| Edmonde Charles-Roux Isabelle du désert Grasset 2003 / 30 € - 196.5 ffr. / 1400 pages ISBN : 2246651018 FORMAT : 24 x 15,4 cm
A lire aussi :
Amours nomades,
Isabelle Eberhardt.
Joelle Losfeld, mars 2003, 192 p., 10 .
Sud oranais,
Isabelle Eberhardt.
Joelle Losfeld, mars 2003, 288 p., 11,5 . Imprimer
Il y aura cent ans en 2004, Isabelle Eberhardt disparaissait dans linondation dAïn Sefra. Avec deux nouveaux titres, Amours nomades et Sud oranais, les éditions Joelle Losfeld poursuivent la publication des uvres principales de lextraordinaire voyageuse. Aux éditions Grasset, Isabelle du désert, dEdmonde Charles-Roux, regroupe en un seul volume Un désir dOrient et Nomade jétais, précédemment publiés séparément. Cette biographie dune grande splendeur déploie au long dun millier de pages tous les fastes dun film en cinémascope dont chaque figurant serait un personnage dexception
Peut-être Isabelle Eberhardt trouva-t-elle dans la contemplation sereine du désert un antidote aux dispersions profondes de son être, aux excès qui tenaient à la nature même de ses origines russes ? Née en Suisse le 17 février 1877, elle était la fille illégitime que Mme de Moerder, femme dun haut-personnage de lÉtat tsariste, avait eue du précepteur de ses enfants
En ces années où les idées anarchistes, la dynamite et le couteau sont à la mode dans la jeunesse davant-garde, laffluence des étrangers a fait de Genève la capitale de lexil. Une capitale placée sous haute surveillance policière. Les Moerder néchappent pas à la vigilance des alguazils. Dailleurs, les événements qui se déroulent chez eux ont de quoi nourrir la méfiance. Entre autres originalités, on y fugue beaucoup : deux des frères dIsabelle disparaissent tour à tour et vont senrôler dans la Légion. Lun désertera, lautre sera réformé. Mais peut-être, avec la lecture de Loti et de Fromentin, ces escapades ont-elles éveillé chez la jeune fille le désir de connaître lAfrique du Nord ?
Libre et facétieuse, elle fume, shabille en homme et pousse comme une fleur sauvage sous le regard bienveillant de son père, qui favorise tous les choix dapprentissage que lui propose son instinct. Outre le français, lallemand et le russe, quelle parle couramment, elle étudie litalien, le grec, le persan, larménien
Vers 1895, sa première « uvre » est publiée dans une revue. Il sagit dune nouvelle dans le goût « fin de siècle » qui décrit les amours nécrophiles dun étudiant en médecine
Elle a été écrite en collaboration avec Augustin, son demi-frère bien-aimé
et peut-être même incestueux.
En 1897, Isabelle Eberhardt débarque pour la première fois en Algérie. Bientôt, au gré de ses métamorphoses, elle napparaîtra plus que sous lapparence dun jeune homme pauvre qui visite les lieux saints et recherche la compagnie des sages et des savants versés dans la science coranique. Le crâne rasé à la mode orientale, le taleb Mahmoud Saadi affectionne la tenue de cavalier arabe, «turban blanc attaché de cordelettes de poil de chameau, gandoura et burnous, hautes bottes de cuir filali rouge.» Sous ce travestissement, sa conversion à lislam sera sincère.
Mais cet être chatoyant, divers, secrètement initié dans la confrérie musulmane des Quadrïa, mène aussi la vie dun tatoué des bat dAf. Isabelle trinque avec les légionnaires, les suit au bordel. Elle fume le kif et se saoule à lalcool de figue
Ce qui ne lempêche pas dêtre aussi, et surtout, une amoureuse ardente et mélancolique, comme il sied à son caractère slave. Jamais elle nest aussi heureuse que lorsquelle sendort, la nuit, en plein désert, en compagnie de son amant. Seulement voilà
Sa manière de vivre représente une menace pour la présence européenne. Elle partage la dure vie des Arabes, «leur pauvreté, la saleté, la poussière, les dangers, leur goût des grands espaces
» Elle se marie même avec lun deux, ce qui représente la trahison ultime pour les tenants de la « civilisation »
Libre, désirable, intelligente, Isabelle est tout naturellement considérée comme une ennemie de la bonne société coloniale, laquelle, pour se défendre, frappe et enchaîne les réfractaires et les envoie sans jugement finir leurs jours dans des geôles sinistres, comme à Taadmith «caché dans les hauteurs les plus glacées et les plus inhospitalières des Hauts Plateaux (
) où les souffrances sont sans témoins, et les plaintes sans échos.»
Mais Isabelle na cure des dangers ni de lopinion dautrui. Méprisée, insultée, bannie, en proie aux fièvres et aux agressions, elle rompt les attaches avec son milieu dorigine et suit la voie des nomades, des réprouvés de tous crins quelle admire tant. Tel Segalen en Chine ou Gauguin à Tahiti, elle simmerge dans une culture différente de la sienne pour sen enrichir. La voici devenue cet «être errant, au front têtu et aux mains fines, en burnous dune blancheur immaculée (
) avec ce geste familier de porter la cigarette à la bouche de la main droite, tandis que lautre demeure appuyée sur un genou
» Elle na pour tous biens que quelques vêtements et un sac de livres. Employée par divers journaux, elle savance toujours plus avant vers le Sud, là où la colonisation a moins de prise, dans des territoires qui restent cependant sous contrôle militaire. Lyautey, alors général, lui offre son appui. Respectueux de la culture saharienne, il est, comme elle, un esprit libre.
Et puis, arrive ce 21 octobre 1904. Ce jour-là, Isabelle Eberhardt devait poster le manuscrit de Sud oranais à son éditeur. Mais, dans un grondement sinistre, loued qui traversait le bourg dAïn Sefra grossit de manière inattendue et emporta les maisons sur son passage. Cest ainsi quà lâge de vingt-sept ans, le petit cavalier vêtu de blanc entra dans léternité. Le manuscrit de Sud oranais, sauvé de la boue feuillet par feuillet, contient sans doute les dernières lignes tracées de sa main. Ce texte, dédié à Lyautey, parut en 1905. Cétait le premier livre publié dIsabelle Eberhardt. Il était posthume, comme tout le reste de son uvre.
Serge Sanchez ( Mis en ligne le 29/09/2003 ) Imprimer | | |