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Pour ou contre la privatisation d’EDF ou comment générer un risque industriel | | | Eric Ouzounian Vers un Tchernobyl français ? Nouveau monde - Délit d'initié 2008 / 14 € - 91.7 ffr. / 174 pages ISBN : 978-2-84736-250-3 FORMAT : 14,0cm x 21,0cm
Lauteur du compte rendu : Rémi Luglia, professeur agrégé dHistoire et interrogateur en deuxième année dans une classe préparatoire commerciale, est doctorant à Sciences-Po Paris où il mène une recherche sur lhistoire de la protection de la nature en France de 1854 à nos jours à travers le mouvement associatif. Imprimer
Tchernobyl. Ce nom résonne dans limaginaire collectif comme lantichambre de lEnfer et réunit sur lui toutes les peurs que suscite lutilisation de lénergie nucléaire, notamment le risque dun accident suivi de fuites radioactives et dune contamination généralisée. Tchernobyl. Cest aussi le mot qui résume le mieux les mensonges dEtat en France sur le nucléaire. Alors que tous les pays dEurope de lOuest mettaient en garde leurs populations contre le nuage radioactif qui provenait de la centrale ukrainienne en 1986, le gouvernement français prétendit que le territoire français nétait pas concerné...
Cest dire quavec un tel titre louvrage se penche sur un secteur de léconomie lénergie parmi les plus secrets et les plus sensibles en France. Dautant quà lheure actuelle de nombreux débats font rages parmi la population : au-delà du «classique» pour ou contre le recours à lénergie nucléaire, qui existe depuis quarante ans, nous avons désormais une réflexion sur le nucléaire comme solution à la production de gaz à effet de serre, et un débat sur la privatisation dEDF et la mise en concurrence de la filière de production délectricité par lénergie nucléaire.
Cest dans ce dernier cadre que se situe lessentiel du propos dEric Ouzounian. En effet, il a recueilli le témoignage dun responsable dEDF («X»), dont dailleurs on ne sait rien sauf quil est «haut placé». La thèse de Monsieur X est simple : les restrictions budgétaires et la réduction des coûts impliquent un recours généralisé à la sous-traitance, avec un souci supplémentaire concernant la formation de ces personnels, ainsi quune plus grande négligence de certaines procédures de sécurité. Les logiques à luvre désormais au sein des centrales nucléaires sont des logiques financières avec des impératifs de rentabilité : EDF doit dégager plus de dividendes pour lEtat-actionnaire. Le pouvoir au sein de lentreprise est ainsi désormais confié aux financiers et non plus aux ingénieurs.
Aussi peut-on se demander quel sera le devenir de la sûreté nucléaire en cas de privatisation totale ou renforcée dEDF (lEtat reste actuellement propriétaire de 70% du capital) ? Va-t-on poursuivre les économies sur les coûts et la durée des maintenances ? Va-t-on augmenter la charge de travail des personnels et demander une moindre observance des consignes de sécurité, non productrices directement de richesse ? Va-t-on se diriger vers une logique du «zéro stock» pour les pièces de rechange au prétexte quun stock, cest du capital immobilisé et qui ne rapporte pas, au risque de ne pas disposer des pièces nécessaires en cas de besoin ?
De plus, on assiste à un vieillissement généralisé des centrales nucléaires françaises : construites dans les années 1980 pour vingt ou trente ans, leur autorisation dactivité est prolongée jusquà quarante ans voire plus. Le motif ? Si lon ferme les centrales qui devraient lêtre, on aurait un déficit dans la production délectricité. Tout cela à cause dun défaut dinvestissement. Et dune volonté daccroissement de la rentabilité : il est moins coûteux de faire durer que de remplacer (ce qui implique dailleurs en plus un problématique et très délicat démantèlement de lexistant
). Mais quid de la sécurité des installations ?
Risque par risque, lauteur dénonce les failles de sécurité de plus en plus nombreuses et inquiétantes ainsi que le manque total de transparence dEDF et de lEtat quant à ses sujets. Il en vient ainsi à se demander, par provocation et sans adhérer à ce projet, sil ne faudrait pas tout compte fait «sortir du nucléaire» pour des impératifs de sécurité.
Enfin, lauteur dresse en annexe un panorama des centrales nucléaires françaises, qui reprend pour chacune delles ses principales caractéristiques et surtout un rapide historique des événements attentatoires à sa sécurité, qui ont pu sy produire ou des manquements à la sécurité constatés par lAutorité de Sûreté Nucléaire (ASN). Inventaire qui apparaît à la fois banal et très inquiétant. Banal car peu d«incidents» ou «accidents» se sont produits. Banal aussi car les manquements voire les négligences - à la sécurité, notamment en matière dorganisation des secours, de lutte contre lincendie ou dinformation de crise, peuvent se retrouver dans de très nombreux établissements en France (industries, bâtiments publics ou habitat collectif, salles de spectacles, etc). Très inquiétants car ils concernent une activité hautement sensible et aux risques très élevés et laissent accroire à une certaine désinvolture de la part du gestionnaire (EDF en loccurrence), de lorganisme chargé du contrôle (ASN) et de lEtat en général. Dautant que lAutorité de Sûreté Nucléaire a manifestement refusé de répondre aux questions dEric Ouzounian ; en tout cas, cest ce que laisse croire la lettre recommandée publiée dans louvrage et qui est présentée comme restée sans réponse
A lire pour avoir conscience des enjeux de sécurité sur le nucléaire civil. Un ouvrage qui fait froid dans le dos. Après Seveso, Bhopal et Tchernobyl, va-t-on citer Cattenom ou Saint-Laurent dans le catalogue des accidents industriels majeurs ?
Rémi Luglia ( Mis en ligne le 18/07/2008 ) Imprimer | | |
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