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La longue histoire de l'extrême centre français
Pierre Serna   L'Extrême-centre ou le poison français - 1789-2019
Champ Vallon - L'esprit libre 2019 /  20 € - 131 ffr. / 289 pages
ISBN : 979-10-267-0675-5
FORMAT : 14,0 cm × 20,0 cm
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L'ouvrage de l'historien de la Révolution Française Pierre Serna représente un bréviaire de résistance à la décomposition politique contemporaine. Il décrypte les ressorts historiques et politiques de la période de présidence d'Emmanuel Macron, qui voit se désagréger les partis traditionnels et le paysage idéologique de l'après 1945 et inaugure le retour d'une vieille forme politique de type autoritaire, proche des élites et profondément anti-démocratique.

Dans son introduction, il revient sur l'élection du dernier président en 2017 et dénonce les dérives autoritaires du régime républicain qui s'éloigne de la démocratie. Il rejoint dans son analyse plusieurs chercheurs, notamment politologues, qui constatent qu'une forme de néo-libéralisme rogne sur les acquis démocratiques dans le monde et secrètent des régimes populistes-conservateurs temporairement favorables à la démocratie jusqu'à l'arrivée au pouvoir, puis plus fermés au moment de gouverner (l'exemple de partis islamistes dans le monde arabo-musulman est typique de ce schéma). Serna rappelle la fragilité de la République démocratique issue de 1789 en France, lentement stabilisée à la fin du XIXe siècle puis dans la deuxième partie du XXe. Il analyse le livre-programme de Macron, Révolution, comme un écho à la matrice politique des Français. Il dénonce clairement un usage de l'Histoire à des fins de promotion du dernier conservatisme politique sous l'apparence d'une "Grande Transformation" de la société française : "La France s'use depuis deux-cents ans, à intervalle régulier, non de cet affrontement droite gauche, mais de la surpuissance de son extrême centre, difficilement visible"

La France se serait régulièrement donnée à des hommes providentiels venus de l'"extrême centre" mais supposant la soumission de la démocratie à l'exécutif :  Robespierre, Napoléon, De Gaulle, Macron. L'Histoire de France est emplie de ces périodes de crises rendant souhaitable la prise du pouvoir par l'"extrême-centre", soit le dépassement des clivages et divisions existantes (1793, 1799, 1815, 1851, 1958, 2017). L'extrême centre se présente sous la forme d'un état d'exception et d'un régime de rétablissement de l'ordre en sacrifiant les intérêts démocratiques de la Nation. On retrouve dans ce paysage une critique topique de la gauche française contre le dernier avatar d'un pouvoir prônant le "conservatisme" qui ne dit plus son nom et qui, au nom de la défense de la "République", tarit son contenu démocratique.

On peut parfois regretter le style un peu allusif et elliptique de l'auteur car cette période de bouillonnement politique demeure difficile à appréhender dans toute sa subtilité pour les non-spécialistes. Dès le début, la Révolution a secrété le dernier avatar de la monarchie sous la figure des "Impartiaux", soit le centre perdu, rapidement brocardé par Camille Desmoulins, figure révolutionnaire : "Il (Le Club des Impartiaux) incarne une troisième force capable d'imprimer une dynamique nouvelle à la Révolution. Ses partisans s'arc-boutent sur une idéologie du juste milieu, de la défense de la propriété et de l'autorité suprême, garante d'un ordre public (...)". Ce nouveau parti incarne les possédants défendant un ordre public fermé aux exclus. Le centre apparaît, pour reprendre les termes de Robespierre, comme un parti "mitoyen", une faction retorse se positionnant entre l'aristocratie et le peuple. Serna rappelle que la période robespierriste (1793-94) incarne les excès du centre primant sur la politique et le parlementarisme permettant de décapiter le mouvement populaire. L'auteur poursuit : "L'extrême centre repose sur une pratique réactive et malléable à souhait en fonction d'une conjoncture donnée, dans une crise précise des repères traditionnels de droite et de gauche. Il existe par définition, depuis 1789 et la mise en place de la matrice politique de nos institutions, autant de figures de cet impensé et point aveugle politique de l'échiquier, le centre radical, qu'il y a de moments de crises". L'extrême centre s'apparente à un parasite vivant sur le dos de la gauche ou de la droite à l'agonie. La période thermidorienne, après 1794, constitue une tentative d'achèvement et de fermeture de la Révolution par un retour détourné à l'ancienne hiérarchie, la bourgeoisie reprenant la place laissée vacante par l'aristocratie démonétisée. La République du centre s'avère un retournement des élites, une mutation du groupe dominant se ressourçant dans le passé et par une stabilisation conservatrice de la société. Le thème des "classes moyennes" surgit dans les controverses dès la Révolution. 

Les Thermidoriens ont un projet de délégitimation des révolutionnaires en assimilant ce torrent politique à la "Terreur", à la violence, et à la corruption : "Une stratégie appelée à un long avenir se met en place en 1795 : disqualifier la politique en la présentant comme un objet suranné et inutile, ou, plus grave, facteur de troubles civils, dans une société qui doit au contraire se tourner vers la richesse et les activités privées...". En 1795, le discours de Boissy d'Anglas appelant à une dépolitisation du débat au nom de l'ordre social traduit ce mouvement d'exclusion de la gauche révolutionnaire et de la Constitution de l'an III (1793) qui appelait une république sociale jamais appliquée. Le programme de Thermidor repose sur le retour à la hiérarchie sociale fondée sur la propriété, le rejet de l'anarchie et la primauté de l'exécutif. Le débat et le pluralisme sont bientôt pénalisés, les libertés sont criminalisées. Il s'agit donc bien d'une entreprise de dépolitisation du peuple et de volonté de le détourner uniquement vers la vie sociale individuelle et l'avenir économique.

Serna relate la période du Directoire (1795-1799) comme la première expérience libérale conservatrice, servant de matrice à l'extrême-centre jusqu'à celle de Macron en 2017-2019. Il rappelle que le Directoire créé notamment le ministère de la Police dès 1795 : "l'objectif de ce programme de renforcement de l'Etat sécuritaire consiste à éliminer la pluralité des conflits idéologiques pour fédérer les citoyens autour d'un ordre public". Le moment directorial vise à annihiler le "danger" de la droite monarchiste et de la gauche démocratique. Les élections deviennent une menace pour le parti du centre face à un peuple vu comme versatile. Serna rapporte que l'extrême centre prépare généralement le terrain à un pouvoir autoritaire débarrassé de ses oripeaux démocratiques.

L'ouvrage revient sur une "maladie" des élites françaises manifestée par le girouettisme entre droite et gauche (les transfuges d'un camp politique à l'autre), la palinodie politique qui guette les individus au pouvoir. Il se sert de cette tendance historique pour expliquer le présent dominé par Emmanuel Macron et ses nombreux ralliements, qu'ils viennent de droite comme de gauche sous la bannière d'un exécutif fort : "C'est ainsi que, même s'il fait appel à la société civile pour rénover le corps politique, l'étude montre qu'en 1815 comme en 2017, les catégories socio-professionnelles représentées sont toujours plus restreintes et sans cesse plus élitistes, soit le contraire de la prétendue ouverture sur la société dans son ensemble". Le macronisme professant un "ni droite, ni gauche" reflète le girouettisme à la française qui peut également rejoindre la pratique de la haute fonction publique adepte du "balancement circonspect" permettant de naviguer au gré des changements entre pouvoir de droite et pouvoir de gauche et évitant les effets du spoil system (remplacement des dirigeants de l'administration au gré des changements de pouvoir) à l'anglo-saxonne. Serna dézingue la prétention du macronisme à créer un "nouveau monde" surplombant l'ancien désormais considéré comme vermoulu alors qu'il dissimule une forme de retour à l'Ancien Régime anti-démocratique. Il analyse le livre-programme de Macron faisant référence à Colbert et Napoléon III, qui justifie la palinodie vis-à-vis de François Hollande comme représentant typique de l'"ancien monde". Serna considère que ce poujadisme des élites génère le mouvement des gilets jaunes en retour. Toutefois, l'auteur défend la figure du député-maire comme antidote démocratique alors que cette forme de concentration des pouvoirs peut, en pratique, également produire des oligopoles et du clientélisme de contournement démocratique. La pratique "jupitérienne" du pouvoir a des relents de monarchie honnie par les révolutionnaires.

En conclusion, l'historien, qui souhaite, sans fard, mettre son savoir universitaire au service des citoyens en quête de résistance, revient sur la biographie du Président de la République. Il décrit son milieu d'origine de haute bourgeoisie provinciale, enfant de médecins : son père, professeur de neurologie au CHU d'Amiens, sa mère, médecin conseil à la sécurité sociale. Dans sa diatribe anti-Macron, il analyse que l'extrême centre d'aujourd'hui a fini par radicaliser les courants de gauche et de droite. L'historien observe que, face au régime libéral conservateur "en marche", deux voies s'avancent, l'une d'un retour à un réformisme démocratique, l'autre de la violence de type révolutionnaire qui peut tout emporter. Il conclut par ces mots : "Il est temps de refuser la soumission à un centre extrémiste. L'histoire de France est l'histoire d'une saine et longue colère contre toute forme d'arbitraire. Il n'est jamais trop tard pour reconquérir ses droits, ses libertés et exercer ses devoirs républicains et démocratiques contre toute forme d'extrémisme". Ainsi, cet ouvrage se veut une interprétation historique dans la longue durée du présent politique. Il exerce à la fois une critique utile du pouvoir parfois tenté par des formes modernisées d'"absolutisme" et un contre-feu à une hégémonie du macronisme. 

On peut toutefois nuancer la posture de Pierre Serna, car à l'échelle européenne et mondiale, si le macronisme constitue un type de pouvoir exécutif certes fort avec des tendances monarchistes, sa position reste prépondérante mais demeure minoritaire et affaiblie vis-à-vis de l'opinion française, et l'attachement à la tradition républicaine et démocratique résiste, conduisant à un régime plus ouvert que de nombreuses formes autoritaires, dictatoriales ou impériales dans le monde actuel, y compris en Europe. Il est également possible d'interpréter la situation de pouvoir de Macron comme un pis-aller, un compromis bancal et boiteux permettant de maintenir, parfois malgré lui, un modèle de république démocratique dans un contexte de montée du populisme et de l'autoritarisme mondial poussant à des formes politiques plus verticales et plus radicales. 


Dominique Margairaz
( Mis en ligne le 20/11/2019 )
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