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Mémoires d’un volcan
Hector Berlioz   Mémoires
Editions du Sandre 2010 /  36 € - 235.8 ffr. / 536 pages
ISBN : 978-2-358-21043-0
FORMAT : 16,5 x 24 cm

Préfaces de Pierre-René Serna, Michel Austin et Christian Wasselin.
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Inscrire les Mémoires du général de Gaulle au programme du bachot, passe encore, mais ne pas imposer ceux de Berlioz ! Primo, le grand Charles ne fut pas le premier à dire non. Christian Wasselin l’affirme avec force : cette autobiographie est bien le «modèle du grand livre de l’enthousiasme et du refus». Car Berlioz (1803-1869) est un obstiné, un enragé que la seule idée de compromis fait vomir. «Je serais allé en Chine, je me serais fait matelot, flibustier, boucanier, sauvage, plutôt que de me rendre. Tel est mon caractère». À coup sûr, cet amateur de récits de voyage, aux goûts poétiques affirmés, qui faillit s’embarquer à vingt ans, eût approuvé Rimbaud. Mais surtout, quel écrivain ! Aussi libre de ton qu’il l’était vis-à-vis de l’harmonie et, a-t-on dit, de la vérité. Certains épisodes de ses Mémoires seraient de pures rodomontades. Pierre-René Serna s’attache à démentir ces «supposées mythomanies». Ainsi, durant l’exécution du gigantesque Requiem aux Invalides, Habeneck aurait lâché la baguette pour s’octroyer une prise de tabac ! Ce geste, qui nous paraît inconcevable, l’était moins en 1837 où le chef n’était pas la vedette que scrutaient tous les regards… Les nerfs à vif de Berlioz n’y virent que malveillance. Ce que révèle cette anecdote, ce n’est pas sa paranoïa, mais l’exacerbation de la subjectivité romantique, cette idée que l’intention du créateur exige une exactitude et une soumission quasi militaire. D’où, peut-être, ces caricatures représentant le «rossignol colossal» (Heine) dirigeant des orchestres de marteaux et de canons. D’où, également, cette appréciation de Rouget de Lisle dans une lettre au compositeur qui venait d’amplifier sa Marseillaise : «Votre tête paraît être un volcan toujours en éruption».

Qu’importe, il n’est pas utile d’aimer sa musique, qui n’a jamais cessé d’incommoder (effet de sa «fière réputation d’extravagance»), de connaître les noms de Reicha ou Lesueur pour comprendre quel genre de styliste est Berlioz. Son ironie est sans merci. Ce n’est pas lui qui se laisserait botter les fesses ! Lorsque Luigi Cherubini voulut le chasser de la bibliothèque du Conservatoire, Berlioz invente qu’il le traita de «vieux maniaque» et de «vieux fou». Même ses repentirs sont féroces : s’il n’a pas prononcé ces insultes, l’insolent s’étonne «de ne l’avoir pas fait» ! L’humour est sa vengeance, elle n’épargne rien ni personne. Ni l’école de médecine où l’a forcé son père, avec ses «essaims de moineaux se disputant des lambeaux de poumons». Ni les Parisiens, abrutis de «pitoyables romans» et «dont le veau d’or est l’unique dieu». Ni les Italiens, qui veulent des partitions aussi simples à absorber qu’«un plat de macaronis». Ni le concours de l’Institut qui, par «un désir bien naturel», ne fait exécuter l’œuvre du lauréat qu’après l’avoir couronné. Ni les arrangeurs professionnels, «crétins et profanateurs» qui osent défigurer Gluck et Weber. Ni la musique «qui va toute seule, comme les vieux ânes qui trouvent tout seuls le chemin de leur moulin». Ni Cherubini, encore lui, avec son air de «chat qui eût avalé de la moutarde» après le succès parisien de la Symphonie fantastique en 1830. Et puis, tous ces opiums : l’ardeur révolutionnaire, «plus stupide et plus féroce […] que les babouins et les orangs-outangs de Bornéo» ; la foi catholique, «cette religion charmante depuis qu’elle ne brûle plus personne» ; Dieu lui-même, «stupide et atroce dans son indifférence infinie». Sans oublier «cette cohue de sauvages en frac», «cette racaille de vainqueurs» qui, au mardi-gras, à Rome, assiste en riant à l’exécution rituelle d’un condamné à mort. L’aversion de Berlioz pour les révoltes de 1848, on le comprend alors, n’avait pour objet que la violence inutile. Ailleurs, on le découvre partisan des soins palliatifs, révolté que les médecins qui opérèrent sa sœur d’un cancer du sein n’aient pas songé à lui faire respirer du chloroforme.

Pour faire bonne mesure, Berlioz est le premier à se railler lui-même, quand il ne se gifle pas. S’étant foulé la cheville à la création de son ouverture des Francs-Juges, il commente : «J’ai mal au pied maintenant, quand j’entends ce morceau. D’autres, peut-être, ont mal à la tête». Et que dire des titres du chapitre XLIV : «On me présente à miss Smithson. – Elle est ruinée. – Elle se casse la jambe. – Je l’épouse». Car ces mémoires faussement désinvoltes sont en somme la chronique d’une vie de défaites et de superbe. Toujours franc et sincère, Berlioz veut rester l’albatros que des orchestres minables, des directeurs obtus, des solistes vaniteux, des chefs imbéciles retiennent par les ailes. À ces «dogues et taureaux stupides», «serpents et insectes de toute espèce», il lance : «je vous méprise, et j’espère bien ne pas mourir sans vous avoir oubliés». Si, l’âge venu, ces mémoires paraissent exprimer un regret, c’est celui de ne plus être haï. Car Berlioz n’a rien tant aimé que l’adversité. Il est à craindre que la réédition intégrale de ce livre génial et proliférant ne lui gagne de nouveaux amis, malgré le dégoût «pour l’imbécillité et l’improbité des hommes» que le vieux misanthrope, las d’avoir tant livré bataille aux fats et aux sots, finit par avouer. Seize années après le début de cette aventure autobiographique, le volcan avait cessé de jaillir, mais non pas de bouillir.


Olivier Philipponnat
( Mis en ligne le 27/08/2010 )
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