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| Noam Chomsky 11/9 - Autopsie des terrorismes Serpent à plumes 2002 / 11 € - 72.05 ffr. / 154 pages ISBN : 2-84261-323-6 Imprimer
Noam Chomsky est un intellectuel dune envergure internationale. Linguiste réputé, philosophe politique souvent cinglant, ce professeur au MIT est également un homme engagé qui, depuis la Guerre du Viêt-nam, propose une lecture toujours fine et en retrait des ondes de chocs historiques. Ainsi des attentats perpétrés dernièrement aux Etats-Unis. La thèse développée par Chomsky au fil de ces entretiens est insolente, au sens propre du terme. Loin de se joindre au chorus anti-mondialiste, aux thèses catastrophistes d"un choc des civilisations" ou à leuphorique croyance en une "fin de lhistoire", il regarde lOccident en face pour lui dire ses vérités.
Quelles sont-elles ? Pour Chomsky, aussi terribles quaient été les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone, ils ne doivent pas faire oublier le terrorisme pratiqué par les Etats-Unis. Car les Etats-Unis sont bien un Etat terroriste qui ne dit pas son nom. Plusieurs exemples frappants étayent cette démonstration, dans la lignée douvrages tels que De la guerre comme politique étrangère des Etats Unis (Marseille : Agone, 2001) ou Culture of Terrorism (South End Press, 1988). Lattaque américaine du Nicaragua dans les années 1980 a laissé le pays dans un état exsangue. Les Nicaraguayens, plutôt que denvoyer des bombes en Amérique, ont saisi la Cour internationale de justice qui a statué en leur faveur, condamnant les Etats-Unis pour terrorisme international - fait inédit dans lhistoire de cette juridiction - sans que ces derniers en tiennent compte. Le Conseil de Sécurité de lONU a alors proposé une résolution imposant aux Etats signataires le respect du droit international. Là aussi, Washington fut le seul à y opposer son veto, répétant ensuite ce refus à une résolution similaire votée à la majorité par lAssemblée générale des Nations Unies.
Plus récemment, le bombardement de lusine pharmaceutique dAl-Shifa au Soudan, sous ladministration Clinton (août 1998), en plus des victimes immédiates de lattentat, continue de toucher la population soudanaise, lune des plus pauvres du monde, en la privant des médications de base contre les endémies qui la touchent (tuberculose, paludisme). Ici aussi, Washington a bloqué lenquête demandée par le Soudan aux Nations Unies pour mettre en avant les raisons de ce bombardement. Au travers dautres exemples, les divers embargos contre lIrak ou Cuba notamment, Chomsky rappelle que ces moyens de coercition contre des populations civiles pour atteindre, souvent au mépris du droit, des buts idéologiques, politiques ou économiques, est la définition même du terrorisme. Ce dernier nest donc pas larme des faibles mais aussi lun des outils politiques des pays occidentaux.
Ce que le linguiste réclame, cest une lucidité qui ne conduise pas à des jugements différenciés sur des événements analogues. Derrière lidéologie occidentale de la démocratie et des droits de lhomme, par ailleurs réelle et vérifiée, se cachent des motivations plus prosaïques aboutissant à des résultats contraires à ceux affichés. La notion de "guerre humanitaire" où les récents envois de nourriture sur les populations afghanes par ailleurs affamées illustrent ce paradoxe apparent. Résumer les bouleversements géopolitiques actuels par une revanche de lOrient sur lOccident, explique Chomsky, revient à passer à côté des trames véritables de ces événements. Ce nest pas la mondialisation que visent les terroristes, dailleurs très souvent occidentalisés, mais les situations susdites auxquelles sajoutent, dans le cas dAl-Quaida, un esprit millénariste islamiste incontestable.
Louvrage prête évidemment à polémique et s'expose à des récupérations hâtives. Le lecteur comprendra que Chomsky ne cherche pas la querelle mais plutôt à penser lévénement en se situant au-dessus de la mêlée. Cest une position toujours malaisée mais estimable. Voilà une raison supplémentaire de saluer lentreprise du Serpent à Plumes, emblématique de son choix de linternational, fait peu coutumier sous nos latitudes.
Thomas Roman ( Mis en ligne le 01/03/2002 ) Imprimer | | |
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