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Souffrir ou parler
Shane O'Mara   Pourquoi la torture ne marche pas - L'interrogatoire à la lumière des neurosciences
Markus Haller - Condition humaine  2018 /  26 € - 170.3 ffr. / 362 pages
ISBN : 978-2-940427-35-2
FORMAT : 14,0 cm × 22,5 cm

Margaret Rigaud (Traducteur)
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Si la torture est une réalité aussi ancienne que la bêtise humaine, sa pratique est revenue sur le devant de la scène politique et éthique en régime dit «démocratique» depuis les attentats de 2001, la rédaction des fameux mémorandums sur la torture (2002) et la légalisation emballée d'euphémismes de diverses techniques qui en relèvent par les services de renseignement états-uniens du gouvernement Bush ; sont venus s'y ajouter les révélations faites sur les pratiques dans le camp de concentration de Guantanamo, les enlèvements de la CIA ou les horreurs dénoncées par Chelsea Manning à propos de la prison états-unienne d'Abou Ghraib en Irak.

Sa justification morale est généralement un calcul utilitaire aussi primaire que mesquin, et presque systématiquement mis en scène par les fictions grands public : une course contre la montre pour sauver plus de gens que l'on en sacrifie. Ce n'est cependant pas l'aspect moral qui intéresse le professeur de neurosciences Shane O'Mara, c'est l'aspect technique, c'est-à-dire psychologique vu sous toutes ses coutures : cognition, remémoration, mobilisation du système nerveux, effets des affects, etc.

En un mot comme en cent : non seulement aucune étude sérieuse ne prouve que la torture marche, mais par contre un nombre considérable d'expériences, d'études statistiques, empiriques, biochimiques ou issues de diverses pratiques de plus en plus précises d'imagerie médicale (une véritable révolution dans les sciences cognitives) dans tous les domaines touchant aux opérations mentales, aux effets du stress, du manque d'oxygène, de sommeil, de nourriture, de la douleur physique, de l'isolement social, de l'enfermement, des drogues, etc., indiquent que la torture ne peut pas fonctionner, ni à long terme, ni à court terme (dans le scénario sempiternellement évoqué de la course contre le montre), cela même dans des situations (expérimentales ou d'entraînement militaire) où la motivation d'un individu ne fait pas obstacle à la remémoration d'une donnée ! Autrement dit, si la torture a pour but – comme on le prétend dans les fictions et dans les rapports justificatifs de ceux qui la pratique – d'obtenir une information, elle est résolument contre-productive. Par l'effet du jeu de miroir empathique, elle a même des conséquences néfastes sur le bourreau (sauf s'il est sadique et/ou psychopathe).

A l'aide d'un passage en revue des travaux consacrés à ses sujets (qui constituent une impeccable bibliographie), chapitre après chapitre, et type de torture après type de torture, non seulement O'Mara démonte avec une rigueur scientifique et argumentative admirable la mauvaise foi technique des autorités ayant justifié la torture, notamment dans les mémorandums (où l'on se prévaut d'études inexistantes et de résultats sans aucune preuve, et où l'on omet bien entendu de contrer ou même de se référer aux innombrables travaux contradictoires), et elle explique point par point ce qui se passe dans un cerveau, dans un système nerveux et même dans l'ensemble des interactions physiologiques, endocriniennes, lorsqu'un individu est torturé.

Par exemple, en cas de stress aigu et prolongé, les hormones de stress comme le cortisol ont un effet très négatif sur la mémoire épisodique (laquelle est justement celle qu'on mobilise pour obtenir un renseignement), les raisonnements logiques, les apprentissages, le temps de réaction, etc. De plus, en présence d'un danger, le cerveau se met sur une voie automatique, la pensée consciente passant au second plan, ce qui nuit là encore à la mémoire épisodique ; le manque de sommeil ou le froid réduisent drastiquement l'activité cérébrale, etc. L'auteur souligne aussi que, dans les simulations de noyade (qui sont des noyades) comme dans la privation de sommeil et dans bien d'autres pratiques, il est impossible de garder la vie du torturé sous contrôle : les effets physiologiques sont beaucoup trop imprévisibles et personnels.

L'ouvrage offre donc, outre un argumentaire technique extrêmement précis contre la torture, un voyage passionnant dans les relations entre le cerveau, le système nerveux et les fonctions les plus essentielles du corps humain. Il permet aussi une réflexion approfondie et critique sur de nombreuses institutions, comme la prison, où sur des pratiques comme celles de la police, notamment dans le cadre d'enquêtes judiciaires. Car si tabasser et «faire pression» sur un individu permet parfois, avec de sacro-saints aveux, de trouver un coupable, on peut sérieusement douter que cela amène à la vérité, objective ou simplement judiciaire.


Frédéric Dufoing
( Mis en ligne le 26/06/2019 )
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