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Genèse d'un mystère
Huguette Calmel   Pascal Lécroart   Jeanne d'Arc au bûcher de Paul Claudel et Arthur Honegger
Papillon - 7e note 2004 /  15 € - 98.25 ffr. / 200 pages
ISBN : 2 940310 22 X
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Depuis quand n'avait-on vu des livres sur la musique aussi exigeants, aussi simples d'accès et aussi bien documentés ? De titre en titre, les éditions suisses Papillon construisent un catalogue sans équivalent, qui vient combler les lacunes ou plutôt les frilosités de l'édition musicale française.

Ce volume, le troisième de la collection «7e note», fait un point très complet sur la genèse, la création, la réception, la fortune et la valeur d'un chef-d'œuvre négligé de l'art lyrique français, Jeanne d'Arc au bûcher, suspendu au milieu du XXe siècle, à égale distance du Pelleas de Debussy et du Saint-François de Messiaen.

C'est d'abord l'histoire d'une collaboration miraculeuse, comme le sont toujours les grandes réussites lyriques, et qui faillit bien échouer. Au départ, il y a l'ambition d'une danseuse et mécène rescapée des Ballets russes, aux dégaines somptueuses de cariatide, que Paul Claudel appelle tantôt «la plus remarquable créatrice d'attitudes qui existe actuellement dans le monde», tantôt «cette toquée d'Ida Rubinstein». En 1934, elle découvre par l'entremise du médiéviste Gustave Cohen le théâtre du Moyen Age, et se met à rêver d'un «mystère» simple et grandiose dont Jeanne d'Arc – qu'elle incarnerait – serait la figure centrale. Arthur Honegger, le vilain canard du Groupe des Six, Suisse protestant dont Le Roi David (1924) n'est pas encore effacé des mémoires, sera son musicien. Pour le livret, Ida Rubinstein songe à Jehanne d'Orliac, la bien prénommée, de préférence à son ami d'Annunzio. Elle convie tout ce petit monde à un dîner surréaliste («nappes vertes, chandelles vertes, sauces vertes») et se frotte les mains.

L'affaire semble conclue. Mais dès la fin de la réception, le musicologue Jacques Chailley fait observer à Honegger qu'ainsi conçu, le projet a tout du pastiche et qu'il leur faut chercher le soutien d'un grand auteur. Honegger en est bien convaincu, lui qui, deux ans plus tôt, a même songé abandonner la composition, faute «d'une collaboration qui parviendrait à être si totale que souvent, le poète pensât en musicien et le musicien, en poète, pour que l'œuvre isue de cette union ne soit pas le hasardeux résultat d'une série d'approximations et de concessions, mais l'harmonieuse synthèse des deux aspects d'une même pensée».

C'est donc Paul Claudel, dont le travail auprès de Darius Milhaud est connu, qui hérite du chantier, malgré ses premières réticences : «Jeanne d'Arc, dira-t-il, semble n'avoir été réduite en cendres que pour saupoudrer de rhétorique un monceau d'ouvrages insipides» ! C'est dans le train Bruxelle-Paris, et non derrière un pilier de cathédrale, que le poète reçoit le «choc irrécusable», «la vision de deux mains ensemble garrottées qui s'élevaient en faisant le signe de la croix. La pièce était faite, je n'avais plus qu'à l'écrire ; ce fut l'affaire de quelques jours.»

Huguette Calmel et Pascal Lécroart montrent quelle inspiration hétéroclite guida Claudel, dont la pièce mélange allègrement Ancien et Nouveau Testament, chronique historique et Légende dorée, profane et sacré, et même des références coraniques ! Arthur Honegger, qui l'écoute récitée de la bouche de Claudel en décembre 1934, s'en trouve muet et mortifié, mais relève le gant. Et c'est finalement la commanditaire, incapable de monter l’œuvre, qui lui fait défaut, de sorte que Jeanne ne sera créée, quasi contre sa volonté, qu'en mai 1938, à Bâle, en version oratorio, par Paul Sacher, dans des décors d'Alexandre Benois. La créatrice du rôle, réduite au statut de comédienne, a cependant réussi à faire interdire la publication du livret dans un sursaut d'orgueil blessé ! Marque ultime du chef-d'œuvre : représenté à Orléans en mai 1939, il se trouvera un plumitif très mal informé pour déplorer qu'après les Anglais, ce soit au tour «de la juive Ida Rubinstein» et «du juif Arthur Honegger» d'investir la cité…

L'ouvrage d’Huguette Calmel et Pascal Lécroart, qui combine les mérites d'être bien écrit, exhaustif et remarquablement illustré, se complète d'études musicologiques, d'analyses littéraires et dramatiques. Il passe en revue les mises en scène les plus marquantes de l'œuvre depuis sa création – notamment celle de Roberto Rossellini, à Paris en 1954, avec Ingrid Bergman, l'un des derniers bonheurs terrestres accordés au poète. Ida Rubinstein avait voulu un mystère ; elle aura suscité un miracle.


Olivier Philipponnat
( Mis en ligne le 25/10/2004 )
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