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Le maître ouvrage d’Ado Kyrou
Ado Kyrou   Le Surréalisme au cinéma
Ramsay - Ramsay Cinéma 2005 /  35 € - 229.25 ffr. / 338 pages
ISBN : 2-84114-752-5
FORMAT : 19,5 x 24 cm

L'auteur du compte rendu : Professeur de Lettres Classiques dans les Alpes-Maritimes, Sylvain Roux est l'auteur, chez L’Harmattan, de La Quête de l’altérité dans l’œuvre cinématographique d’Ingmar Bergman – Le cinéma entre immanence et transcendance (2001).

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Le Surréalisme au Cinéma est la réédition en grand format et avec une iconographie renouvelée du maître ouvrage d’Ado Kyrou (1923-1985), publié pour la première fois en 1952. Ami d’André Breton et fondateur de la revue L’Age du cinéma en 1951, Kyrou fut l’un des principaux animateurs de la joute cinéphilique qui opposa, dans les années 50, la revue Positif – qu’il rejoignit dès 1953 – aux Cahiers du Cinéma menés par André Bazin entouré des futurs cinéastes de la Nouvelle Vague.

Comme l’indique dans sa préface Ariel Kyrou, le fils de l’auteur, le livre, éloigné de toute forme de pensée critique policée qui prétendrait dans sa quête de certitudes être objective, se veut résolument marqué au coin «d’une hallucinante mauvaise foi» (p.8) et se déploie sur un mode passionnel «odieusement subjectif» (Idem). Traitant du surréalisme cinématographique, Ado Kyrou s’est appliqué à faire lui-même une œuvre d’inspiration surréaliste, subversive et même «“terroriste” au sens dadaïste du terme» (Id.).

C’est pourquoi l’ouvrage s’ouvre sur une partie essentielle («Portail sur la “vraie vie”») qui est une explicitation très personnelle du titre. Pour Kyrou, le surréalisme au cinéma ne désigne pas un genre comme le western ou la comédie musicale, mais l’expression doit s’entendre comme une parfaite tautologie : «surréalisme» ne s’ajoute pas à «cinéma» pour le spécifier, mais définit pleinement la nature du septième art, parce que «le cinéma est d’essence surréaliste» (p.13). Dans le sillage de Breton, l’auteur entend par surréalisme la «libération de l’homme par la recherche et la découverte du “fonctionnement réel de la pensée”» (p.13), par delà les «séniles idées cartésiennes» (Idem) qui emprisonnent la vie de l’homme dans le «quotidien manifeste» (Id.) et qui font de ce réel patent «l’ordre universellement accepté comme seul possible» (p.21). Le surréaliste croit en la toute-puissance de la poésie et du rêve pour faire émerger le contenu latent de la réalité, laquelle, ainsi «enrichie», «devient absolue, surréelle» (p.13). Or, pour Kyrou, le cinéma, en tant qu’il offre un univers qui ne différencie pas le rêve et la veille, est le «moyen d’expression rêvé du contenu latent de la vie» (p.15) qui ouvre sur la vertigineuse infinité des possibles : «Mon cinéma est fait de ses possibilités. Ce cinéma est surréaliste» (p.14). Ainsi, la spécificité de l’art des images en mouvement réside dans sa capacité à s’affranchir du temps et de l’espace afin de convertir notre regard à la surréalité. Mais si l’essence du cinéma est de rendre poétiquement possible l’impossible, Kyrou reste conscient de parler «d’un cinéma idéal et malheureusement presque illusoire aujourd’hui» (p.16). Il oppose son cinéma, à «leur cinéma» (p.22) qui se contente de «copier la vie manifeste (…) qu’ils veulent nous faire prendre pour le paradis» (Idem).

La deuxième partie («Les facettes de cristal») approfondit la conviction de l’auteur que le cinéma, dans sa plénitude surréaliste, «peut nous restituer des visions chaque fois différentes de la vie» (Idem) en montrant simultanément au spectateur les mille facettes du cristal de l’existence. A cette occasion, Kyrou, tout en reconnaissant les possibilités techniques du cinématographe, insiste sur la nécessaire subordination de la forme, aussi maîtrisée soit-elle, à la vision surréaliste de l’artiste. C’est pourquoi sont jugés sévèrement Abel Gance et Marcel L’Herbier en tant que «leur avant-garde a fait rétrograder le cinéma» (p.29). En revanche, l’auteur affirme sans ambages : «seul Feuillade avait droit d’être considéré comme novateur à cette époque» (Idem). Dans cette perspective, Kyrou s’attache à décrire le passage salutaire du cinéma «impressionniste», au «cinéma pur ou absolu» (p.30) tendant à faire disparaître les objets comme dans la peinture abstraite. Du côté du dessin animé, mention particulière est faite de l’expérience «qui pour la première fois nous permet de voir des sons et d’écouter des formes dessinées» (p.32). Cette partie s’achève avec l’éloge de certains films «scientifiques» qualifiés de «poèmes cinématographiques» (p.34).

La troisième étape («Ailleurs») se tourne vers le monde lui-même qu’il s’agit précisément de voir, et s’intéresse au documentaire afin d’établir que «l’ailleurs» se trouve «aussi bien ici que là» (p.37). Après avoir fustigé les films dits exotiques, touristiques et pédagogiques qui ne font que conforter les certitudes du «civilisé» (p.40), l’auteur s’enthousiasme à des degrés divers pour les créations «poétiques» (p.41) du cinéma. Il s’obstine surtout à montrer que l’ailleurs surréel n’est pas géographique mais dépend de la profondeur de la vision cinématographique. C’est pourquoi sa réflexion s’oriente vers les «sublimes films à épisodes» (p.46) français qui révèlent que «l’impossible aventure» (p.47) peut s’installer sur les bords de la Seine. Cette traque des perles de surréalité prend fin avec les meilleurs serials américains.

Après «l’ailleurs» d’ici ou de là, nous passons à «l’impossible». Il s’agit, pour l’auteur, d’affirmer que cet ailleurs surréaliste se distingue radicalement de tout arrière-monde religieux, à partir de la clarification de la notion de «merveilleux, nœud majeur du surréalisme» (p.59). Pour Kyrou, le surréalisme est un matérialisme et la révélation libératrice de la surréalité passe par un fantastique merveilleux qui «éclate sur terre» (Idem). En ce sens, Georges Méliès, «celui qui est le seul inventeur du cinéma» (p.62), est présenté comme le premier maître du merveilleux terrestre. L’auteur consacre l’essentiel de cette étape à «l’expressionnisme cinématographique» (p.67). Trois grands cinéastes allemands sont parvenus à subordonner l’esthétique expressionniste au contenu fantastique : Fritz Lang, G. W. Pabst, et F. W. Murnau. Dans cette perspective, Kyrou analyse les films de tous horizons qui ont réussi à rendre possible l’apparition, en soulignant comment les fantômes deviennent au cinéma des «êtres de l’écran» (p.78).

Les deux étapes suivantes, particulièrement passionnantes quoique fort polémiques, sont centrées sur les deux grands thèmes du surréalisme : «l’amour» et «la révolte». Kyrou cherche d’abord à cerner ce qu’il appelle «la femme cinématographique» (p.127). Contre «l’amour voué à une vedette» (Idem) et suscité par le star-system, cette figure féminine, qui n’existe pas en dehors de l’image filmique, doit s’entendre comme ce qui déploie les puissances de l’amour fou et la force scandaleuse du désir. L’auteur précise comment Greta Garbo, Louise Brooks et Marlène Dietrich ont pu incarner sur l’écran cet érotisme subversif capable d’atteindre la magnifique violence de la «vraie vie». Dans un second temps, il s’agit de se pencher sur le cinéma qui, en tant que «véritable creuset de la révolte» (Idem), est tendu vers «l’anéantissement (…) de la “morale traditionnelle”, antirévolutionnaire, antisociale, antiérotique» (Id.). Suit ainsi une étude des «poètes de la révolte absolue» (p.169). Si cet examen n’échappe pas toujours au catalogue – Comment le pourrait-il ? – les pages consacrées à Eisenstein, Jean Renoir, à Jean Vigo et à Chaplin sont remarquables.

Eu égard au projet fondamental d’Ado Kyrou, la septième section apparaît comme essentielle : elle traite des artistes de l’impossible «qui ont eu la volonté de faire au cinéma œuvre surréaliste» (p.193), étant entendu que la majorité des œuvres relève du «surréalisme involontaire» (Idem). Ce parcours nous plonge dans les créations cinématographiques du futurisme et du mouvement dadaïste, puis dans les films de Man Ray et de Marcel Duchamp qui «font la jonction» (p.199) entre Dada et le cinéma proprement surréaliste. Parvenant au cœur de sa quête, l’auteur énonce alors un paradoxe : «le mouvement surréaliste n’a jamais porté dans son cœur le cinéma» (p.203). Mais si le cinéma comme industrie a légitimement nourri cette méfiance, la puissance révélatrice du septième art n’a pas pour autant échappé aux artistes pleinement surréalistes, dont les rares œuvres ne sont que plus précieuses.

La pénultième section du Surréalisme au Cinéma en est le point culminant : elle est entièrement consacrée au génie du cinéma surréaliste : Luis Buňuel. Kyrou propose une analyse précise, film après film, du surréalisme buňuelien qui vise à mettre en évidence sa puissance poétique riche de toutes les révoltes. Et l’écriture passionnée de l’auteur finit par nous persuader que «Buňuel est l’homme, le torrent, le fauve qui a prouvé que le surréalisme peut et doit exister au cinéma» (p.289).

L’ultime partie de l’ouvrage constitue une réflexion personnelle autour de ce que peut signifier une «critique surréaliste» (p.297). Au terme de ce périple fort dépaysant, le lecteur-spectateur contemporain, qui peut certes parfois être irrité par la démarche subjective et le ton tranchant d’Ado Kyrou, se retrouve comme éveillé et persuadé qu’un cinéma autre est possible. Et si l’on peut être tenté, comme le suggère Ariel Kyrou, de voir dans les virtualités de l’image numérique d’aujourd’hui et de demain la postérité des pionniers de l’impossible, Le Surréalisme au Cinéma est avant tout une invitation à (re)découvrir ce cinéma qui, comme le définissait André Bazin, «coupe l’œil comme le rasoir du Chien andalou pour atteindre, ce qui, dans l’homme, cherche perpétuellement sa liberté». Ce n’est pas le moindre des mérites de ce livre admirable.


Sylvain Roux
( Mis en ligne le 18/11/2005 )
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