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Les fascin(ém)ations de Ludovic Maubreuil | | | Ludovic Maubreuil Les Images secondent - Bréviaire II Éditions Alexipharmaque 2012 / 19 € - 124.45 ffr. / 154 pages ISBN : 978-2917579206 Imprimer
Avec Les Images secondent, Ludovic Maubreuil poursuit sa méticuleuse entreprise de glose du Septième art, entamée dans son Bréviaire de cinéphilie dissidente. Et cest à nouveau une leçon de regard quil nous dispense, avec la modestie que seule permet lauthentique intelligence.
Dans la société actuelle, le goût est pleinement devenu matière à évaluation : quil sagisse des performances scolaires dun enfant, dun plat préparé en vue datteindre à un «dîner presque parfait» ou de quelque informe vocalise glougloutée en public, la moindre activité intellectuelle ou créatrice est soumise à critères, quantification, avis dexpert (le ricanement est bien entendu permis face à cette étiquette). La critique artistique néchappe pas à cette tendance, et quand elle prend la peine de se prononcer, cest en général pour distribuer les bons points et «booster» les ventes dauteurs déjà confirmés, quil nest guère périlleux de mettre en avant ni de défendre. Et puis, il y a toujours, coincé dans les pages du service de presse que lon reçoit, un confortable folio avec résumé, présentation de lécrivain et de son uvre, souvent dun grand secours à la rédaction dun article. Plus la peine de simpliquer, un copier-coller, deux ou trois manipulations dadjectifs et emballez, cest pesé.
Ludovic Maubreuil, lui, ne consomme pas le cinéma. Il ne place pas les réalisateurs ou les acteurs sur une échelle de satisfaction. Il préfère interroger à coups de sonde, donc dautant plus en profondeur. Lasystématisme de son approche lui garantit une liberté grande, doublée dun esprit aventureux qui nhésite pas à emprunter les chemins de traverse. Voilà pourquoi le classement alphabétique de ses notules est définitivement le plus approprié à découvrir lexpression dune sensibilité étayée davis mûrement réfléchis.
Faut-il être soi-même une encyclopédie vivante, une façon de Pierre Tchernia de surcroît imprégné de la pensée ésotérique de Raymond Abellio, pour pénétrer les arcanes des références qui foisonnent dans ces pages, par exemple ces opus méconnus ou en tout cas réservés à un public qui nest (a priori) guère celui des aficionados de Bruce Willis ? Pas nécessairement, dans la mesure où le projet de Maubreuil est, au-delà de la perception visuelle du film, le décryptage quil autorise de lépoque, ou plutôt des époques celle qui l'a suscité, celle où il échoue aujourdhui. Maubreuil ramasse la précédente réflexion en un aphorisme quune facture classique équilibre à merveille : «Le cinéma nest prémonitoire que dans la mesure où il demeure le témoin de ce qui nest plus».
Ainsi, le travail de ce spectateur vigilant consiste semble-t-il à saisir, au moment où «cela» défile pour prendre vie et forme, linvisible vingt-cinquième image / seconde, celle qui colporte le sens, le message, léclair du signe. Le signe qui brille dans la pupille du monstre de The Host, dans le nom de Madame de signé Ophuls, dans loutrance de Old Boy, dans le multivers tel que lenvisage Terrence Malick, dans lexploitation du rouge par Michael Powell. Le signe qui fourmille autour de nous et qui nattend que dêtre perçu pour nous réenchanter.
Les lecteurs coutumiers de ses articles en revue ou sur son blog retrouveront ici la prose affutée de Maubreuil, qui cisèle une déclaration damour à certains (ou à certaines, voir lentrée Grandir) avec la même aisance quil taille un costume à dautres (il était grand temps que fût démonté le lénifiant conformisme du discours sur la prostitution et le sexe distillé par Bonello dans LApollonide). Et cest sans compter lélégance déployée dans les révérences, comme cet hommage passant par la forme du lexique organisé en acrostiche et qui compose le nom de son destinataire, Stanley Kubrick.
Au terme de cette déambulation kaléidoscopique parmi les scènes, les décors, les plans et les fondus de son paradis perdu, Maubreuil apparaît comme un poète. À condition bien sûr dentendre le mot «poésie» comme ce moment privilégié où se rencontrent, dans le creuset du temps, lêtre et lémotion. Quand il sagit de cinéma, rien nest anodin selon Maubreuil ; sa générosité consiste à nous donner en partage les pépites que retient le tamis de son jugement. Et si la valeur est dans la rareté, alors il fait bel et bien partie des Rares.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 20/08/2012 ) Imprimer
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