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| Michel Sogny Monique Philonenko La Musique en questions Michel de Maule 2009 / 25 € - 163.75 ffr. / 216 pages ISBN : 978-2-87623-242-6 FORMAT : 15 x 21 cm
Entretiens avec Monique Philonenko Imprimer
Le meilleur compliment que lon puisse faire à un livre dentretiens, nest-ce pas de le juger discutable ? Laimable joute du pédagogue et pianiste Michel Sogny et de la philosophe Monique Philonenko dont on apprend en cours de route quelle est venue à la pratique musicale grâce à la méthode du premier donne envie au lecteur dy ajouter à tout propos son grain de sel, et non de sable. Précisons quà mesure que se resserre létau maïeutique de leur conversation que lon nous pardonnera de simplifier à outrance , cet espace se réduit singulièrement. Car à défaut davoir cerné le fait musical, cette «fumée» qui ne se laisse enfermer dans aucune définition conceptuelle, et malgré les «oui mais» de sa contradictrice, Michel Sogny maintient avec une désarmante affabilité le cap de sa démonstration : la musique est un fantôme dont le papier réglé est le château hanté, la preuve matérielle dune illusion. La définir sans léprouver revient à décrire une toile abstraite à un aveugle. «Cest donc toujours lexpérience vécue qui lemportera», conviction sur laquelle est fondée toute sa pédagogie, que son maître Georges Cziffra préférait qualifier du terme choisi d«événement» car elle cessait de privilégier le dressage technique qui a brisé tant de doigts, déçu tant de joies et contrarié tant de vocations.
Contrairement à lenseignement classique, qui vise in fine à conduire le débutant jusquaux chefs-duvre du répertoire, Michel Sogny préconise en effet dapprécier la musique avant den posséder la technique, lémotion esthétique étant par elle-même un savoir. «Tout le monde peut lire un livre, écrire une lettre, mais tout le monde nest pas écrivain. Pourquoi ne pas aborder létude de la musique avec le même esprit ?» Conception hédoniste, voire mystique, mais démocratique du fait musical envisagé comme aventure de la perception et de la conscience de soi, puisque telle est la spécificité dun art que chacun ne peut maîtriser, mais dont chacun pourrait profiter. La fameuse définition socratique : «la musique, plus haute philosophie», nest donc ni une métaphore ni un lieu commun, mais la devise dune science non verbale (et «science exacte», selon Liszt), trop négligée par lenseignement scolaire qui la rendue facultative, alors que les maths ou la philo ne le sont pas. Témoin Mozart, dont la profondeur spirituelle procède dun sens suraigu de la forme, et non dune spéculation. Où bien Liszt, dont Michel Sogny et Elisso Bolkvadze interprètent à quatre mains, dans un DVD, de rares réductions pour piano de poèmes symphoniques (les Préludes, La Bataille des Huns
) dont la virtuosité éclaire le compositeur au lieu déblouir lauditeur vertu dont Michel Sogny rend également grâce à Samson François et Vladimir Horowitz.
Cest à cette méditation esthétique, que Jankélévitch nommait «profondeur paradoxale de lapparence», quatteignent les propos et les uvres de Michel Sogny. Un second DVD en donne un aperçu. Lauteur y interprète ses Prolégomènes à une eidétique musicale : titre trompeur, car rien nest moins cuistre que ces études dexécution non transcendante, censées fournir à lamateur loccasion de «palper sa propre sensibilité, qui arrive en quelque sorte au bout des doigts et qui sincarne dans un son». Une méthode à conseiller à nos modernes hommes dÉtat, incapables de marmotter dautre son quune occasionnelle Marseillaise, quand Ignacy Paderewski, Premier ministre polonais de 1919 à 1921, reprenait dès 1922 son activité de compositeur et pianiste virtuose. Sans rien dire de Marie-Antoinette ou Frédéric II de Prusse, qui navaient pas oublié le conseil de Pythagore à ses disciples : «ne jamais se coucher sans avoir joué quelques notes sur la lyre, car on doit se purifier lâme comme on se lave les mains». Il est vrai quil y a tant de façons de se laver les mains
Des grains de sel, donc ? Une pincée, sans risque dhypertension. Dabord, une définition de la musique qui sen tient sans le dire au sens occidental et savant du terme, et dans une acception presque exclusivement sensitive ; considérer quune partition de Beethoven, fût-elle enfermée dans un tiroir, «nest rien», relève dune conception dont les uvres dun Xenakis, dun Feldman, dun Bach même jeux de lesprit, exercices contemplatifs, voire visuels sont la négation. À linverse, parler de la «vérité» dune nature morte, par opposition aux approximations de la musique à programme (la Pastorale de Beethoven), est faire bon marché des conventions picturales qui, pour partagées quelles soient, nen sont pas moins des artifices de représentation. Il est dailleurs inexact de prétendre quaucun tableau na jamais procuré démotion physique à quiconque, comme si Stendhal navait jamais flageolé en sortant de la Santa Croce. Enfin, avancer que «le souci de plaire et de convaincre» est devenu «péjoratif» nest faire aucun cas dune génération entière de jeunes compositeurs qui, tels Olivier Greif, Nicolas Bacri, Guillaume Connesson ou Thierry Escaich, ont su retrouver loreille du public sans renier leurs principes. Quant aux parallèles que veut absolument établir Monique Philonenko entre Mozart et Kant, par exemple, ou Beethoven et Hegel, Michel Sogny lui-même les dissuade en douceur, toujours soucieux dasseoir sa réflexion sur des données vérifiables et non sur des vues de lesprit. Na-t-il pas pourtant beau jeu de citer Valéry : «Lart na jamais eu à rougir de lintelligence» ? À qui en douterait, ce livre apporte un foisonnant démenti.
Olivier Philipponnat ( Mis en ligne le 26/02/2010 ) Imprimer | | |
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