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Stravinsky tel qu'en lui-même
Igor Stravinsky   Chroniques de ma vie
Denoël 2000 /  19.08 € - 124.97 ffr. / 240 pages
ISBN : 2207251772
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Voici longtemps que nous attendions la réédition de ces Chroniques, régulièrement citées par les biographes de Stravinsky, mais devenues introuvables. Seul écrit autobiographique du compositeur, elles sont, avec la Poétique musicale, récemment rééditée dans une version augmentée (Flammarion), son ouvrage le plus important. Une préface (dont l'éditeur n'a pas jugé la présence opportune) nous aurait appris qu'après avoir obtenu la nationalité française en juin 1934, Stravinsky entreprit de rédiger en français ces souvenirs d'une vie musicale déjà bien remplie. Pour cela, il s'assura le concours de son ami Walter Nouvel. L'ouvrage parut en deux volumes, en 1935 et 1936.

On a souvent voulu minimiser l'importance de ces pages qui ne se livrent qu'avec réticence à l'anecdote, lui préférant les faits bruts. Cela ne surprendra pas de la part d’un compositeur qui ne se défit jamais de sa distinction aristocratique et de sa rigueur intellectuelle et qui se retranche souvent derrière sa mauvaise mémoire ou sa notoriété pour éviter les longs développements (ainsi du Sacre, dont "on a trop parlé", et de Ramuz, aux souvenirs duquel il "renvoie ceux qui s'intéressent à cette période de (sa) vie"). On retrouvera néanmoins avec bonheur des pages devenues célèbres, à défaut d'être truculentes – la rencontre avec Diaghilev, à la fois " terrifiant et rassurant " ; l'évocation du scandale du Sacre du printemps, le 29 mai 1913 ; l'estime réciproque pour Claude Debussy (" Qu'il jouait bien, cet homme ! ") et Charles-Ferdinand Ramuz ; la genèse de partitions aussi importantes que L'Oiseau de feu, Petrouchka, l'Histoire du soldat, Noces, Renard, le Chant du Rossignol, Pulcinella, Mavra. Sans oublier les premiers souvenirs sonores de l'enfant Stravinsky, dont l'aspect scatologique n'a échappé à personne...
L'un des aspects les plus surprenants de ce livre est sa froide cruauté, dont les deux principales victimes sont Wagner et Nijinsky. En 1912, Stravinsky " fait " le voyage à Bayreuth. Comme Tchaïkovsky près de cinquante ans avant lui, il s'y ennuie ferme, se fait rabrouer à chaque grincement de fauteuil, n'a pas le temps de griller une cigarette et se lasse de subir entre chaque acte " encore des saucisses, encore un bock, une autre fanfare, un nouveau recueillement ". Plus sérieusement, il est révolté par " l'esprit primaire " du wagnérisme, " singerie inconsciente du rite sacré ", " conception inepte et sacrilège de l'art comme religion ". Or, s'il y a bien un sujet avec lequel Stravinsky ne plaisante pas, c'est celui-là. Vulgarité, décorum, faux prophétisme : tout ce qu'il hait est contenu dans le théâtre de Bayreuth, qu'il décrit d'un trait glaçant : " C'était comme un crématoire (par-dessus le marché très démodé). " Tout Stravinsky est là, avec son sens de la formule lapidaire, son horreur du culte musical et de la sensiblerie. Car " la musique, par son essence, est impuissante à exprimer quoi que ce soit " Pur jeu de l'esprit avec le temps, elle a pour lui une fonction bien précise, qui est de " réaliser le présent ". En cela, ce livre est un fidèle reflet de l'homme : ennemi des épanchements subjectifs et de la glose musicale, tendu vers son oeuvre, direct et sans précautions.

Nijinsky fait les frais de cette façon de voir. S'il n'est pas question de remettre en cause le danseur, Stravinsky ne se gène pas pour le portraiturer en " garçon d'intelligence peu développée pour son âge ", et comme il se doit extrêmement prétentieux. Il ne lui pardonna jamais d'avoir laborieusement signé la chorégraphie du Sacre, alors qu'il n'avait rien compris à la musique. Et de préciser complaisamment comment il dut initier (en vain) le pauvre génie aux rudiments de la musique. Car Stravinsky fut sans doute le seul à ne pas se réjouir du scandale provoqué par la sauvagerie du Sacre, qu'en aucun cas il n'avait conçu comme une partition " révolutionnaire " !

D'autres pages, consacrées à Cocteau, Tchaïkovsky, Toscanini, Prokofiev, Ansermet, Picasso, Reiner, montrent une personnalité aussi tranchée dans ses goûts que dans ses dégoûts, toujours prête à faire mentir sa réputation d'avant-gardiste, et fort à l'aise dans le contre-courant, voire dans la réaction.
Quel dommage que ce document de première main soit suivi d'une prétendue " discographie critique ", fièrement annoncée en page titre, mais dont l'intérêt est quasi nul, puisqu'elle date de 1962 - d'autant que la liste des oeuvres composées après cette date renvoie le lecteur à la seule intégrale Stravinsky par Stravinsky (CBS/Sony) ! Ainsi, Denoël, qui détient les droits de cet ouvrage capital pour la connaissance de la musique du XXe siècle, autrefois disponible au format de poche (Denoël/Gonthier), l'aura laissé moisir trente ans sur une étagère pour le republier, aujourd'hui, sans même lui donner un coup de chiffon. et au prix fort ! On est ici à la limite de l’escroquerie intellectuelle...



Olivier Philipponnat
( Mis en ligne le 07/12/2000 )
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