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Dvorák, le tire-l’âme tchèque | | | Guy Erismann Antonin Dvorak - Le génie d'un peuple Fayard - Les Chemins de la musique 2004 / 25 € - 163.75 ffr. / 500 pages ISBN : 2213618232 FORMAT : 14 x 22 cm
A lire également :
Antonin Dvorak ou l'Effusion lyrique, de Philippe Simon, éditions Papillon (Genève), 144 pages, 13.95 euros. Imprimer
La vie de Dvorák (1841-1904) nest pas un roman. Il nest ni enfant prodige, ni sourd, ni fou, ne devient pas abbé ni mégalo. Il nest pas un virtuose. Il élève une famille nombreuse. Il compose à ses heures, avec métier, passion, acharnement, facilité parfois. Sa muse est le plus souvent bien lunée. Il se dispute avec Simrock, son éditeur, mais ça finit par sarranger. Les musiciens heureux nont pas dhistoire, et voilà bien pourquoi, depuis le premier Dvorák dErismann, spécialiste incontesté du répertoire tchèque, paru chez Seghers en 1966 et longtemps indisponible, nul ne sétait aventuré à remonter ce fleuve puissant mais tranquille avant 2004, année du centenaire.
Du coup, deux biographies paraissent simultanément, lune, «de référence», chez Fayard, lautre, synthétique et personnelle, chez lentreprenant éditeur suisse Papillon. Leur projet est presque identique, et les gués s'enchaînent dans le même ordre : lenfance dun fils de boucher, latavisme «folklorique» et le magistère dun bon kantor, lorage wagnérien et le paratonnerre brahmsien, le sursaut patriotique (plus que nationaliste), la passion des pigeons et des locomotives, la gloire universelle et le séjour à New York, le ritorno in patria et les obsèques grandioses. Ce qui distingue ces deux livres, cest une différence de focale. Guy Erismann a voulu faire la somme des connaissances accumulées en quarante ans essentiellement des précisions, non des remises en cause et insiste davantage sur la genèse et la structure de luvre. Philippe Simon, auteur dun remarqué Gabriel Dupont (Séguier/Atlantica), aborde Dvorák sans préjugé, et pose demblée la bonne question : pourquoi, alors que lAngleterre et les États-Unis lont accueilli à bras ouverts, continue-t-on en France à regarder Dvorák comme un petit-maître qui naurait dans sa besace «que» la Symphonie «du Nouveau Monde», le Second concerto pour violoncelle, le Quatuor «Américain» et le Trio «Dumky» ? Simon cite les propos peu amènes que Gabriel Pierné (petit-maître français
) réservait au malheureux Tchèque, sans parler du fielleux Rebatet, dont on ne sexplique que trop le mépris pour la «demi-culture» de Dvorák
On remarquera simplement que Tchaïkovski, Grieg, Granados, autres figures des écoles dites «nationales», furent longtemps tenus dans le même dédain pour linspiration «populaire».
Le cliché dun Dvorák superfolkloriste, sorte de Brahms à culotte de peau, est si répandu que la tentation est forte de lextraire de cette Bohême-Moravie qui lui colle aux bottes et à lâme pour le projeter dans luniversel. Mais rien à faire : même secoué par la découverte des rythmes indiens et noirs dAmérique (même acculturés), Dvorák reste indécrottablement hussite, son inspiration hirsute comme sa barbe. Sa Nouveau Monde, sur laquelle le tout jeune Conservatoire de New York comptait pour ouvrir la voie dune musique américaine, nest jamais quun immense chant de nostalgie nourri de fables indiennes et de rythmes terriens qui sont autant de déclarations damour à la terre natale quelle quelle soit. Cest à ce point vrai que Hiawatha, le poème «indien» de Longfellow sur lequel repose en partie la Nouveau Monde, avait frappé Dvorák dès sa parution en langue tchèque près de trente ans auparavant ! Il est intéressant de noter que si la Nouveau Monde na rien de «nègre», les Noirs sen saisirent néanmoins comme dun étendard, situation qui nest pas sans rappeler celle du slave minoré de Mitteleuropa.
Dvorák, le garçon boucher devenu pater familias, à qui le germanique Brahms eût échangé son uvre entière contre une seule trouvaille mélodique, nentrait en colère que pour défendre sa langue, son prénom (Antonín et non Anton !), son patrimoine musical contre lhégémonie habsbourgeoise. Tchèque il était (et chrétien), tchèque la voulu la postérité. Eût-il vécu jusquen 1930, il y a fort à parier quil eût persisté à écrire dans la même veine, alors quà sa mort son cadet de dix ans, Leos Janácek, lavait dépassé de cent coudées sur le chemin de la modernité, sans rien trahir de ses dettes.
Voilà Dvorák : ni atrabilaire ni visionnaire. Un musicien et rien dautre, qui na signé de sa vie quun seul article théorique (donné en annexe par Erismann). Trop simple, trop généreux, trop accessible, il donne la partie presque facile à ses biographes. On pourra se contenter de lévocation de Philippe Simon, intuitive, cursive mais bien informée et joliment illustrée, qui vient occuper la place laissée vacante par Erismann depuis presque quarante ans. Lequel signe de son côté une somme destinée au mélomane intraitable, sans jamais verser dans lanecdote
Dvorák nen est pas prodigue.
Olivier Philipponnat ( Mis en ligne le 31/05/2004 ) Imprimer | | |
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