|
Essais & documents -> Questions de société et d'actualité |
| |
Aux sources du terrorisme | | | Antoine Basbous L’Arabie Saoudite en question - Du wahhabisme à Bin Laden, aux origines de la tourmente Perrin 2002 / 18 € - 117.9 ffr. Imprimer
LArabie Saoudite demeure aujourdhui un pays bien mystérieux aux yeux de lOccidental non averti. Les clichés inévitables, Hergé les a admirablement bien résumés dans Tintin au pays de lOr Noir. Mais aujourdhui, nous ne connaissons finalement que peu de choses de ce pays qui avoisine les vingt millions dhabitants. À peine lit-on sporadiquement quelques entrefilets gênés relatifs à la lapidation récente dune femme adultère ou à lamputation dune femme de chambre philippine coupable dun menu larcin. Mais, depuis Munich, lOccident sait fermer les yeux sur les ignominies les plus manifestes quand son intérêt bien compris est en jeu. Na t-on pas vu récemment Madame Chirac esquisser quelques pas de danse avec Jiang Zemin ou, avant, Madame Mitterrand échanger de chaleureuses accolades avec Fidel Castro ?
Par-delà les clichés et les lâchetés, Antoine Basbous nous propose une lecture critique de lhistoire de lArabie Saoudite, au prisme des attentats qui visèrent le World Trade Center en septembre 2001. En 2000, Gilles Kepel annonçait dans un ouvrage retentissant la résorption de lIslamisme, sous sa forme belliqueuse, expansionniste et exclusive, à telle enseigne que les premiers attentats de Ben Laden devaient être considérés comme les ultimes soubresauts dune idéologie moribonde. Servi, il est vrai, par le symbole effarant des tours en fusion, Antoine Basbous soutient au contraire que ce même Islamisme connaît une phase ascendante dont lArabie Saoudite constitue un foyer à la fois idéologique par le wahhabisme, et financier, via les pétrodollars...
Le wahhabisme est une lecture du Coran qui se veut pure et qui rejette toute interprétation. Prêché par les oulémas sunnites, il est bien souvent le socle spirituel et idéologique sur lequel sappuient les mouvements islamistes par-delà les frontières. La vision du monde wahhabite est sommaire, binaire et exclusive : elle sépare lOumma (communauté des croyants) sunnite et wahhabite, du reste de lhumanité qui se hiérarchise suivant des degrés de mépris divers, le Juif se situant au bas de léchelle. Cette distinction permet de justifier nimporte quel excès, contre les croyants (terreur talibane, massacres dAlgérie,
) ou les impies (Bali, 2002 - New York, 2001 Paris, 1995
). Si le wahhabisme a connu un essor international récent avec le combat contre les forces doccupation soviétiques en Afghanistan achevé en 1989, ses origines remontent quant à elles au dix-huitième siècle.
En 1744, dans la péninsule Arabique en proie à dincessantes querelles et rivalités entre tribus nomades bédouines, le prince Mohammed Ben Saoud fait alliance avec le réformateur religieux Mohammed Ben Abdelwahab afin dunifier les tribus sous leur autorité par une série de conquêtes. Ben Abdelwahab, dont linfluence est très importante, est le théoricien dun strict retour au texte du Coran, et donc le pourfendeur de toute exégèse, de toute interprétation, et a fortiori de toute forme locale ou populaire de religiosité (ce qui conduit à la démolition de nombreuses sépultures de saints, à la destruction des images et sculptures,
). Ce « pacte » est lacte fondateur de lArabie Saoudite qui, aujourdhui encore, fonctionne suivant ce schéma liant le pouvoir royal à lautorité religieuse wahhabite. Au cours de lhistoire, les liens entre lautorité temporelle et lautorité spirituelle se sont resserrés ou distendus, mais nont jamais rompus. Lemprise wahhabite en Arabie Saoudite explique aujourdhui le caractère violent et féodal de ce pays fermé où lapidations, décollations et amputations sont monnaie courante, où la condition des femmes est déplorable, où la musique et lalcool sont interdits, où le mécréant a fortiori le Juif - na théoriquement pas le droit de pénétrer
Un seul exemple ? En mars 2002, 15 fillettes périrent dans lincendie de leur école car, non voilées, il leur était interdit dêtre vues par les pompiers venus à leur secours. Reconnaissons néanmoins que lautorité royale fait régulièrement pression sur lautorité wahhabite pour desserrer le carcan idéologique. Les résultats sont mitigés.
Au cours des années 30, cette autorité bicéphale a été confrontée au piège de la modernité dans lequel elle demeure engluée aujourdhui. Avec les premières prospections pétrolières qui annonçaient des gisements dune ampleur inouïe sont arrivés les Occidentaux, et plus particulièrement les Américains via lAramco. Seuls capables de tirer parti des richesses du sous-sol saoudien, les Occidentaux ont posé dinsolubles questions au pouvoir. Faut-il tolérer la présence de mécréants sur la terre des Lieux Saints ? Faut-il renoncer aux richesses extraordinaires annoncées par la prospection pétrolière ? Les Saoudiens, qui surent également faire preuve de réalisme, autorisèrent la présence durable dingénieurs et techniciens mécréants, moyennant quelques conditions strictes (rejet de tout personnel juif, respect des traditions locales par les femmes étrangères, interdiction des offices religieux chrétiens sur le sol de lArabie Saoudite). Ce compromis a suscité une manne de pétrodollars qui, dune part, a conféré une richesse sans commune mesure à la dynastie des Saoud, et dautre part a permis de financer le wahhabisme international et le Djihad, que ce soit en Afghanistan, au Soudan, au Liban, en Tchétchénie, en Bosnie ou au Kosovo. Indirectement, il est possible daffirmer que les mêmes dollars servent à financer les attentats contre les intérêts occidentaux. Mais le hiatus entre lidéologie wahhabite et les pétrodollars occidentaux demeure plus accentué que jamais. LArabie Saoudite peut-elle continuer à vivre de ce partenariat contre-nature avec les Etats-Unis, alliés indéfectibles dIsraël et ennemis déclarés de lIslamisme, plus ou moins radical ? De même les Américains peuvent-ils continuer à alimenter lArabie Saoudite, véritable vivier des ennemis les plus farouches de ses intérêts et de son identité ?
Difficile de conclure, ou tout au moins de saisir la logique des Etats-Unis, à lheure où George W. Bush entend attaquer lIrak, pôle laïc du Golfe Persique, et renverser Saddam Hussein, pourtant haï par les oulémas wahhabites
Reconnaissons toutefois que les relations diplomatiques entre Washington et Riyad semblent se distendre depuis les attentats de septembre 2001. Mais cela peut apparaître bien dérisoire en comparaison avec lacharnement manifesté par les Etats-Unis à lencontre de lIrak.
Antoine Basbous ne se veut pas théoricien du « choc des civilisations ». Il se contente dans son ouvrage de déployer une série de problématiques religieuses, culturelles, idéologiques, économiques qui constituent aujourdhui un des enjeux majeurs du siècle naissant. Le grand mérite de cet ouvrage est de rompre avec une pensée binaire et stérile, qui empêche de prendre en compte lextrême complexité du monde musulman, le poids des sédimentations historiques et linertie des contraintes économiques.
Guillaume Zeller ( Mis en ligne le 14/10/2002 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Jihad de Gilles Kepel L'Islamisme de Antoine Basbous Zacarias Moussaoui, mon frère de Abd Samad Moussaoui , Florence Bouquillat
Ailleurs sur le web :Un entretien avec Antoine Basbous sur le site Proche-Orient.infoLe site personnel d'Antoine Basbous | | |
|
|
|
|