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Crépuscule de la Beauté
Jean Clair   Les Derniers jours
Gallimard - Blanche 2013 /  21 € - 137.55 ffr. / 334 pages
ISBN : 978-2-07-014265-1
FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm
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Les Derniers jours est l'essai mélancolique d'un homme qui dit appartenir "à un peuple disparu. À ma naissance, il constituait près de 60 % de la population française. Aujourd’hui, il n’en fait pas même 2 %".

Jean Clair, essayiste, historien d'art, est l'auteur de nombreux ouvrages comme Méduse Contribution à une anthropologie des arts du visuel (1989), La Responsabilité de l'artiste (1997), Balthus (1998), La Barbarie ordinaire, Music à Dachau (2001), Du surréalisme considéré dans ses rapports au totalitarisme et aux tables tournantes (2003), Journal atrabilaire (2006), Malaise dans les musées (2008), L'Hiver de la culture (2011) et Hubris (2012). Il dirigea également le Musée Picasso et fut le commissaire d'un grand nombre d'expositions nationales. Il a écrit de nombreuses fois contre l'art contemporain, et plus généralement, il tente de faire entendre une voix critique, donc «déplaisante».

Dans ce bel essai, il fait songer quelque part à Jean-Sébastien Bach qui, sentant que la composition fuguée disparaissait, composa L'Art de la fugue pour faire entendre encore la beauté de cette forme. Jean Clair se sent isolé, malgré sa position actuelle (il est membre de l'Académie française) et son passé illustre. Ce penseur ne courbe donc pas l'échine même s'il sait que la résistance est perdue d'avance ; d'où ce titre crépusculaire et désabusé qui annonce la fin d'une certaine conception de l'homme et de l'art.

Certains diront qu’il cède à un pessimisme facile, que l’on doit accepter l’évolution des choses et qu’il est désagréable d’entendre de tels «grincheux». Ces reproches donneraient en fait raison à Jean Clair : de nos jours, le ''bonheur'' pour soi – un bonheur de façade - ne tolère rien d’autre que lui-même, incapable d’accepter la critique ou la polémique, avec pour principal argument que l’on jette ainsi une ombre malheureuse sur le sourire ensoleillé des gens bienheureux dans leur temps...

Plusieurs passages de l'essai sont critiques et acerbes contre ce temps de la marchandisation des musées, l'artiste contemporain déversant ses inepties abstraites, désacralisant tout à l’égal du publicitaire. Jean Clair préfère remonter le temps, évoquer son parcours, indiquer la lente dégradation de notre passé culturel. Il n'a pas de mots assez durs envers la syntaxe qui est barbarisée, un langage qui se déstructure sous les coups d'un mercantilisme qui aurait intérêt à brouiller tous nos repères. Jean Clair, au long de sa promenade entre hier et le présent, fustige l’anéantissement de la paysannerie, le culte de la transparence, la promotion d'un «citoyen idéal» libre de toutes attaches, la perte du secret, le saccage du passé ; il relie ainsi André Breton et sa maison de verre avec notre monde friand d'exhibition.

S’en prenant par exemple à l’artiste contemporain Manzoni qui présenta ses excréments dans de petites boîtes comme «œuvres d'art», il écrit : «Si peu d'années après l'ouverture des camps, cette élévation de la merde au rang d'artefact artistique dans la société policée des amateurs d'art des années 60 laisse songeur. Aucune société, avant la nôtre, dans cette seconde moitié du XXe siècle n'avait encore songé à fonder ses assises spirituelles — l'art étant de ce domaine de l'esprit — sur la diffusion mercantile d'excréments humains, et la puanteur des décompositions du corps. Ce qui avait accompagné l'horreur, la misère, l'inhumanité des camps, son essence en quelque sorte qui en marquait à la narine la nature, sa note dominante comme disent les parfumeurs ou les maîtres de chai, son effluve, son remugle le plus intolérable, l'odeur de la pourriture des cadavres mêlée à l'odeur des latrines omniprésentes, était ainsi devenu la composante de l'habitus artistique d'une société raffinée, jusqu'à se voir proposée à la vente dans les galeries d'avant-garde». L’attaque est violente mais révélatrice du parti pris par Jean Clair, qui est de débusquer des intentions inhumaines derrière les postures d'une avant-garde se prétendant novatrice.

Il est impossible ici de retracer toutes les analyses que Jean Clair établit dans cet ouvrage riche et dense, écrit dans un style impeccable, précis dans le choix des mots et leur sens, dans une belle langue, claire et limpide, le contraire, justement, de cette dilution contemporaine du langage.

Sans doute le constat fataliste de Jean Clair est-il juste et sa voix va-t-elle peu à peu s'éteindre comme il le pressent. Mais le chemin pris par l'auteur indique certainement une voie à suivre...


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 13/11/2013 )
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