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Peut-on penser l’Internet ?
Félix Tréguer   L'Utopie déchue - Une contre-histoire d'Internet. XVe-XXI siècle
Fayard - A venir 2019 /  22 € - 144.1 ffr. / 352 pages
ISBN : 978-2-213-71004-4
FORMAT : 15,4 cm × 23,5 cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien-Yves Laurent est professeur à la Faculté de droit et de science politique de l’Université de Bordeaux.
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On manque en langue française d’un ouvrage de référence sur l’Internet, qui ne soit pas réduit aux préoccupations numériques du moment, naturellement changeantes, mais qui embrasserait largement depuis les origines jusqu’aux plus récents développements. C’est probablement avec l’intention de suppléer à cette absence que Félix Tréguer s’est attelé à l’ambitieuse tâche d’écrire un livre de cette sorte. Après les bons ouvrages universitaires de Patrice Flichy (2001) et de Benjamin Loveluck (2015), centrés sur les représentations et les idéologies de l’Internet, F. Tréguer a donné à son travail une dimension historique. Il s’est inscrit dans le prolongement des travaux bien connus en langue anglaise (Abbate, 2000 ; Castells, 2001 ; Goldsmith-Wu, 2006) dont il fait une utile synthèse tout en déplaçant un peu la perspective.

L’argument de Tréguer est simple : Internet est né aux Etats-Unis comme une utopie dont il a été tiré un slogan habile («l’Internet libre et ouvert»). Or celle-ci a été largement détruite selon lui par les multiples entreprises de censure, contrôle et surveillance des Etats aidés par le secteur privé du numérique. On le comprend donc, il s’agit d’un auteur engagé, qui est en l’occurrence l’un des membres fondateurs après 2013 de la nouvelle Quadrature du net. Dès l’introduction d’ailleurs, l’auteur revendique de procéder dans cet ouvrage à un inventaire des campagnes et combats qu’il a menés avec d’autres et ceci n’est pas l’aspect le moins attractif de l’ouvrage a priori. Sa connaissance, au demeurant indispensable, des aspects techniques, lui permet d’utiliser les travaux de science and technology studies (STS). Avoir voulu donner à son essai une forme historique est d’autant plus méritoire que les rapports de l’Etat à l’information ne sont pas limités à la période postérieure à l’Internet : Tréguer a eu parfaitement raison à cet égard de faire la genèse de ces relations qu’il fait débuter à la naissance de l’imprimerie tout en dégageant les spécificités des années post 1970.

L’excellent titre masque toutefois une étude du sujet circonscrite aux Etats-Unis et à la France ; il aurait été utile d’avoir au moins un contrepoint non occidental. Solidement documenté, l’ouvrage n’est pas académique, mais militant, ce qui laisse toute latitude à l’auteur pour opérer des choix. Il adopte ainsi par exemple des formules, plus ou moins heureuses (la notion «d’Etat profond» (p.266) paraissant totalement inadaptée) ou annonce des ambitions théoriques en introduction (Habermas et Foucault) qui sont malheureusement abandonnées dans l’ouvrage. Il aurait été très intéressant - Tréguer ayant toutes les ressources - de combiner la théorie dans la diachronie au cours des trois périodes qu’il a dégagées et qui sont par ailleurs très convaincantes. Il est vraiment dommage que le concept de rationalité d’Etat n’ait pas été travaillé tout au long de l’ouvrage et que la substitution de la «raison algorithmique» (Rouvroy, 2014) à la «raison statistique» (Desrosières, 1993) n’ait pas été explorée. L’ouvrage montre malgré lui la faible robustesse du concept «d’espace public» : forgé en 1962, il paraît en fait fort peu convenir à l’espace communicationnel transnational qu’est devenu l’Internet. L’absence d’outil intellectuel pour aborder la rationalité de cet espace alternatif global à la disposition de la «société civile internationale» (Badie, 2011) est à cet égard très gênante et Tréguer s’est trouvé confronté, comme d’autres, à cette aporie.

Ce n’est pas le moindre des mérites de ce livre que d’avoir montré que penser l’Internet est une tâche collective où il y a beaucoup à entreprendre.


Sébastien-Yves Laurent
( Mis en ligne le 11/09/2020 )
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