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Dribbling game vs.passing game | | | Jean-Claude Michéa Le Plus beau but était une passe - Ecrits sur le football Flammarion - Champs Université 2014 / 15 € - 98.25 ffr. / 147 pages ISBN : 978-2-08-131314-9 FORMAT : 13,6 cm × 21,0 cm Imprimer
Cet essai n'est pas indispensable dans la bibliographie de Jean-Claude Michéa. Pour découvrir l'auteur, il vaut mieux se reporter à d'autres ouvrages controversés, comme LEmpire du moindre mal, La Double pensée ou, celui-ci essentiel par contre, Le Complexe dOrphée. Néanmoins Le Plus beau but était une passe illustre bien les thèses de l'auteur, à savoir une critique de l'extension progressive de la logique libérale sur toutes les sphères du vécu, et notamment ce qui reste du lien entre les individus, résistance aux eaux glacées de légoïsme et du froid calcul de l'intérêt.
Le titre est à cet égard révélateur. Regroupant ici ses écrits sur le football (''Nous sommes tous des mendiants du beau jeu'', ''Y a-t-il une «philosophie du football» ?'', ''Appel à sauver le stade de football Pierre-Rouge'' et ''Les Intellectuels, le peuple et le ballon rond''), lauteur est explicite dans sa démonstration. Il oppose le dribbling game originel (qui est fondé sur le vieil idéal aristocratique de la prouesse individuelle, cest-à-dire sur le fait que chaque joueur sefforce dès quil est en possession du ballon daller seul au but et de marquer) au passing game (jeu fondé sur lentraide, la coopération et le travail en commun). Michéa fait ainsi référence à la phrase dEric Cantona dans le film de Ken Loach. Quand on a demandé au joueur quel était son plus beau but, celui-ci répondit que son «plus beau but était une passe», seffaçant devant son co-équipier et indiquant par là le travail déquipe définissant ce sport populaire.
Michéa scelle sa démonstration en marquant la différence entre le jeu égoïste-libéral du dribbling game et le passing game centré sur le don et lentraide, notions si importantes au sein des classes populaires pour se préserver du capitalisme et de sa froide logique égoïste. L'auteur en veut à larrêt Bosman - imposé par lUEFA en 1995 - de la Cour de justice européenne, qui allait modifier le statut social et symbolique des joueurs professionnels. Avant cela, il était rare quun joueur pût vivre de la gloire du terrain et gagner plus de deux fois le salaire dun ouvrier qualifié ou dun contremaître. Cet arrêt allait permettre aux grands clubs sportifs de se transformer en entreprises capitalistes, susceptibles dêtre cotées en Bourse et de recruter à prix dor les meilleurs joueurs du monde, transformant un nombre croissant de ceux-ci en mercenaires, plus soucieux de leur image que de leur talent sur le terrain.
Doù dailleurs la pauvreté actuelle du jeu ; il sagit pour séduire les sponsors de gagner le match et de ne pas encaisser de but (la fameux 1-0) au lieu de prendre un plaisir réel à jouer en équipe, doffrir un spectacle ébouriffant quitte à prendre des buts si lon peut en mettre un de plus au fond des filets. Les matchs dantan, rappelle-t-il, se concluaient par des scores fleuves, du genre 6-5.
Jean-Claude Michéa cible aussi à dessein les intellectuels libéraux, de droite comme de gauche, qui ne cessent de qualifier le football de sport de bas étage, dopium du peuple. Il sagit évidemment d'intellectuels qui méprisent le peuple et qualifient de populiste toute tendance qui pourrait verser soi-disant dans le fascisme. Or, comme le rappelle notre philosophe, le populisme est lallié naturel de la démocratie puisquil sagit du pouvoir par le peuple et pour le peuple. Le dessinateur Cabu est par exemple attaqué par l'auteur, pour avoir stigmatisé ce Français populaire de «beauf».
Mais au-delà de la défense du football (Albert Camus disait, rappelle l'auteur : «Tout ce que je sais de la morale, cest le football qui me la appris»), Jean-Claude Michéa rappelle à qui veut bien lentendre que le don, lentraide et tout autre sentiment dappartenance à une communauté et de lien à autrui restent fondamentalement opposés à cette logique libérale qui tend à ruiner tout ce qui reste dhumain en lHomme.
Yannick Rolandeau ( Mis en ligne le 12/05/2014 ) Imprimer
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