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Paris n’est plus une fête
Benoît Duteurtre   Les Dents de la maire - Souffrances d'un piéton de Paris
Fayard 2020 /  18 € - 117.9 ffr. / 181 pages
ISBN : 978-2-213-71664-0
FORMAT : 13,5 cm × 21,5 cm
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Benoît Duteurtre allie fictions et récits polémiques pour critiquer l’esprit du temps. Auteur de romans - Tout doit disparaître (1992), Drôle de temps (1997), La Petite Fille et la Cigarette (2005) ou La Cité heureuse (2007) - mais aussi d'essais - Requiem pour une avant-garde (1995), Ma belle époque (2007) et Polémiques (2013) ) -, il propose aujourd'hui dans cette dernière veine Les Dents de la maire : Souffrances d'un piéton de Paris (Fayard), avec ce jeu de mots faisant allusion au film de Steven Spielberg.

Benoît Duteurtre évite en règle générale toute véhémence, toute acrimonie, tout pathos pesant, ce qui n’empêche pas que son style léger soit souvent «cinglant». C’est ce qui fait son talent. Dès le début de l'essai, il fait allusion au philosophe marxiste Henri Lefèbvre qui écrivit un essai remarqué, Critique de la vie quotidienne (1958), soucieux des faits concrets et des réalités humaines. C’est bien de vie quotidienne dont il s’agit ici aussi, et l’on n’est guère étonné que Benoît Duteurtre fasse référence à ce philosophe un peu oublié de nos jours, incarnation d’un marxisme non dogmatique, en dehors du marxisme officiel (et bourgeois) qui faisait la loi et qui était en réalité... bien peu marxiste.

Benoît Duteurtre cite aussi un essai de Louis Chevallier, L’Assassinat de Paris, qui décrivait l’entreprise de démolition de la capitale par l’affairisme de son époque. Ici, il s’en prend directement à la maire de Paris, Anne Hidalgo, qu’il met parfois en scène. Cet essai est à mi-chemin entre le récit critique et la fiction souvent drolatique puisque, parfois, l’auteur rêve d’Anne Hidalgo, la met en scène en train de le persécuter telle une mère omniprésente et souriante, mais dure et intraitable.

Le récit commence par des observations du moment, qui rappellent cette notation de Cioran concernant le rétrécissement des trottoirs comme l'un des phénomènes majeurs du XXe siècle. L’auteur se met en scène en piéton flânant et arpentant nonchalamment la Ville lumière, rapidement attaqué par les «mobilités douces» (vélos, trottinettes) qui rognent de plus en plus son maigre espace encore alloué. Les rapports deviennent agressifs ; ces mobilités correspondent à la mentalité citadine postmoderne dont les adeptes ne supportent plus aucune contrainte, persuadés d’être ''dans le vent'', au mépris des «arriérés sur deux jambes» qu’ils frôlent et insultent à bon droit.

L’intérêt de cet essai est d’épingler tous les beaux discours lénifiants dispersés par la maire de Paris, comme un esprit du temps que Philippe Muray avait impitoyablement et drolatiquement décrit il y a quelque temps. Benoît Duteurtre rend un hommage discret et sincère à ce dernier. Le progrès, la disneylandisation, l’obsession du sécuritaire et de l’écologie citoyenne forment une joyeuse sarabande, colorée en apparence, mais délétère en réalité. Sous le prétexte de combattre la voiture par exemple, la capitale devient de plus en plus polluée étant donné que la voie Georges Pompidou a été fermée à la circulation. De fait, les voitures se voient obligées de refluer vers le centre-ville, coincées dans d’immenses embouteillages, au milieu des sirènes hurlantes des pompiers, des ambulances et de la Police. La Ville lumière devient grise et difficilement respirable, à l’inverse de l’objectif visé. Le slogan du bon air («Paris respire») n’a rien de débonnaire.

Ce n’est évidemment pas tout ; le passé de Paris se voit aussi défiguré avec le remplacement des kiosques et des fontaines Wallace par d’étranges créations «modernes» ; songeons aux anciennes Halles qui ont été troquées dans les années 1970 par le forum, récemment détruit, lui-même remplacé par une multitude de galeries marchandes, froides et labyrinthiques. Ce sont aussi des fêtes sans cesse mises en avant, sous n’importe quel prétexte et notamment en faveur des associations LGBT ; «je ne savais pas non plus qu’il existait une façon de voyager LGBT», écrit-il. Ce qu’il montre avec humour et par les faits est ce qu’on appelle la gentrification.

Benoît Duteurtre n’aborde pas tous les aspects de cette politique, comme les logements qui ont vu leurs prix exploser, forçant les classes moyennes à déguerpir en banlieue, voire plus loin, si l’on ajoute l’implantation de la plate-forme AirBnb qui accueille les touristes à bras ouverts, mais clairsème les classes populaires qui avaient pourtant façonné le charme et la réputation de la capitale. C’est à l’évidence le remplacement d’un monde ancien par un autre qui a lieu de la sorte sous nos yeux.

On taxera facilement Benoît Duteurtre de réactionnaire, mais ce qu’il note, c’est surtout la disparition de ce qui faisait le bon art de vivre à Paris. On songe alors à Jacques Tati qui a décrit avec son humour particulier, dans Mon Oncle (1959) et surtout Playtime (1967) cet implacable métamorphose d’une ville en complexe touristique laid et glacé. Benoît Duteurtre, nouveau Monsieur Hulot, constate que la situation ne s’est pas améliorée.

Il y a des années, le romancier Ernest Hemingway écrivait un récit intitulé Paris est une fête dans lequel il chantait ses premières et jeunes années d’artiste sans le sou. C’était alors, en 1920, une véritable vie de Bohème où l’on croisait de nombreux artistes ; maintenant, on croise surtout des cadres en trottinettes, des VRP, des hommes et des femmes d’affaires new-look, des bobos propres sur eux, mêlés à des migrants, bienvenus, mais de loin, créant une étrange conjugaison de tiers-mondisme et d’affairisme mondain. À l’inverse d’Hemingway, Benoît Duteurtre déserte de plus en plus Paris.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 26/02/2020 )
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