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Un réquisitoire salutaire | | | Jean-Claude et Geneviève Antakli Syriapocalypse L'Harmattan 2016 / 29 € - 189.95 ffr. / 264 pages ISBN : 978-2-343-09169-3 FORMAT : 15,0 cm × 24,0 cm
L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a publié entre autres, aux Editions du Cygne, Au cur des mouvements anti-guerre (2015). Imprimer
La guerre civile syrienne, largement déclenchée et manipulée par des puissances extérieures, a fait 300000 morts et détruit un pays multiconfessionnel, à bien des égards fort attachant et central dans lhistoire de notre civilisation. Ce scandale de notre époque a été recouvert, comme bien dautres, par une chape de plomb médiatique totalitaire en Occident. Aussi les rares livres qui contribuent à briser le mur du mensonge méritent-ils dêtre cités. Syriapocalypse en fait partie.
Les auteurs, à lorigine diplômés de luniversité de médecine de Montpellier, sont connus dans les milieux chrétiens français et proche-orientaux pour avoir été les vecteurs du témoignage de la voyante Myrna Nazzour, célèbre en Syrie pour avoir eu des apparitions de la Vierge Marie et de Jésus-Christ, et détenir à Damas une icône myroblite, ainsi que pour leurs initiatives de solidarité avec le peuple syrien, ce qui leur donne une connaissance du terrain qui a fait défaut à la plupart des commentateurs du monde médiatique parisien.
Leur sensibilité chrétienne offre un éclairage utile alors même quen France les milieux catholiques (y compris le journal La Croix) ont pendant plusieurs années de guerre civile sympathisé avec la cause des opposants islamistes à Bachar El-Assad en ne relayant jamais le point de vue des chrétiens orientaux. Le couple Antakli apporte notamment des détails poignants sur la prise par les djihadistes en 2013 du quartier de Djabal Al Saydé (la montagne de la Vierge) à Alep où une icône suintait un liquide noir inquiétant comme pour avertir les habitants, depuis 2010, et celle de Maaloua la Lourdes chrétienne, qui rendent plus vivante à nos yeux lampleur de la tragédie que subit cette communauté.
Mais ce livre nest pas principalement un témoignage chrétien. Cest dabord une somme des divers principaux événements de la guerre, abordés sous un angle bien différent de celui que nous a présenté la «grande presse» française : les initiatives en 2013 pour dynamiter le plan de paix en six points de Cheikh Moaz Al Khatib, prêcheur de la Mosquée des Omeyades à Damas, membre des Frères musulmans et lobbyiste du groupe pétrolier Shell (le raid israélien du 30 janvier, lintransigeance du vice-président Joe Biden à la Conférence internationale de Sécurité de Munich en février, les pressions du Qatar sur les classes politiques européennes), le rôle des forces spéciales occidentales, les pressions pour lusage darmes chimiques notamment à Khan Al Assal le 19 mars, les fausses rumeurs entretenues par le journal Le Monde à ce sujet, laffaiblissement de la coalition dopposition montée par les Turcs, les pétromonarchies et les occidentaux avec le départ de la commission générale de la Révolution Syrienne et léloignement de Randa Kassis, le tournant de labdication de lémir du Qatar Hamad ben Khalifa sur ordre des États-Unis le 25 juin 2013, la chute des Frères musulmans égyptiens le 3 juillet (et le rôle de la Russie sur la diffusion dinformations sur le projet de vente du Sinaï), limpact de lenquête sénatoriale consacrée à lassassinat de lambassadeur américain à Benghazi sur la position dObama, la montée en puissance de Daech, le montage du massacre de la Goutha du 21 aout 2013 (qui fut léquivalent pour la Syrie de ce que Račak avait été pour lattaque contre la Serbie en 1999) et les retournements des dernières années : le sabotage du régime de Nouri Al Maliki en Irak en laissant Ninine à Daech et Kirkuk aux kurdes, limplication croissante de la Russie, le tout resitué dans le cadre du grand échiquier mondial le coup dEtat ukrainien, lémergence de projets monétaires au sein des BRICS pour affaiblir le dollar jusquau terrible retour de boomerang des attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan en 2015.
Le couple Antakli ne néglige aucun élément danalyse : lhégémonisme occidental, les enjeux gaziers, le projet néo-conservateur de dynamitage des États du Proche Orient dit Project for the New American Century PNAC (à ce propos les auteurs citent un livre de Pierre Hillard de 2011, proche de la mouvance catholique française, mais la gauche laïque européenne dénonce ce projet PNAC depuis bien plus longtemps, voir les rapports de BRussels tribunal depuis 2004). A la différence des témoignages de terrain, les éléments de contexte puisent à des sources de seconde main souvent trouvées sur Internet, comme celles du journaliste René Naba, mais le lecteur habitué à la langue de bois officielle des grands médias y trouvera des informations qui nont pas pignon sur rue, présentées avec une remarquable clarté et une liberté de ton méritoire.
Car le livre ne mâche pas ses mots. «50000 djihadistes sont attendus encore en Syrie, en vertu dun accord passé entre les USA et lArabie Saoudite dun côté, et Tarik Al-Fadhi de lautre, un des chefs les plus dangereux de la branche yéménite dAl-Qaeda» (p.17). «1500 usines des plus performantes ont été pillées après avoir été méthodiquement démontées, volées, puis expédiées en contrebande et vendues en Turquie (
) ce ne sont pas les rebelles syriens, ce nest pas lASL qui a ciblé les usines, les centrales électriques, les canalisations de gaz et deau» (citant le président de la chambre de commerce et dindustrie dAlep, p.22). «[A Tripoli] linconséquence de notre diplomatie, de celle de lOTAN, de celle des USA et de la GB, nous a même conduits, ce que dénoncent lAlgérie et lUnion africaine, à reconnaître Belhadj Abdelhakim alias Abou Abdallah Assadak [ancien allié dAl-Qaeda en Irak], comme leader de la Révolution libyenne». «Les Etats-Unis et Israël nont rien appris. Leur objectif est la suprématie militaire sans partage, la domination de tous les espaces, y compris le cyberespace, en spoliant les richesses en premier lieu énergétiques, de pays trop faibles pour se défendre» (p.29). Etc.
Le réquisitoire est sans concession contre les dirigeants occidentaux qui conjuguent aveuglement arrogant, ignorance, et cupidité devant les financements du Qatar et de lArabie Saoudite. Notamment le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius dont la responsabilité dans le renforcement des islamistes et lentretien de la guerre est considérable et leût été davantage si notre pays navait pas été une puissance militaire de second rang, y reçoit sa juste part dopprobre. La droite sarkozyste nest épargnée pour autant. La servilité des grands médias non plus, avec une mention spéciale, à diverses étapes, pour le journal Le Monde, dont on connut aussi le rôle belliciste en ex-Yougoslavie, en Libye et sur à peu près tous les sujets de tension internationaux depuis trente ans.
On pourra regretter, sur le plan formel comme cest souvent le cas avec des éditeurs comme LHarmattan qui ne sont pas dotés dun service de relecture la présence persistante de coquilles qui peuvent aller jusquà faire situer lagression de lOTAN contre la Serbie en 1992 au lieu de 1999 (p.23). Sur le fond, certains jugements sont sans doute un peu trop rapides tels celui qui fait voir dans Alexandre Kojève un vecteur dinfluence de la pensée de Carl Schmitt en France (p.81), alors que lhegelianisme de Kojève na plus aucun impact sur nos élites philosophiques depuis le déclin du structuralisme. Qualifier Donald Trump de «docteur Folamour» et le placer sur le même plan dans lardeur belliciste quHillary Clinton paraît un peu excessif quand on songe à ses critiques de linterventionnisme militaire, de lingérence en Irak, de la politique anti-russe et des technostructures de lOTAN. On aurait pu attendre aussi du livre un propos plus nuancé sur le régime de Bachar El-Assad, car si, bien sûr, les caricatures odieuses dont il a fait lobjet méritent dêtre dénoncées, son incapacité à se réformer a aussi, à diverses étapes du processus, entravé les efforts de paix au point quen mars dernier Vladimir Poutine a menacé de retirer ses troupes de Syrie pour linciter au changement. La politique russe est peut-être aussi présentée sous un jour parfois trop simple, qui fait notamment limpasse sur diverses reculades devant les Occidentaux avant lintervention massive décidée seulement fin septembre 2015.
Mais ce sont là des points finalement accessoires et la lecture de louvrage de Jean-Claude et Geneviève Antakli est à recommander à qui souhaite avoir, sans entrer dans le détail technique des opérations militaires et des négociations diplomatiques, un panorama réaliste des grands enjeux de la guerre de Syrie, de la chronologie de son déroulement et de lampleur de la désinformation à laquelle le conflit a donné lieu en Europe.
Frédéric Delorca ( Mis en ligne le 15/07/2016 ) Imprimer | | |
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