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Je ne pensais pas du tout devenir un réalisateur de films
Federico Fellini   Giovanni Grazzini   Fellini par Fellini
Flammarion - Champs 2007 /  9 € - 58.95 ffr. / 185 pages
ISBN : 978-2-08-120299-3
FORMAT : 11x18 cm

Traduction de Nino Frank.

L'auteur du compte rendu : Professeur de Lettres Classiques dans les Alpes-Maritimes, Sylvain Roux est l'auteur, chez L’Harmattan, de La Quête de l’altérité dans l’œuvre cinématographique d’Ingmar Bergman – Le cinéma entre immanence et transcendance (2001).

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En dépit du développement sans précédent d’une littérature secondaire proliférant autour des chefs-d’œuvre, les grandes créations émergent comme des mondes qui se suffisent à eux-mêmes : leur beauté et leur vérité s’imposent d’abord à nous sans la médiation d’un discours, fût-il celui des créateurs. Et si l’on admet avec Proust que les œuvres sont «le produit d’un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices» (Contre Sainte-Beuve), la connaissance de la vie de l’artiste et sa parole d’auteur ne semblent pas indispensables pour pénétrer dans son univers artistique.

Certes, l’art est supérieur à l’artiste, et ce dernier est le plus souvent au-dessus de l’homme. Mais il est des génies, forcément peu nombreux, dont la vie et l’œuvre sont si intimement mêlées que leur regard critique sur leur propre parcours biographique et esthétique, loin de nous détourner du mystère des créations, renforce leur pouvoir de fascination. Federico Fellini (1920-1993) incarne à merveille cette figure exceptionnelle du grand créateur : l’homme est aussi attachant et l’artiste aussi pénétrant que l’œuvre est passionnante.

C’est précisément ce dont témoigne l’ouvrage Fellini par Fellini, réédité en poche pour le bonheur de tous les cinéphiles. Il s’agit d’un ensemble d’entretiens menés par le critique du Corriere della sera Giovanni Grazzini en 1983. L’un des plus grands cinéastes du XXe siècle consent à parler de sa vie et de ses films. Dès l’ouverture de la conversation – qui aborde la question du vieillissement alors que Fellini a plus de soixante ans –, le lecteur est frappé par la simplicité et la sincérité, teintée d’humour, de l’homme et par la profondeur des propos du maître dont l’humilité est une des qualités les plus évidentes. Malgré l’expression d’une certaine réticence (qui renvoie autant à la timidité qu’à la dérision) face à l’exercice de l’interview – «Tout ce rituel archibanal de questions et de réponses n’a pas le moindre sens» (p.10) –, le réalisateur de La Strada accepte de «subir [… le] supplice» (pp.10-11) et ses confidences sur des thèmes très variés nous livrent progressivement sa conception du cinéma et sa vision morcelée – «Moi, je n’ai point d’idées générales» (p.10) – du monde. La retranscription sur papier de l’entretien ne donne lieu à aucun découpage chronologique et/ou thématique : ce choix pertinent, qui n’entrave pas la lecture, restitue la fluidité des échanges et permet de manifester, au-delà de la diversité des sujets traités, la continuité de la réflexion fellinienne.

D’origine romagnole, mais passionnément lié à Rome comme le soulignent plusieurs de ses films, le metteur en scène se raconte avec subtilité en feignant de n’avoir rien à dire, attitude à laquelle l’habileté du journaliste n’est sans doute pas étrangère : les thèmes sont souvent abordés de façon légère et sans cohérence apparente, avant de faire l’objet d’un approfondissement qui nous livre la pensée profonde du cinéaste. Ainsi, exprimant spontanément son malaise, non sans ironie, devant les questions de Giovanni Grazzini, Fellini explique qu’il ne rationalise pas son rapport à la réalité. De même, son goût pour l’astrologie et la «synchronicité» de Jung – «une révélation joyeuse» (p.132) – ne relève pas d’une posture excentrique, mais s’articule à une vision du monde que n’épuise pas la rationalité.

Fellini face à la politique et au sport ; étranger à toute position idéologique dogmatique, le réalisateur, qui fut élevé sous le fascisme, affirme : «Je ne suis pas du tout un homo politicus, je ne l’ai jamais été. La politique et le sport me laissent complètement indifférent» (p.18). Témoin de l’embrigadement épique lors de la guerre d’Ethiopie, Federico a tout fait pour échapper à la guerre – «Je suis même resté trois jours dans un asile psychiatrique» (p.53). Fellini enfant à l’école des Sœurs puis adolescent au lycée : comme Amarcord le montrera, le futur cinéaste n’était pas un élève scolaire – «je n’apprenais pas grand-chose en classe» (p. 26), mais c’est à l’école qu’il développa son «esprit d’observation» et son «goût humoristique, caricatural, une manière de regarder les gens faite d’ironie ainsi que de solidarité» (pp.26-27).

Fellini journaliste : le maître relate ses premières expériences à Florence, puis à Rome dans des journaux humoristiques (420, Marc’Aurelio et Piccolo). Fellini et ses admirations : Homère, Xénophon, Catulle, Horace, Dickens, Stevenson, Poe, Dostoïevski, Verne, Kafka, Simenon ; les acteurs comiques – «des bienfaiteurs de l’humanité» (pp.41-42) – comme Keaton, Laurel et Hardy, Larry Semon, les Marx, Chaplin ; Kurosawa, Bergman, Ford – «le cinéma à l’état pur» (p.67) –, Huston, Welles, Losey, Truffaut, Hitchcock, Rosi, Visconti, Lean, Kubrick, Antonioni. Fellini et ses débuts auprès de Rossellini : d’abord scénariste (Rome ville ouverte), il accompagne le principal fondateur du néo-réalisme dans l’aventure de Païsa – «Païsa a été une aventure fondamentale dans ma vie» (p.62) – et finit par réaliser son premier film, Le Cheik blanc sans croire à une future carrière – «je ne pensais pas du tout devenir un réalisateur de films» (p.72).

Fellini metteur en scène accompli : même s’il rechigne à parler de son «arrière-boutique» – «l’auteur est le dernier qui puisse parler consciemment de ses œuvres» (p.112) –, le maître accepte de revenir sur la réalisation de certaines de ses grandes œuvres. Ses confidences sur Les Vitelloni, La Strada – «en pleine griserie néo-réaliste, La Strada était donc un film à renier, décadent et réactionnaire» (p.91) –, La Dolce Vita – «un phénomène qui a bien dépassé le film lui-même» (p.113), Huit et demi – «l’histoire d’un réalisateur de films qui ne sait plus ce qu’était le film qu’il voulait faire» (p.132) –, Le Satyricon – «Non point une époque historique […] mais une grande galaxie onirique» (p.139), et sur les productions des années 70, nous rendent familier un univers cohérent articulé à une poétique sans équivalent et porté par une créativité extraordinaire.

Fellini et son cinéma : le metteur en scène est au service d’un auteur authentique qui ne cesse d’explorer et de mettre en images les mêmes obsessions – «J’ai l’impression d’avoir toujours tourné le même film» (p.69). En outre, il évoque son impossibilité de tourner en Amérique à cause du déracinement qui perturberait sa création : «Mon cinéma est un travail qui exige une maîtrise totale de la langue en tant que vision du monde, des mythes, des imaginations collectives» (p.98). Fellini et la religion : élevé dans un milieu catholique, l’auteur de Fellini Roma reconnaît qu’il est «naturellement religieux, car le monde, la vie [lui] paraissent enveloppés de mystère» (p.75). Ce sentiment mystique de l’existence, qui s’accompagne d’une réelle admiration de l’Eglise catholique – «C’est une bonne religion que la catholique» (p.74) ; «l’Eglise catholique me plaît […] J’aime sa chorégraphie» (p.76) – est à rattacher au refus fellinien de rationaliser son rapport au monde.

Fellini et la jeunesse : le maître confie son incompréhension devant les jeunes qu’il «ne connaît pas» (p.141). Ces considérations le conduisent à juger sévèrement sa génération qui a délibérément mis à mal la transmission – constat dont l’actualité reste brûlante – : «Je me demande ce qui a bien pu se passer à un moment donné, quelle espèce de maléfice a pu frapper notre génération, pour que, soudainement, on ait commencé à regarder les jeunes comme les messagers d’on ne sait quelle vérité absolue» (p.141). Fellini et le terrorisme : le cinéaste s’est interrogé sur ce phénomène particulier de violence dont la nature se distingue de la guerre. Il se dit «dépourvu […] de sens historique» (p.143), surtout s’il s’agit de justifier les crimes d’aujourd’hui par l’avènement futur d’un paradis illusoire. Protégé par son travail d’artiste, Fellini reconnaît, avec un sentiment de culpabilité, que l’art fut totalement impuissant devant la violence des «années de plomb» italiennes. Il ajoute, et cette remarque révèle une conception originale de l’art dans le paysage contemporain, que l’artiste «est tout naturellement conservateur et a besoin d’ordre autour de lui» (p.145).

Fellini et le devenir du cinéma : le réalisateur partage l’idée que le cinéma est en crise, qu’il «a perdu de son autorité, mystère, prestige, magie [… que] cet écran grand et magique ne nous fascine plus» (p.167). La télévision est à l’origine de ce renversement qui fait passer d’une expérience filmique de la déprise à celle d’une maîtrise désenchantée. Cette mutation fondamentale du rapport entre le spectateur et l’œuvre tend à vider les films de leur sens au profit de «l’aspect principalement ornemental, scénographique, [de] la girandole pyrotechnique des trucages sensationnels» (p.168). Cette critique du système télévisuel, que Fellini mettra magnifiquement en scène dans Ginger et Fred en 1985, et sa vision pessimiste du monde cinématographique sont fécondes d’interrogations profondes dont l’acuité s’impose aujourd’hui douloureusement à tous ceux qui aiment le cinéma.

Ainsi, Fellini par Fellini est un livre précieux non seulement pour qui veut mieux connaître l’une des figures les plus admirables du septième art, mais aussi pour les cinéphiles qui ne réduisent pas le cinéma à un divertissement de masse. L’homme, qui a traversé le XXe siècle, fascine autant que l’auteur dont les confidences, souvent inattendues, finissent, malgré leur caractère apparemment épars, par dessiner une vision singulière du monde. Et comme Federico Fellini est un grand artiste, ses obsessions transfigurées de façon onirique dans ses films et mises en forme dans ces entretiens continuent à éclairer notre présent – intempestives, elles bousculent notre contemporanéité et ont toujours une longueur d’avance sur notre temps.


Sylvain Roux
( Mis en ligne le 09/07/2007 )
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