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Connaît-on encore Leprest ?
Fabrice Plaquevent   Le Cri violet - Petit abécédaire de mes années Leprest. 1970-2011
L'Harmattan 2013 /  11.50 € - 75.33 ffr. / 84 pages
ISBN : 978-2-343-00854-7
FORMAT : 13,5 cm × 21,5 cm
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Dans Donne moi de mes nouvelles, Allain Leprest écrivait «Connaît-on encore Leprest ? Fait-il encore des chansons ?». C'était en 2005. Six ans plus tard, il se donnait la mort, répondant dramatiquement à la seconde question, lui qui n'avait jamais cessé d'écrire. Reste la première question à laquelle les passionnés ne semblent pas prêts à s'arrêter de répondre oui : non seulement ils n'ont pas oublié l'homme mais ils connaissent généralement son œuvre par cœur. Aujourd'hui, la question importante est devenue : l'homme de la rue connaît-il déjà Leprest ? Combien de temps faudra-t-il pour que Leprest se défasse du syndrome de Van Gogh ? Les choses progressent, de très nombreux hommages se donnent ici et là, ses textes sont repris par un nombre grandissant d'interprètes qui viennent se réfugier en lieu sûr, et il est bien probable qu'Allain Leprest sera un jour - pas forcément si lointain - largement connu et reconnu comme l'un des plus brillants auteurs et interprètes au ciel de la chanson française (l'expression est de Nougaro qui ne s'y était pas trompé), toutes époques confondues.

Pour l'homme de la rue qui le découvrait par hasard, le voir chanter était une sensation étrange, celle d'entendre un homme encore jeune (Leprest est né en 1954) interpréter des chansons habiles, subtiles, profondes, terriblement humaines - d'un autre âge, quoi - et en même temps parfaitement contemporaines. Son don unique d'interprétation a fini de faire de lui un chanteur fascinant sur scène. On le comparerait en vain aux Brel, Brassens, Ferré ou Leclerc, si ce n'est pour donner une idée de la belle facture de ses chansons. Une grande interprète de la rive gauche pour qui Leprest a écrit une quarantaine de textes raconte qu'elle a eu la chance d'avoir les meilleurs auteurs «dont Aragon et Leprest». Là encore, le rapprochement de ces deux noms pourvoyeurs de frissons poétiques n'est pas anodin. Cela dit, il n'est pas nécessaire de citer les «grands» noms pour situer Leprest et on fera mieux de l'écouter : on constatera comme une évidence que Leprest est un chanteur magnifique et singulier dont l'alchimie foudroyante a apporté un élan unique à la poésie populaire et à la chanson française de la fin du XXe siècle.

Parfois compositeur à ses débuts, ce sont d'abord ses textes qui l'ont imposé très vite comme une pointure grâce à une poésie très personnelle qui magnifie le quotidien et les petites gens, notamment au travers de portraits souvent très touchants. Avec Leprest, les règles de la versification se déforment, la grammaire plie sans rompre, les mots se carambolent en néologismes fulgurants (tout le monde ressent immédiatement ce que sont «des souvenirs d'enFrance» (Combien ça coûte), et c'est beau à pleurer, non ?). A son arrivée à Paris, c'est Juliette Gréco qui lui prend un texte (Le pull over) que Ferrat, fin limier, mettra en musique (ce sera le début d'une collaboration souvent renouvelée) :

On avait un seul pull pour deux
Un grand pull-over d'amoureux
Chacun un bras pour une manche
Et chacun l'autre sur la hanche
Au début il serrait un peu


On comprend que Gréco ait préféré ça à une énième resucée de Déshabillez-moi ! Leprest écrira ensuite pour nombre d'interprètes parmi lesquels Isabelle Aubret, Romain Didier, Enzo Enzo, Jehan, François Lemonnier, Gérard Pierron, Francesca Solleville pour n'en citer que quelques-uns.

Il faut maintenant parler de l'interprète percutant qu'était Leprest. En quelques secondes et quelques mots, on était emporté par sa magie. Leprest vous prenait au cœur. Il vous adressait la parole. Il vous emmenait avec lui dans la Manche, à la fête foraine ou au temps de son enfance, dont il arrivait à faire revivre les grands et les petits moments, les angoisses, les espoirs et les doutes. Il faut aussi parler de l'homme : de ses failles et de ses alcools certainement ; mais aussi de sa générosité qui l'a par exemple amené à donner ses textes sans compter. Du coup, on ne sait plus combien il en a écrit. Ce qui est sûr, c'est que ce nombre dépasse allègrement les 1000 textes. Peut-être 1500... Il faut dire que l'homme est doué, discipliné, rapide et régulier dans l'écriture et qu'il fait chanson de tout. D'une anecdote lue dans le journal – la plus célèbre reste celle qui a donnée D'Osaka à Tokyo, mais il y a aussi celle lue à Ivry en 2008 dans Le Parisien, qui a donné naissance à 14-18, chanté par Jehan. Ça peut aussi être une histoire entendue de la bouche d'un ami, de Gérard Pierron par exemple qui lui raconte la trame de ce qui deviendra Dragues, ou de François Lemonnier à qui un enfant parle de L'ami de maman. C'est Lemonnier encore qui est «Chez Jacquot» quand Leprest entend l'histoire qui deviendra Sacré trio. Notez que pour les curieux qui voudraient entendre L'ami de maman et 14-18, pas encore enregistrées, il faudra aller voir leurs interprètes en concert, ce qui n'est pas plus mal.

Il est difficile d'expliquer le manque de reconnaissance qu'a affronté Leprest de son vivant et il faut peut-être chercher les raisons de cette discrétion – au-delà de l'évidente tyrannie exercée par les industriels de la profession – du côté de la personnalité de cet artiste-artisan, au teint duquel le succès médiatique et le système productiviste ambiant aurait probablement mal convenu. Il y a donc peu de documents sur Leprest. Une biographie par Thomas Sandoz, rapidement épuisée, quelques trop rares documentaires qui s'échangent quasiment sous le manteau, deux ou trois concerts filmés (notamment l'un de ses derniers, publié en DVD, particulièrement touchant, où Leprest chante assis). Mais les à-cotés de la scène sont très peu documentés pour un personnage d'une telle envergure. En ce sens, ce livre – souvenez-vous, on parle du Cri violet - comble un manque historique évident et rien qu'à ce titre, il est digne d'intérêt.

Fabrice Plaquevent a connu Leprest adolescent. Ils ont fait leurs premières armes ensemble avant que, quelques années plus tard, leurs destins ne s'éloignent. Cet abécédaire est une somme d'anecdotes sur les jeunes années de Leprest, accompagnée de quelques photos probablement inédites de lui (et de Plaquevent) jeune(s). Il est d'autant plus opportun que très peu de livres de ce type existent. Ce témoignage sur deux adolescents (l'auteur est très présent, et c'est aussi une partie de son histoire, parfois désabusée, qu'on lit en filigrane) puis jeunes adultes facétieux des années 70 pourrait paraître banal à certains égards. La vie qu'ils menaient à cette époque ressemble à celle de millions d'autres : les parents, les copains, les blagues potaches (qui évoqueront aux connaisseurs un passage de Joséphine et Séraphin). D'un autre côté, on retrouve ou on découvre des histoires plus personnelles qui, accumulées, dessinent un personnage unique : Leprest tour à tour communiste, déserteur, dessinateur, en vadrouille en Allemagne, généreux, hugolâtre, imitateur, normand, sculpteur...

Ce petit livre sera précieux à ceux qui ont aimé Leprest, un personnage dont on sait finalement assez peu de choses, surtout sur les jeunes années. Espérons qu'il donnera aussi l'occasion à ceux qui ne le connaissent pas encore de le découvrir : Internet, qui conserve la mémoire de certains de ses concerts, fera le reste. Cet ouvrage sera enfin utile aux historiens de la chanson et de la poésie pour en savoir un peu plus sur la vie d'un personnage important.

Il n'est pas désagréable, lorsqu'un ami n'est plus là, d'évoquer son souvenir, de se remémorer les petits moments passés avec lui, de le faire revenir un instant. C'est ce à quoi Plaquevent nous invite. Invitation volontiers acceptée.


Alexandre Pavin
( Mis en ligne le 24/01/2014 )
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