mieux intégrer et représenter les Français, de relancer légalité républicaine par lécole et lUniversité, de casser les rentes indues et de rétablir la justice fiscale, sociale et la compétitivité.
Parce quil formule un constat éclairant sur notre pratique et notre perception nationale de la mondialisation ainsi que sur les blocages de la société française, cet ouvrage devrait réconcilier au moins sur certains sujets ! les points de vue de ceux qui, à droite comme à gauche, estiment quil est encore possible dengager les réformes profondes dont la France a besoin. Reste au courage et à la volonté politique den déterminer les méthodes
Antoine Broussy ( Mis en ligne le 11/04/2012 ) Imprimer
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